LA BELGIQUE souhaite vivement accompagner le changement de pouvoir en République démocratique du Congo afin d’aider le peuple congolais. C’est la version officielle. Cependant, il y a un mais qui compte, avait laissé entendre Didier Reynders, le ministre belge (MR) des Affaires étrangères et de la Défense, à l’issue de son entretien avec Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo (Fatshi), le nouveau président de la République, le 4 avril, à Washington. Selon Didier Reynders, le changement en RDC doit être un fait vécu.
Lors de cet entretien, il s’est dégagé la nécessité d’une normalisation des relations entre les deux pays. Et cela pourrait se concrétiser avec le retour d’un ambassadeur belge à Kinshasa. La décision ne pourra être prise que lorsqu’un gouvernement sera mis en place en RDC, avait précisé Didier Reynders. Réciproquement, la RDC devrait renvoyer un ambassadeur en Belgique. Dans la foulée, la reprise de la coopération militaire. Une délégation du ministère belge de la Défense sera dépêchée à Kinshasa pour examiner les conditions de la reprise de cette coopération. Avec l’avènement de Félix Antoine Tshisekedi, la maison Schengen a été rouverte. SN Brussels également a repris ses fréquences d’antan.
Coopération diplomatique, coopération militaire, mais aussi coopération économique. En tout cas, la Belgique manifeste à nouveau son intérêt pour des investissements en RDC. Les Belges seraient intéressés par le port de Matadi et le chemin de fer. Des opérateurs belges, comme le Port d’Anvers et la Société nationale des chemins de fer belge (SNCB), seraient en première ligne.
Par ailleurs, ils souhaitent la réhabilitation des investissements belges victimes des mesures de zaïrianisation de 1973 sous le régime de Mobutu. Les Belges seraient également intéressés par le réveil de la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), l’entreprise publique minière, pourvu que le nouveau pouvoir mette une croix sur les fameux Contrats chinois.
À propos justement de cet accord attaqué avec virulence par les Occidentaux, Moïse Ekanga, responsable du Bureau de coordination et de suivi du programme sino-congolais, réagissant contre un article du média en ligne Scooprdc.net, a indiqué que la banque chinoise Exim Bank a déboursé dans le cadre du projet de coopération sino-congolais, communément appelé « Contrats chinois », 738 millions de dollars investis dans les infrastructures (24,6 % du décaissement) et 1,729 milliard de dollars investis dans la joint-venture Sicomines (57,6 % du décaissement). Soit 2,467 milliards de dollars sur le montage financier de 6,2 milliards de dollars, ficelé en 2008. Il était prévu le financement de 3,2 milliards de dollars pour le secteur minier (Sicomines) et 3 milliards de dollars pour la construction et la réhabilitation des infrastructures.
Moïse Ekanga reconnaît qu’il y a eu du retard et des difficultés dans l’exécution de ces deux projets. Pour rappel, la RDC a signé le 22 avril 2008 avec le Groupement d’entreprises chinoises (GEC) une convention de collaboration en vue du développement d’un projet minier et d’un projet d’infrastructures. Ces deux projets, que certains dénomment à tort « Contrats chinois », sont appelés collectivement « Projet de coopération sino-congolais ».
Ce sont là des signes de dégel. En effet, les relations entre la RDC et la Belgique ont été altérées ces dernières années du fait des tensions entre les deux gouvernements autour de l’organisation des élections dans notre pays. Joseph Kabila Kabange, l’ancien président, et son gouvernement accusaient la Belgique d’« ingérence » dans les affaires intérieures de la RDC et de soutenir l’opposition. En tout cas, les choses n’étaient plus nuancées et le ton à l’affrontement. Kinshasa n’a pas hésité à fermer la maison Schengen gérée par l’ambassade de Belgique, réduire la fréquence de la compagnie aérienne belge SN Brussels en RDC et fermer certains consulats dont celui de Lubumbashi.
Crise, oui ; rupture, non
Le couple belgo-congolais nous a souvent habitués à des scènes de ménage qui n’ont jamais, heureusement, franchi la porte de la rupture des relations diplomatiques ou de la coopération bilatérale. Un diplomate congolais à la retraite nous confiait, au plus fort moment de la dernière crise, ne pas aimer quand la tension monte entre Bruxelles et Kinshasa. Comme il le dit, « les élections, c’est la façon de gérer le jeu politique ». Cela a suffi pour comprendre l’embarras du pouvoir à Kinshasa quand Bruxelles a porté à bras-le-corps l’opposition au régime kabiliste en place.
Mais pour ce diplomate, ayant été longtemps en poste en Europe, la crise n’est ni en faveur des Belges ni des Congolais. « On n’est plus à l’époque où le Congo était mis sous coupe réglée par la Belgique, où tous les Occidentaux étaient derrière la Belgique sur le Congo. Kinshasa a réussi à diviser l’opinion publique en Belgique, à diviser les Occidentaux, voire la communauté internationale sur son cas », analyse-t-il.
La tension va certainement baisser, dit-il, avec cette volonté de réchauffement. Heureusement. Mais pour combien de temps ? Difficile à imaginer. « La crise belgo-congolaise énerve toujours. Kinshasa et Bruxelles sont en rage, éructent quand l’un s’en prend à l’autre. Depuis l’époque de Mobutu, les autorités de Kinshasa reprochent aux Belges leur obsession. Celle de considérer le Congo comme leur chasse gardée », croit comprendre ce diplomate congolais.
Et d’ajouter : « C’est ainsi que la crise diplomatique entre les deux pays a toujours l’air d’une crise de maternisation, c’est-à-dire vouloir protéger à la manière d’une mère, sur fond d’infantilisation compassionnelle. On peut tourner la crise (le contentieux) belgo-congolaise dans tous les sens, on aura, hélas, du mal à lui donner vraiment un tout autre contenu que celui-là. »
Y a-t-il encore des intérêts belges en RDC pour que Bruxelles s’empresse à vouloir la normalisation des relations avec Kinshasa ? Pourquoi les Belges ont-ils évité une nouvelle escalade dans la crise après les mesures de rétorsion des Congolais qui les ont drôlement escagassés ? « La Belgique passe pour l’éminence grise de l’Occident sur le Congo, c’est-à-dire ce conseiller influent qui reste dans l’ombre. Son point de vue est prépondérant, tout comme celui de l’église catholique de la RDC, très consultée pour son rôle dans la formation des élites et les œuvres de santé publique », confie le politologue Jean Marie Kidinda. Et il poursuit : « Vu sous cet angle, normale la méfiance envers la Belgique et l’église catholique locale que l’on craint forcément qu’elles ne jouent auprès de l’opinion internationale le rôle plus ou moins occulte d’éminence grise. »
Didier Reynders rappelle qu’en 1960, quand la Belgique accorde l’indépendance au Congo, ce pays était la 4è puissance économique mondiale, bien devant les pays comme le Canada et la Corée du Sud, considérés aujourd’hui comme des puissances économiques. Ce que souhaite la Belgique, c’est aider la RDC à se relever. Mais cela ne peut être possible que si les Congolais prennent conscience du potentiel que représente leur pays.