José Sele Yalaghuli, le ministre des Finances, s’est voulu rassurant. Il a fait savoir à ses hôtes, Pete Pham, l’envoyé spécial des États-Unis pour les Grands lacs, et Mike Hammer, l’ambassadeur des États-Unis en République démocratique du Congo, l’engagement du gouvernement à gérer les finances publiques avec réalisme, tout en restant optimiste sur les perspectives à venir. Peter Pham a salué cette détermination affichée du gouvernement dans la gestion saine des finances publiques afin d’en faire un véritable outil de développement.
L’envoyé spécial des États-Unis pour les Grands lacs a réitéré au ministre des Finances la disponibilité de son pays à aider la RDC, à travers le ministère des Finances, pour une assistance dans la transparence et la lutte contre la corruption. Cela contribuera à attirer les investisseurs et à créer les conditions de croissance, a-t-il indiqué. Peter Pham a en outre salué le programme de référence conclu entre la RDC et le Fonds monétaire international (FMI), lequel impose plus de discipline pour booster le développement et faciliter la croissance économique.
Par ailleurs, il a apprécié les efforts consentis par le ministère des Finances pour, non seulement contenir toutes les pressions sur les finances publiques, mais aussi rester dans la ligne du programme de référence conclu avec le FMI. Pour rappel, cette visite s’inscrit dans le cadre du partenariat privilégié pour la paix et la prospérité au Congo, conclu en avril 2019 entre les États-Unis et la RDC, en marge de la visite que Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, avait effectué aux États-Unis.
Réseaux maffieux
Selon un rapport du Trésor américain, la fraude et le blanchiment d’argent aux États-Unis représentent annuellement quelque 300 milliards de dollars, la moitié provenant d’escroqueries à l’assurance santé et aux impôts. Les fraudes contre le gouvernement fédéral sont au moins deux fois plus importantes que le profit réalisé par le marché de la drogue. L’utilisation d’internet pour le vol d’identité a augmenté l’ampleur et l’impact de ces escroqueries.
Le trafic de drogue à lui seul génère environ 64 milliards de dollars annuels en liquide, une grande partie de la drogue passant par le Mexique. Le cash, bien qu’il soit nécessaire et omniprésent, est un instrument monétaire interchangeable par définition qui ne laisse pas de trace quant à sa source, son propriétaire ou sa légitimité, déplore ce rapport. Un autre rapport évaluant pour la première fois les risques de financement du terrorisme, estime que les États-Unis ont rendu considérablement plus difficile aux organisations terroristes d’utiliser le système financier américain pour collecter et transférer de l’argent.
La poursuite des circuits financiers est jugée comme une clé de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Au cours des quarante dernières années, plusieurs pays ont adopté des mesures toujours plus strictes pour contrer le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les États-Unis ont ainsi adopté le USA Patriot Act, dont l’article trois renforce la politique américaine dans ce domaine. L’argent blanchi aux États-Unis s’élève à un total estimé à 123 milliards de dollars par an. C’est le pays qui est à la fois la source et la destination la plus importante d’argent illicite.
Résultat de ce défi intérieur, les États-Unis ont exporté à l’échelle internationale leur approche contre le crime organisé, le terrorisme et l’argent illicite. On soutient souvent que l’expression blanchiment d’argent est le résultat de pratiques mafieuses datant des années 1930, quand les gangsters utilisaient des laveries pour dissimuler l’argent au fisc.
Anecdote réelle ou imaginaire, c’est en tout cas à cette époque que les autorités américaines commencent à s’intéresser au crime organisé et au blanchiment d’argent. C’est d’ailleurs sur la foi d’accusations d’évasion fiscale que nombre des grands criminels de l’époque furent inculpés. Cette réussite du fisc américain convainquit le gouvernement qu’il était possible de lutter efficacement contre le crime organisé par la voie financière. À cette période et à des histoires légendaires qui lui sont associées remonte l’opiniâtreté gouvernementale face au blanchiment d’argent.
Les États-Unis adoptèrent une loi spécifique contre le blanchiment d’argent en 1986, au sommet de la guerre contre la drogue, le Money Laundering Control Act. Cette loi fut amendée trois fois durant les années 1990. Cette loi est la première au monde à criminaliser le blanchiment d’argent. D’une part, le blanchiment d’argent est par définition extraterritorial, puisqu’il implique des transactions financières internationales. Pour que les forces de l’ordre puissent enquêter sur le blanchiment d’argent, ils ont donc besoin de l’apport de leurs collègues étrangers. Ainsi les autres pays doivent être incités à prendre au sérieux la menace de l’argent illicite.
D’autre part, la mise en place des mesures contre l’argent illicite est coûteuse pour l’industrie américaine, la réglementation affectant la compétitivité du marché américain. De la même manière, l’adoption du modèle américain contre l’argent illicite impose aux firmes des autres pays le coût d’une réglementation lourde et inflexible.
Le régime international contre l’argent illicite est établi en 1988 avec la signature de la Convention de Vienne des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Cette convention criminalise à l’échelle internationale le blanchiment d’argent et impose aux États un devoir de coopération. Les Américains travaillèrent également à la création en 1995 du Groupe Egmont, organisation internationale regroupant les cellules de renseignements financiers de divers pays. Aujourd’hui, le Groupe Egmont compte plus de 100 membres à travers le monde, qui peuvent apprendre et coopérer entre eux par l’entremise de cette institution. La criminalisation du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme s’est étendue à des organisations habituellement associées de plus près à l’économie qu’à la criminalité comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui participent aussi au régime de lutte contre le blanchiment d’argent.
Dans le secteur privé, le Groupe Wolfberg réunit de grandes banques autour de principes de gestion et de surveillance. S’ils ne sont pas les seuls à percevoir un danger dans l’argent illicite, les États-Unis ont utilisé leur influence pour définir le problème, identifier les solutions et les imposer aux autres acteurs sur la scène internationale. Plusieurs pays ont ainsi modifié leur législation sur le blanchiment d’argent pour y inclure le financement du terrorisme.