Les 28 mesures économiques : ce qui en reste

Telle une érosion sous la pression des eaux, l’inflation enfle. À fin juin, elle s’est située à 7,399 % au niveau national et à 7,896 % à Kinshasa, selon la mercuriale de l’INS. Qui fait remarquer qu’à la même période en 2016, elle était de 0,486 % au niveau national et de 0,502 % dans la capitale.

La tendance de tous les paramètres économiques révèle quelques risques que le pays encourt si des solutions idoines ne sont pas prises. Le premier risque est que la pénurie en devises étrangères va presser la capacité de la RDC à importer de façon durable des biens de base car la dépréciation du franc par rapport au dollar se révèle une inflation croissante. Le deuxième risque est le recours de financement monétaire à la suite de l’éventuelle expansion des dépenses publiques du fait des échéances électorales. La RDC doit explorer différentes façons de financer et de maintenir l’espace budgétaire. À cet effet, le risque est la compromission des perspectives de croissance à long terme du pays et son émergence à l’horizon 2030.

Au cours de la semaine du 26 juin au 1er juillet, l’inflation a été à 1,554 % au niveau national et à 1,574 % à Kinshasa. En cumul, elle se situe à 20,766 % au niveau national et à 20,425 % dans la capitale, tandis qu’en annualisée, elle se situe à 45,854 % au niveau national et 45,021 % au niveau de Kinshasa. En glissement annuel, l’inflation est de 32,859 % au niveau national et 33,204 % au niveau de la capitale. Selon l’Institut national de la statistique (INS) qui fournit toutes ces données, le niveau d’inflation est consécutif  à  la dépréciation du franc sur le marché de change, occasionnant ainsi la hausse des prix, des loyers, des meubles, des articles de ménage et d’entretien de la maison, des appareils électroménagers, des matériaux de construction, des pièces de rechange pour véhicules et des services de mécanicien. Les prix des produits pharmaceutiques, des examens et services médicaux, des services d’hébergement et de restauration, des services de transport, des vêtements et chaussures, ainsi que des céréales ont également connu une hausse sur le marché. La dépréciation du franc entraîne la hausse des prix des poissons surgelés et salés, des laits et produits laitiers, des huiles importées, des boissons alcoolisées importées, des viandes, des fournitures scolaires et de bureau, des biens et services pour entretien courant de ménage et des ustensiles de cuisine.

Face à cette situation dont personne ne semble avoir aujourd’hui la maîtrise, on est en droit de se demander où est passée la campagne de vulgarisation des 28 mesures urgentes du gouvernement pour la stabilité et la relance de l’économie nationale, à la suite de la chute des cours des matières premières. Cette campagne a été lancée début mars à Kinshasa. Le gouvernement et ses partenaires du secteur privé, notamment la Fédération des entreprises du Congo (FEC), la Fédération nationale des petites entreprises (FENAPEC), la Confédération des petites et moyennes entreprises du Congo (COPEMECO) et d’autres associations patronales se sont réunis pour la mise en œuvre efficace de ces différentes mesures. Tout en dénonçant qu’elle n’ait pas été associée à la prise de ces « 28 mesures urgentes », a transmis ses propositions dans un mémorandum remis au gouvernement pour la réussite de ces mesures, qui portent à la fois sur les finances, les dépenses et les réformes.

Selon l’ancien ministre de l’Économie, Modeste Bahati Lukwebo, propulsé ministre d’État et ministre du Plan dans le gouvernement actuel, elles doivent être mises en œuvre selon une approche bidimensionnelle caractérisée, d’une part, par l’application des actions correctives visant à stabiliser la situation économique, et d’autre part, par des initiatives prospectives ayant l’ambition d’exploiter les secteurs économiques porteurs, jusque-là insuffisamment voire pas du tout considérés, dans le but d’apporter des revenus nouveaux et substantiels à l’État et d’amorcer le processus de diversification de l’économie congolaise.

La baisse des cours des minerais a conduit au ralentissement de la croissance de la production. C’est pourquoi, le gouvernement a notamment décidé de lutter contre la fraude fiscale et douanière dans les secteurs de l’économie, des télécommunications et des transports. Parmi ces mesures, le gouvernement a aussi décidé d’auditer des contrats d’amodiation et de partenariat conclu avec les sociétés minières de l’État.

Mais aussi de mettre plus de rigueur dans l’octroi des exonérations, la réduction des taxes à l’exportation de certains produits, de renforcer le contrôle des Sim box et l’autorisation donnée à l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications du Congo (ARPTC) de signer des contrats de partenariat avec des sociétés spécialisées…

La baisse des produits de base a également entraîné la baisse du moral des chefs d’entreprises, des exportations et des réserves internationales du pays ainsi qu’une contraction des réserves budgétaires à la disposition de l’État. L’installation des compteurs à prépaiement par la Société nationale d’électricité (SNEL) pour le recouvrement des factures de consommation d’énergie électrique, figure aussi parmi les mesures adoptées. Le compte-rendu du conseil des ministres annonçait aussi la réduction du train de vie des institutions publiques ainsi que l’encadrement et la rationalisation des dépenses publiques par une action d’harmonisation des salaires et émoluments au sein desdites institutions, le contrôle de la paie des fonctionnaires et des frais de fonctionnement et le strict respect de la loi relative à la procédure de passation des marchés publics pour les dépenses liées aux élections, le respect de la chaîne des dépenses.

Affaire nationale

Selon le ministre d’État, Modeste Bahati Lukwebo, en prenant ces mesures, le gouvernement a voulu que, dans l’immédiat, la grave crise qui secoue aujourd’hui les pays de la région, du fait de la baisse drastique des cours des matières premières, mais également du fait que les structures de nos marchés intérieurs tout comme des pays voisins demandent que l’on puisse « réajuster certaines pratiques ». La FEC et les autres partenaires du gouvernement ont souscrit à cette démarche.

À l’époque, le président national de la FEC, Albert Yuma, avait fait remarquer qu’il ne s’agissait à savoir si ces mesures sont bonnes ou pas. L’important, c’était de se pencher ensemble sur l’applicabilité et surtout de quantifier les résultats escomptés, mesure par mesure. Le gouvernement et ses partenaires du secteur privé s’étaient alors fixé rendez-vous en mars, en vue d’harmoniser les mesures d’urgence avec le mémorandum de la FEC.

En juillet 2016, le conseil des ministres a fait l’évaluation du niveau d’exécution de ces 28 mesures urgentes pour faire face à la crise économique provoquée par la chute de cours des minerais sur le marché mondial. En décembre 2016, au moment où Augustin Matata quittait cédait le fauteuil de 1ER Ministre à Samy Badibanga, l’économie nationale a continué à rencontrer des difficultés, en dépit des mesures économiques urgentes pour stabiliser et relancer l’économie du pays secouée. Ces mesures sont axées fondamentalement sur les trois volets que sont l’augmentation des ressources financières, la rationalisation et l’encadrement de la qualité de la dépense, et la mise en œuvre des réformes structurelles à impact rapide.

Après donc plus d’une année de mise en œuvre de ces mesures, la situation économique du pays ne s’est guère améliorée. Il apparaît, dans presque l’ensemble des indicateurs économiques du pays, des signaux rouges comme pour illustrer la nécessité d’accélérer sur certains paramètres de transformation économique.

Les difficultés de l’économie ont, par conséquent, à plusieurs reprises, contraint le gouvernement à revoir à la baisse, les prévisions de croissance du pays, les réserves officielles de change ; à la hausse, les estimations de plusieurs indicateurs du cadre macroéconomique tels que l’inflation, le taux de change, le taux directeur de la Banque centrale du Congo (BCC), le taux de coefficient des réserves obligatoires des banques commerciales…

En outre, il est observé sur le marché la pénurie en devises étrangères et la dépréciation de la monnaie locale. Cette situation a contribué à accélérer le rythme de la formation de prix dans un contexte de forte tension politique et des perspectives économiques floues, ce qui rend les risques d’instabilité particulièrement élevés.

Le franc, la monnaie nationale continue de se déprécier, malgré les efforts de la Banque centrale pour répondre à la demande des devises étrangères. Le taux de change a dépassé 1 500 CDF pour 1 dollar sur le marché parallèle. Afin de réduire cette pression sur la monnaie locale, la Banque centrale du Congo a poursuivi ses interventions d’injection mensuelle de devises étrangères sur le marché de change. Cet effort financier de l’Institut d’émission est destiné à atténuer les effets des cours de change, à rendre disponible les devises sur le marché de change et à réduire ainsi la forte demande exercée par le secteur des importations et pour d’autres besoins de transaction.

Cependant, ces interventions restent insuffisantes pour combler les besoins réels du marché exprimés par les banques commerciales qui sont estimés à plus de 100 millions de dollars.

Descente aux enfers

Pendant que les tensions sur le marché des changes s’accentuent, les réserves de change continuent de baisser. Les réserves officielles de change ont chuté en dessous de 1 milliard de dollars en octobre 2016, pour la première fois depuis 2008, soit 4,1 semaines d’importations. Actuellement le niveau de réserves représenterait moins de 500 millions de dollars. En conséquence, la Banque centrale a relevé son principal taux d’intérêt à 20 %. Par ailleurs, la BCC a relevé, depuis le 19 octobre le taux de coefficient des réserves obligatoires qui est passé de 9 à 12 % pour les comptes à vue, de 10 à 13 % pour les dépôts à terme. L’objectif est d’amener les banques à ne pas transformer à tout moment des dépôts en francs en devises étrangères.

L’espace budgétaire ne cesse de diminuer avec la baisse des revenus et des pressions continues pour maintenir ou accroître les dépenses. Le solde budgétaire s’est tourné vers un déficit autour de 500 millions de dollars en 2016 contre 14 millions un an plus tôt. Selon le tableau des opérations financières du ministère du Budget, le taux d’exécution des dépenses de fonctionnement des institutions politiques (présidence, Parlement et la primature) ont presque atteint 90 % de l’allocation du budget 2016. Au même moment, les dépenses en capital n’étaient exécutées qu’à concurrence de 0,2 % des prévisions.

Face aux enjeux politiques et économiques de l’heure, sur instruction du président de la République, Joseph Kabila Kabange, les membres du gouvernement de la commission ECOFIN sont venus à la rencontre du secteur privé représenté par la FEC, la FENAPEC et la COPEMECO, à la recherche des solutions concertées et durables visant à sauver l’économie nationale en péril et, à très court terme, à assurer l’approvisionnement du pays en produits de première nécessité. Pour rappel, en cette période de basse conjoncture, les entreprises du secteur privé sont poussées, soit à la suspension, soit à la fermeture des activités de certaines d’entre elles avec risque de survenance des tensions sociales. En plus de ce ralentissement des activités économiques, les entreprises sont confrontées aussi bien au niveau central que provincial, à la création sans fondement des droits, taxes et redevances ainsi qu’à l’augmentation de leurs taux, à de nombreux contrôles de services d’assiette et des régies financières ainsi que d’autres services publics tels que les institutions judiciaires et l’Inspection générale des finances…

Ainsi, afin de restaurer la confiance des opérateurs économiques, les représentants du secteur privé ont formulé comme mesures urgentes: le recourir aux financements extérieurs et aux dons afin de contenir le taux de change et stabiliser les prix intérieurs ; et la réduction davantage le train de vie de l’État par la suppression des dépenses non indispensables ; la suppression de la TVA dans les secteurs miniers et pétroliers, sur les produits de première nécessité ;  rassurer davantage le petit nombre d’entreprises opérant encore dans le formel en leur accordant un moratoire (de trois mois) sur le contrôle fiscal, douanier, des recettes non fiscales et économique ;

revoir à la baisse le barème de l’IPR (impôt professionnel sur les revenus) afin de sauvegarder tant soit peu le pouvoir d’achat des gagne petits.

Comme mesures structurelles : créer à la BCC un guichet de financement en francs du secteur de l’agriculture et mettre en place un fonds de garantie pour faciliter aux PME d’accéder aux financements ; promouvoir la production intérieure pour diminuer la dépendance du pays vis-à-vis des importations ; accroître quantitativement et qualitativement l’offre de l’énergie en facilitant de nouveaux investissements dans ce secteur ; mettre en place des mécanismes facilitant aux PME l’accès aux marchés de sous-traitance et encourager ainsi la création d’une classe moyenne congolaise ; revisiter les arrêtés ministériels qui ont créé de nouveaux droits, taxes et redevances ainsi que la majoration de leurs taux ; accélérer l’adoption et la promulgation du projet de loi sur les prix et la concurrence en vue de mettre fin à la situation de monopole et de représentation exclusive des produits importés ; amender certaines dispositions de la loi portant principes fondamentaux de l’agriculture en ce que celle existante ne sécurise pas les investisseurs ; et mettre en place l’Autorité de régulation des assurances.

Réaction rapide

À l’issue de la concertation entre le gouvernement et le secteur privé représenté par les conseils d’administration de la FEC, la FENAPEC et la COPEMECO, le ministre des Finances ; Henri Yav Mulang, a instruit les responsables des régies financières de convoquer la commission tarifaire afin de statuer sur l’opportunité de suspendre tant à l’importation qu’en régime intérieur la perception de la TVA sur tous les produits de première nécessité.

Il s’en est suivi que la commission a recommandé la suspension pour une durée de trois mois les perceptions de la TVA ; de suspendre les contrôles fiscaux et douaniers afin de bannir tous les contrôles improvisés à caractère tracassier.

Au mois de mai, le président Kabila a présidé lui-même la réunion du Comité de pilotage de la mise en œuvre de 28 mesures économiques urgentes du gouvernement à Kinshasa. À l’ordre du jour, évaluer l’exécution de ces mesures adoptées le 26 janvier 2016 pour la stabilisation et la relance de l’économie nationale.

Le ministre d’État au Plan, Modeste Bahati Lukwebo, a annoncé à la suite d’une réunion interministérielle qu’il a présidée, « la mise en œuvre des décisions et orientations du chef de l’État » sur les 28 mesures urgentes. Bahati a fait savoir que l’application de ces 28 mesures urgentes débutera par « la lutte contre la fraude économique, fiscale et douanière ». Des équipes mixtes chargées d’effectuer des contrôles dans les secteurs précités seront constituées à cet effet.

L’envoi d’une mission d’enquête auprès des entreprises qui s’adonnent au cumul des marges bénéficiaires, l’évaluation et l’audit des contrats d’amodiation et de partenariat conclus avec les sociétés minières de l’État, la sélection rigoureuse dans l’octroi de nouvelles exonérations et l’évaluation de celles en cours, la réduction des taxes à l’exportation de certains produits, font également partie des matières de contrôle.

La mission consistera également à encadrer des recettes dans les principaux centres d’ordonnancement du pays ; à contrôler dans le secteur de transports et voies de communication, en application de l’ordre opérationnel relatif à la limitation du nombre de services aux frontières, d’une part, et, d’autre part, au marquage moléculaire du carburant, au renforcement du contrôle du Sim box ; à permettre à l’Autorité de régulation de la postes et des télécommunication du Congo à signer des contrats de partenariat avec des sociétés spécialisées, en application du décret du 1ER Ministre obligeant tout opérateur économique à s’affilier à une organisation patronale de son choix.

Il s’agit aussi de l’élargissement de l’assiette fiscale, notamment en fiscalisant le secteur informel ; l’évaluation des partenariats avec les opérateurs économiques du secteur des télécommunications afin d’en résilier ceux jugés non rentables ; la réduction à la baisse du pourcentage de la prime octroyée aux aviseurs, à sanctionner sévèrement tous les responsables politiques, militaires ou autres ayant favorisé ou couvert la fraude ; ainsi que de la mise en œuvre de la mesure de performance pour renforcer l’efficacité des agents du fisc et des douanes et des mandataires des entreprises du portefeuille de l’État en renforçant les sanctions positives ou négatives.

Pour réformer le système fiscal, il faudra notamment unifier l’administration fiscale et accélérer la mise en place du système de gestion informatisé des contribuables permettant l’interconnexion de toutes les administrations financières.

La FEC était représentée à cette réunion interministérielle par le vice-président national chargé des PME, Dieudonné Kasembo. En tant que partenaire du gouvernement, la FEC a été invitée à à faire des propositions sur la mise en œuvre de ces 28 mesures, étant donné que certains de membres de cette corporation sont aussi victimes de la fraude. La FEC tient à élargir l’assiette fiscale car, dit-t-elle, plus qu’on va ramener les gens vers le formel, tous seront bénéficiaires et se déclare de ce fait disposée à accompagner le gouvernement dans cette tâche.

Le 19 juin, le ministre d’État Bahati a présidé une autre réunion interministérielle sur instruction du président Kabila. Les ministres dont les secteurs d’activité sont concernés par l’application de 28 mesures économiques urgentes initiées par le président de la République ont été présents à ce deuxième round de réunion du Comité de pilotage présidé par Modeste Bahati Lukwebo.

Il s’agit notamment de Joseph Kapika de l’Économie nationale, Jean-Lucien Busa du Commerce extérieur, Georges Kabongo de l’Agriculture. La FEC, l’Agence nationale pour la promotion de l’industrie (ANAPI) ont été associées aux discussions… Parmi les points débattus, les mécanismes d’octroi des crédits agricoles, la finalisation du projet de loi portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture. Un projet de loi qui permettra au gouvernement de procéder à la diversification de l’économie congolaise, notamment en renforçant le secteur de l’agriculture. En ce qui concerne les secteurs agricole, de la pêche et de l’élevage, les membres du Comité de pilotage de 28 mesures économiques urgentes ont recommandé un audit sérieux du parc agroindustriel de Bukanga-Lonzo et du domaine d’élevage de New DAIPN.

Cet audit permettra de se rendre compte de la gestion et du fonctionnement de ces deux projets qui ont coûté des millions de dollars au gouvernement. Il a été aussi question de la création de la société mixte de pêche industrielle, de l’examen et la validation des termes de référence relatifs aux missions de contrôle sur la fraude économique, fiscale et douanière ainsi que de la commission des équipes de contrôle.  Des équipes d’experts issus de divers horizons ont été constituées, en vue de mener des missions de contrôle dans les différents postes frontaliers et autres structures de l’État.