C’est normal. Désormais, troquer sa liquette se fait dans le tunnel, à l’abri des regards des supporters qui ne comprennent pas toujours ces gestes de fraternisation après 90 minutes à se chatouiller les mollets avec des crampons. Un geste amical qui est aussi devenu un juteux business ces dernières années.
Le maillot qui valait plus de 260 000 dollars
Tout a commencé le 27 mars 2002. Ce jour-là, la maison Christie’s propose à la vente un maillot porté par Pelé lors de la fameuse finale de la Coupe du monde entre le Brésil et l’Italie en 1970, conclue sur le score de 4-1 pour les Auriverde. Le vendeur ? La famille du défenseur italien Roberto Rosato, qui était au marquage du « Roi » pendant la rencontre et qui a échangé son maillot avec le n°10 brésilien au coup de sifflet final. L’authenticité ? Certaine. L’expert maison de ce genre d’objets, David Convery, a visionné pratiquement image par image la vidéo de la finale pour s’assurer que les traces d’herbe et de terre figurent au bon endroit.
Sous le marteau du commissaire-priseur, les enchères s’envolent. Bien au-delà des espérances de Christie’s. Le record du monde est battu, à plus de 157 000 livres (ajusté à l’inflation, quelque 260 000 euros d’aujourd’hui et un peu plus en dollars). « Je suis sous le choc », commente un Rosato qui a suivi la vente au téléphone.
Des maillots prestigieux, les footballeurs en ont plein leurs placards. Prenez Steve Hodge, défenseur international de l’équipe d’Angleterre dans les années 1980. Au fond du dressing, sous plastique, rien de moins que le maillot de Maradona du fameux match du « but du siècle » et de la « main de Dieu » lors de la Coupe du monde 1986. En 2011, il déclarait à The Independent (en anglais) : « Je ne lui ai pas demandé pour sa valeur monétaire, mais parce que c’est un formidable joueur. J’ai eu quelques touches au fil des années pour le vendre, mais je ne le souhaite pas. »
Ce n’est pas tout à fait la version de David Convery, l’homme qui transforme les maillots en or : « J’ai eu un appel de Steve Hodge quelques temps après la fameuse vente du maillot de Pelé. Il voulait 250 000 £. Je lui ai répondu : ‘Sauf votre respect, vous êtes dingue.’ Le problème n’est pas la valeur en soi du maillot, mais le marché. Qui va acheter ça ? Le marché argentin n’existe pas. Et si un collectionneur anglais veut l’acquérir, ce ne sera pas à ce prix-là. Je l’avais estimé à 80 000 £, pas plus. »
La loi de la jungle de l’échange de maillot
Beaucoup de joueurs ont accumulé des centaines de maillots échangés avec des adversaires lors de leur carrière. Le capitaine de l’équipe d’Andorre, Ildefons Lima, en revendique près de 600, tous conservés sous plastique. Sa technique : « Je demande aux joueurs avec qui je veux échanger pendant la rencontre. C’est comme ça que j’ai eu Gareth Bale ou Cristiano Ronaldo », explique le rugueux défenseur à franceinfo. Andorre rencontrant souvent les cadors lors des qualifications aux grandes compétitions internationales, la concurrence est rude.
L’Irlandais Roy Keane racontait ainsi au Guardian (en anglais) que lors d’un match dans la principauté en 2002, trois joueurs se sont rués sur lui au coup de sifflet final pour troquer leur maillot. Malgré les protestations répétées du milieu de Manchester United, les négociations durent plus de cinq minutes après le coup de sifflet final. Avant que Keane, le regard noir, ne regagne son vestiaire, son maillot vert toujours sur le dos. La légende veut qu’il l’ait donné dans le tunnel du stade à un ramasseur de balles…
Ildefons Lima a passé tous ses maillots à la machine pour des raisons de conservation. « Il y en a deux que je n’ai pas lavés, un de Bale et un autre de Pepe, qui commencent à cocoter », dit-il. Mais le défenseur aguerri a attendu d’être à la maison pour lancer un cycle synthétique à 30°C. Pas comme le naïf défenseur américain Gregg Berhalter qui a confié au room service de son hôtel lyonnais le maillot qu’il avait échangé avec Ronaldinho lors d’un match de Coupe de confédérations en 2003. « Bien entendu, il n’est jamais revenu, soupire le défenseur dans le New York Times (en anglais). C’était vraiment idiot de ma part. »
Règle n°1 de l’heureux possesseur d’un maillot d’une star : le garder bien au chaud. Prenez Chris Annan, attaquant de l’équipe nationale de Hong-Kong qui a hérité du maillot de Lionel Messi lors d’un match amical (conclu sur un score de 7-0 pour l’Albiceleste). Tout a commencé par un heureux hasard. « Il jouait à gauche, moi à droite, donc on était au même endroit sur le terrain, se souvient-il auprès de franceinfo. Quand je lui ai demandé son maillot, il m’a dit ok. À la fin du match, d’autres coéquipiers sont venus lui demander mais il a respecté sa promesse. Forcément, les autres étaient jaloux. »
« Un jeu d’enfant » pour les collectionneurs
Le gaillard qui a dans son armoire un maillot de Marco Verratti (PSG) et de Wilfried Zaha (lorsqu’il évoluait à Manchester United) a fait encadrer le maillot de Messi. Un temps seulement : « Je fais attention à ne pas poster de photos sur les réseaux sociaux, je ne voulais pas trop de publicité, pour pas qu’on ait l’idée de me le voler. » En revanche, si les choses de la vie tournent mal, il n’exclut pas de le vendre. Comme le capitaine de Gibraltar, Roy Chipolina, qui en rigole : « Mon assurance-vie s’appellera peut-être Lewandowski, Hazard, Lukaku, ou Nani, on verra bien. »
Rares sont les joueurs qui assument le fait de vendre les reliques d’une belle carrière. À une époque, cela se passait par dans l’arrière-boutique de magasins londoniens, désormais, internet mâche le travail aux joueurs désireux de mettre du beurre dans les épinards. « J’ai des contacts privilégiés avec des joueurs, mais je vais garder leurs noms pour moi », sourit à franceinfo Alessio Candiloro, l’un des plus gros collectionneurs italiens (en anglais), qui compte par exemple 28 maillots de la Nazionale, dont deux portés lors de la Coupe du monde 2006 remporté par l’Italie. « À une époque, c’était difficile de se procurer les maillots. Désormais, c’est un jeu d’enfant. »
À condition d’avoir un banquier compatissant. « Il m’est arrivé que des joueurs me demandent des sommes exorbitantes », confie le collectionneur néerlandais Jesse Rabbeljee (en néerlandais), 1 000 maillots dans sa besace, dont un de l’Allemand Michael Ballack « qui sent fort la sueur, des années après ».
Pour lui, la meilleure source demeure les proches de joueurs désireux de faire de la place dans les placards. « Je suis tombé sur la famille d’un ancien joueur de Haarlem qui vendait sa collection. Dedans, une relique d’une valeur inestimable pour moi, le maillot du Real Madrid de Luis Enrique, qui avait joué un match de Coupe d’Europe aux Pays-Bas sous mes yeux. »
Sinon, il reste les sites spécialisés comme GMMI Group ou Classic Football Shirts, inondés de mails de joueurs soucieux de fourguer leur collection. Sachant que la cote de chaque maillot se mesure à l’aune de sa rareté.