L’histoire est un éternel recommencement, dit un adage. Celle de la République démocratique du Congo est jalonnée de crises et de tensions récurrentes. À 57 ans de l’indépendance (le 30 juin) de l’ancien Congo-Belge, la transition démocratique qui domine le quotidien de la RDC, ex-Zaïre, depuis le 24 avril 1990, ressemble fort bien à « une sorte de recyclage de l’histoire de la décolonisation », comme pour emprunter l’expression du professeur historien Isidore Ndaywel è Nziem.
Dans sa réflexion publiée dans Cahiers d’Études africaines en 1998, l’historien congolais (de la RDC) fait remarquer que l’indépendance et la transition démocratique sont deux épisodes de l’histoire « révélateurs de la fragilité d’un État colonial longtemps en décomposition et de nos jours en mal de recomposition ». Et il poursuit : « Sur ce même théâtre, au seuil des années 1990, comme au seuil des années 1960, se sont déployées et se déploient encore des aspirations similaires de mieux-être social, politique et économique, suivies de contradictions révoltantes et de déceptions criantes. » Ce n’est pas tout, d’après lui, « un nouveau cycle d’espérance semble succéder à un autre, ramenant fidèlement le processus à son point de départ. Le verrouillage de la trajectoire, aujourd’hui comme hier, fait en effet usage des mêmes règles de grammaire avec pour paradigmes la pléthore des partis politiques, la manipulation de l’ethnicité, la multiplication des conflits individuels et autres juridismes aveugles… »
Ndaywel è Ziem constate que « chaque itinéraire a produit ses héros (Lumumba, Tshisekedi) et ses bourreaux (Kasa-Vubu, Mobutu) et brandi le paradoxe de ses actes fondateurs (proclamation de l’indépendance suivie de la mutinerie de la Force publique, proclamation de la démocratie suivie du « massacre des étudiants de Lubumbashi »), comme celui de ses pièges et de ses hécatombes juridiques (les révocations de 1ER Ministres sont-elles légales, de Lumumba par Kasa-Vubu, de Tshisekedi par Mobutu ?), consacrant irrémédiablement le blocage du processus. »
La violence, principe d’histoire
Pertinente réflexion faite en 1998 ! Elle est d’actualité, pourrait-on ainsi être tenté de dire. Au-delà des similitudes apparentes entre les deux périodes, comme le met en relief le professeur Ndaywel, il existe pourtant des différences fondamentales. L’une d’elles – et non des moindres – est fonction de « la variation du statut de la violence dans les deux périodes considérées. » Il est un principe en histoire : comme fait révolutionnaire, toute mutation suppose une certaine forme de violence, même si celle-ci n’est pas nécessairement physique. Alors, dans le passé congolo-zaïro-congolais, le changement s’est presque toujours accompagné d’un climat où la violence étatique, emboîtant le pas à la violence populaire, s’est souvent métamorphosée en violence armée.
Mais aujourd’hui, comme le pense Ndaywel, l’initiative de protestation, parce que productrice d’une certaine forme d’agressivité, est, dans son essence même, devenue un objet de discrédit. Comme en 1990, les manifestations de rue sont redevenues la recette de l’Opposition radicale. En face, le pouvoir donne des conseils de prudence sous peine de faire usage des armes pour le maintien de l’ordre public. Dans la lecture de l’évolution politique zaïro-congolaise, la condamnation et le rejet systématique de la violence se font sans nuance. Que le Congo-Zaïre-RDC ait été, dans le passé, le théâtre de la violence, et que ses habitants soient habitués à en vivre, cela est une évidence, au point que son évolution a produit en la matière une historiographie particulière. Plus que les guerres coloniales, pense l’historien, les cycles de violence les plus solidement inscrits dans l’imaginaire collectif sont ceux de la fin des années 1950 qui marquent la genèse de la décolonisation et dont les tribulations et les influences ne sont pas encore complètement éteintes.
Le 4 janvier 1959 symbolise le combat pour la conquête de l’indépendance. Dès 1960, elle n’a pas tardé à dégénérer en une multitude d’escarmouches avant de se focaliser sur les mutineries de la Force publique, la sécession katangaise puis kasaïenne… Mobutu qui était un fin animal politique a eu beau jeu de manipuler cette donne en lui octroyant une simplification politique partisane, qui pourrait se résumer à ces deux principes complémentaires. Premier principe : la violence « d’en haut » est la seule légitime. Second principe, la violence « en haut » finit toujours, et en définitive, par avoir raison de la violence « d’en bas », même si cette dernière donne des signes de réussite, celle-ci ne peut être que provisoire. L’expression la plus élaborée du mécontentement politique, à défaut de mieux, est donc devenue le « pillage », une manière indirecte de s’en prendre à l’establishment politique en la personne de ses représentants et de ses privilégiés, d’aller en guerre contre les accumulations des richesses, et d’imposer une sorte de nivellement par le bas pour réduire les écarts dans la jouissance des bienfaits provenant du même État.
Et dans l’imaginaire collectif congolais, le « pillage », et par ricochet la « journée ville morte », symbolisent des actions politiques par le biais de l’impératif du ventre, une sorte de degré zéro de la contestation mais qui représente de réelles avancées par rapport à la léthargie et au défaitisme du passé, selon l’historien. Le pillage – physique ou moral – se trouve donc confirmé comme la forme la plus violente que peut encore revêtir la protestation populaire.
Les événements survenus les 23 et 24 septembre 1991 illustrent bien cette culture politique ambiante. Des soldats se mutinent et se mettent à « piller » dans Kinshasa. La population leur emboîte le pas. Plusieurs villes sont véritablement dévastées et les résidents européens contraints au départ sous la protection des paras belges et français. Même scenario en janvier 1993 : saccages des magasins, des dépôts, des industries, bref, des unités économiques à la suite d’un mécontentement populaire parti de casernes. Si en 1991, la cause des pillages a été l’incapacité de trouver un consensus politique ; en 1993, c’est la paie de la solde en coupure de 5 millions de zaïres, les fameux billets « Dona Beija », qui a mis le feu aux poutres. Ces billets étaient refusés par les opérateurs économiques parce que « démonétisés » par le 1ER Ministre Tshisekedi. Les pillages ont ainsi marqué le début de la chute du régime Mobutu. Le coût des pillages est incommensurable. Néanmoins, on avance près de 2 000 personnes sont tuées, dont l’ambassadeur de France au Zaïre, Philippe Bernard, et la fermeture des centaines de sociétés, entraînant ainsi la perte de plus de 1,5 million d’emplois dans le commerce, les services et l’industrie à travers le pays.
Tirer les leçons des pillages
Dans la crise politique récurrente en RDC, on a souvent tendance à désigner l’Occident comme la cause des malheurs des Congolais, certes. Mais quelle est leur propre responsabilité dans ce qui leur arrive, et dans la détérioration du
tissu socio-économique ? Aujourd’hui, Kinshasa n’a plus de quartier industriel que fut jadis Limete et sa périphérie de Kingabwa. La plupart de ces entreprises étaient des sociétés à capitaux étrangers. Et depuis, pour nombre d’investisseurs étrangers, la RDC n’est pas fréquentable, tant le risque politique est grand à cause de l’incertitude, depuis la fameuse mesure de zaïrianisation en 1973.
S’il est facile de détruire, il est par contre difficile de reconstruire. L’économie paie le lourd tribut de la gouvernance politique. En janvier 2015, le pays a failli basculer à nouveau dans la violence, lorsque les parlementaires ont voulu modifier la loi électorale, pour conditionner la tenue des élections à l’identification préalable de la population. La rue a grondé et le Parlement a fait marche arrière. Mais les Chinois ont fait les frais des pillages. Une cinquantaine de magasins des Chinois ont été pillés. Coût de la casse : environ 5 millions de dollars.
Avant 1990, l’économie congolaise était déjà sous perfusion, avec le programme d’ajustement structurel (PAS) du Fonds monétaire international (FMI), gangrenée par la corruption et l’instabilité politique. Avec les soubresauts politiques des années 1990, l’économie est mise à genoux par des épisodes successifs de regain de violence, notamment les pillages (1991 et 1993), et la guerre de libération de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Alors que tout les Congolais avaient fondé l’espoir sur l’AFDL pour bâtir un pays plus beau qu’avant, les efforts de recherche de la cohésion nationale ont été anéantis avec les rébellions (RCD, MLC, RCD/KLM). Les élections de 2006 et 2011 ont été des moments des tensions fortes, et la non-organisation des élections devant conduire à l’alternance politique en 2016 a fait planer une grosse frayeur. Face à la peur du lendemain, les citoyens perdent confiance en les institutions. Aucun calendrier électoral n’est encore publié, et la tension monte d’un cran au jour le jour au sein de la population. Le contexte politique et sécuritaire connaît de profonds changements depuis septembre 2016, nécessitant, par conséquent, un ajustement des priorités et de la posture de la MONUSCO.
Même mort, il reste un mystère
La mise en œuvre intégrale de l’accord politique du 31 décembre 2016, qui doit ouvrir de la manière la plus claire la voie à la tenue des élections, est mise en mal avec la nomination d’un 1ER Ministre sorti de la dissidence du Rassemblement de l’Opposition radicale. Qui requiert désormais tout le soutien de l’ONU pour remettre l’accord à l’endroit. La mort de l’opposant historique, Etienne Tshisekedi, a un impact significatif sur le processus politique en RDC, retardant davantage l’établissement du Comité national de suivi de l’accord (CNSA) et du processus électoral. En février, des séminaires et paroisses de l’Église catholique à Kananga, dans le Kasaï, à Kinshasa et à Lubumbashi, dans le Katanga, ont été attaqués, vraisemblablement à cause de frustrations accrues. La détérioration des conditions de sécurité reste une source de profonde préoccupation. La violence de proximité et les affrontements interethniques se sont étendus à des zones déjà touchées par les conflits armés, telles que les Kivu ; à la province du Tanganyika ; aux trois provinces du Kasaï ; à la province du Lomami et à la province du Kongo-Central. Les activités des groupes armés dans l’Est ont également augmenté, en particulier avec la réapparition récente d’ex-éléments du Mouvement du 23 mars (M23). Le regain de violence dans certaines zones du pays a été exacerbé par la situation politique incertaine qui y règne actuellement, ainsi que par la manipulation des doléances à des fins politiques et un appui aux milices armées par certains acteurs politiques.
L’utilisation croissante de milices d’autodéfense, agissant sur la base de critères ethniques, témoigne d’un sentiment croissant d’insécurité et d’incertitude… La conséquence est que les activités économiques sont paralysées ou tournent au ralenti à travers le pays. Tant que l’accord politique restera dans l’impasse, prolongeant ainsi les incertitudes politiques actuelles, tout peut arriver. D’autant plus que la dépréciation continue du franc, qui a perdu près de 40 % de sa valeur à ce jour, l’absence de réserves en devises et le déficit budgétaire ont des répercussions de plus en plus sensibles sur les moyens de subsistance des Congolais. Les prix sur le marché flambent. Cette évolution de la situation vient s’ajouter à la détérioration de la situation humanitaire, laquelle est due à l’intensification de la violence au Tanganyika et dans les Kasaï. Au total, 2,2 millions de personnes sont actuellement déplacées de force. Dans la guerre psychologique que se livrent les politiciens congolais sous le regard de la communauté internationale, les grands perdants, ce sont les milieux d’affaires. Autant que les populations, les milieux d’affaires s’inquiètent de l’avenir du Congo où tout est opportunité d’affaires.