LES AGENCES onusiennes et les ONG humanitaires internationales disent dans l’ensemble ne pas recevoir les « allégations » d’abus sexuels. La police locale, elle, parle des rumeurs. On comprend dès lors que l’argent n’a pas d’odeur. Profitant de la pauvreté de la population, les travailleurs humanitaires recourent à la corruption et au chantage sexuel pour recruter localement. La plupart des hommes accusés d’abus sexuels dans l’enquête de The New Humanitarian sont des expatriés (Belges, Français, Canadiens, Ivoiriens, Guinéens, Burkinabè…) travaillant pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les autres organisations citées par l’enquête : UNICEF, Médecins Sans Frontières (MSF), Oxfam, World Vision, OIM, ALIMA… ainsi que le ministère de la Santé disent également n’avoir reçu la moindre allégation d’abus sexuels. « Si vous ne recevez pas de rapport, alors quelque chose ne va pas », pense Jane Connors, une ancienne employée de l’ONU.
Dans le cadre des réformes à l’échelle de lONU, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a demandé à toutes les entités des Nations Unies de signaler les allégations d’abus à son bureau. Les chiffres doivent être introduits dans une base de données en temps réel et compilés sur un site Web des Nations Unies.
Pour ce qui est de l’avenir, les responsables de l’aide humanitaire et les analystes estiment qu’il faudra désormais explorer plusieurs pistes pour atténuer les abus sexuels dans le cadre de l’aide humanitaire internationale. Une récente étude sur l’aide humanitaire en RDC, commandée par le gouvernement britannique, souligne qu’on ne doit plus « continuer à mettre les femmes et les filles dans ces situations à risque et à attendre que les résultats changent. Les systèmes mis en place sont « très mûrs pour l’exploitation », car il y a des gens qui ont accès aux biens et aux ressources et qui les apportent aux communautés qui en ont vraiment besoin.
L’UNICEF a indiqué qu’il avait dépêché du personnel supplémentaire pour aider à l’enquête sur le terrain et promis de travailler de concert avec les autres agences de l’ONU impliquées ainsi que les ONG sur le terrain. « Nous avons zéro tolérance pour l’exploitation et les abus sexuels et nous prenons toutes accusations très au sérieux. Il y a aura de sérieuses conséquences pour tout membre du personnel qui auraient abusé sexuellement des gens », promet l’organisation dans un communiqué.
Le fonds appelle ainsi les victimes « à se faire connaître » et affirme avoir mis en place depuis deux ans un système sûr pour que femmes et enfants puissent dénoncer ces actes en toute sécurité, mais aussi une formation obligatoire pour sensibiliser à ce sujet. Pour sa part, l’OIM a indiqué qu’elle va immédiatement mener l’enquête sur l’un de ses employés contre lequel ont été porté « de sérieuses accusations ».
Atteinte à la confiance
« Ces abus par des employés de l’ONU et d’autres travailleurs humanitaires sont une atteinte insupportable à la confiance dans ceux qui ont pour mandat d’apporter du réconfort, souvent dans des conditions humanitaires très difficiles », souligne l’OIM, qui promet aussi d’améliorer la façon dont les victimes peuvent rapporter ces abus, reconnaissant qu’elles ont parfois « hésité à se confier » de peur de s’exposer à des représailles.
Face à ce chapelet de bonnes intentions, des observateurs mettent en exergue des rapports confidentiels mettant en lumière une « accumulation d’erreurs et de dysfonctionnements » qui interrogent sur la capacité des Nations Unies à lutter contre la corruption, les abus ou crimes sexuels ainsi que contre d’autres pratiques honteuses. D’après eux, ce n’est pas le rôle des agences de l’ONU d’enquêter seules sur les allégations, les gouvernements d’accueil et d’origine des travailleurs humanitaires devraient aussi être associés aux enquêtes ou mener les leurs propres.
Les nombreux témoignages des femmes de Beni montrent que la corruption et les abus sexuels sont des pratiques répandues au sein des agences onusiennes et des ONG internationales. Des femmes ont déclaré aux enquêteurs de TNH d’avoir été soulées d’alcool, d’autres prises de force dans des bureaux ou hôpitaux, et d’autres encore d’avoir été séquestrées dans des chambres d’hôtels. Par exemple, une femme âgée de 44 ans a confié que pour obtenir un emploi, elle avait eu des relations sexuelles avec un homme qui prétendait être un travailleur de l’OMS. Pour elle, il est hors de question de travailler dans la riposte à Ebola sans avoir à offrir quelque chose. Selon les témoignages, la plupart des femmes ont été recrutées comme cuisinières, femmes de ménage et travailleuses de proximité, embauchées sous contrat à court terme, gagnant entre 50 et 100 dollars par mois, soit le double ou plus du salaire normal. Au moins deux femmes ont déclaré être tombées enceintes à la suite des abus sexuels…
L’OMS a déclaré qu’elle examinait un « petit nombre » de rapports d’abus ou d’exploitation sexuels au Congo, mais a refusé de dire s’ils avaient eu lieu pendant l’épidémie d’Ebola dans l’Est du pays qui a fait plus de 2 200 décès. « Nous ne tolérerons un tel comportement de la part d’un de nos employés, sous-traitants ou partenaires », a déclaré Fadéla Chaib la porte-parole de l’OMS, réitérant la politique de « tolérance zéro » de l’agence. Malgré les politiques de « tolérance zéro » et les promesses de l’ONU et des ONG de réprimer de tels abus, à la suite des dénonciations en Haïti et en République centrafricaine, voilà que ces pratiques continuent à être dénoncer.
La plupart des agences d’aide humanitaire et des ONG internationales contactées par The New Humanitarian et la Fondation Thomson Reuters ont déclaré avoir reçu peu ou pas des plaintes pour abus sexuels ou exploitation contre leurs travailleurs au Congo. Selon l’enquête, les allégations sont portées contre les employeurs de l’OMS qui a déployé plus de 1 500 personnes dans la riposte à Ebola à Beni mais aussi contre les agents du ministère de la Santé.
Des travailleurs des ONG internationales, telles que World Vision, l’association caritative médicale ALIMA, OIM, Médecins sans frontières (MSF) sont également mis en cause. L’UNICEF a refusé de citer deux organisations de bienfaisance partenaires intervenant dans la lutte contre Ebola impliqués dans cette affaire. L’OMS et la plupart des ONG d’aide humanitaire impliquées dans la riposte à Ebola disent avoir mis en place des politiques pour prévenir et signaler les abus sexuels.