DES NOUVELLES, faits supposés ou réels, qui ne sont pas de bon augure, s’enchaînent au pays. En jetant l’opprobre sur le pays, nous contribuons à ternir son image à l’extérieur. L’adrénaline a tombé. Et le pays risque de le payer cash. Tenez : le rapport de fin de mission des experts du Fonds monétaire international (FMI) en République démocratique du Congo a été présenté, la semaine dernière, au conseil d’administration du Fonds. Avec toute cette polémique au pays sur la gestion des finances publiques, pendant tout le mois d’août, il y a bien crainte d’entrevoir avec sérénité, suivant les recommandations dudit conseil, les négociations, fin septembre, pour la conclusion d’un nouveau programme avec le FMI, fin 2019 ou début 2020.
Le 18 juin dernier, l’agence Moody’s a abaissé la note de la dette souveraine de la RDC et modifié les perspectives au niveau du seuil négatif stable (lire les articles en pages 3 et 4, parus dans l’édition de Business et Finances n°229, du 1er au 7 juillet). Fin juillet, un draft (Democratic Republic of Congo Outlook To Positive On Possible End of Political Impasse), sans doute un document interne (S&P Global Ratings) à Standard & Poor, une autre agence de notation, attribuait à la RDC la note « CCC+/CB3 ».
Au mois de février 2018, pour rappel, S&P Global Ratings avait confirmé les notes à long terme « CCC+ » et à court terme « C » de la dette de la RDC. La perspective restait « stable », selon l’agence de notation. Décryptage : la capacité du pays à rembourser ses engagements financiers actuels et futurs demeure encore précaire, bien que les obligations liées au service de la dette soient minimes à court terme. Selon des experts, cette fragilité était liée à l’impasse politique persistante, en raison du contexte marqué par la non tenue des élections générales, surtout présidentielle et législatives, prévues initialement en novembre 2016. Pour S&P Global Ratings, la perspective « stable » accompagnant la note reflétait à la fois les « anticipations des troubles politiques persistants et l’absence de dette commerciale arrivant à échéance dans le courant de l’année ».
Toutefois, l’agence indiquait qu’elle pourrait envisager de relever les notes de la RDC dans les 12 prochains mois. Seulement si la crise politique est résolue, conduisant au rétablissement du financement par les bailleurs de fonds et d’une dynamique des flux d’investissements directs étrangers (IDE) soutenue. Et seulement si la production et les prix du cuivre et du cobalt augmentent bien au-delà des anticipations, contribuant à améliorer nettement la liquidité extérieure et budgétaire.
Par contre, la note pourrait baisser s’il s’avérait que le gouvernement détient de la dette commerciale arrivant à échéance au cours de l’année et si on anticipait un défaut. Certes, les élections présidentielle et législatives ont eu finalement lieu en décembre 2018. Mais les observateurs estiment que les risques politiques et sociaux restent importants.
S&P plutôt optimiste
Le 2 août dernier, S&P Global Ratings a révisé les perspectives de sa note de crédit souverain à long terme sur la RDC pour qu’elle devienne stable, et a confirmé sa position «CCC + / C» à long et à court terme. Voici, par ailleurs, un résumé du document interne de fin juillet, dont un vent favorable a fait atterrir une copie dans les rédactions de Business et Finances : « À notre avis, la diminution des tensions internes en République démocratique du Congo, combinée à l’amélioration des relations internationales, pourrait créer un environnement propice à une croissance économique plus large. Cela pourrait permettre au pays de collecter de nouveaux fonds auprès des fournisseurs externes et des donateurs et de renforcer ses réserves externes et liquides. Nous révisons donc de manière stable les perspectives concernant la RDC et confirmons nos notations de crédit souveraines «CCC + / C» sur le pays.
Cette perspective positive signifie que nous pourrions augmenter les notes attribuées à la RDC au cours des 12 prochains mois si la nouvelle administration réussissait à obtenir un soutien financier extérieur suffisant de la part de partenaires internationaux et si elle continuait à effectuer ses paiements sur la dette commerciale à temps et en totalité.
Nous pourrions ramener les perspectives à la stabilité si les tensions internes s’intensifiaient, menaçant les institutions déjà faibles de la RDC et son économie fragile. Compte tenu de la faiblesse des marges de manœuvre du pays, nous pourrions également ramener les perspectives à la stabilité si les pressions externes dépassaient nos attentes actuelles.
La logique de l’agence
La révision des perspectives indique que la diminution des tensions internes en RDC, conjuguée à l’amélioration des relations internationales, pourrait créer un environnement de renforcement de la stabilité politique. Cela favoriserait une croissance économique plus large et des institutions plus fortes. Cela dit, nous pensons que les tensions internes risquent de dégénérer à cause des accusations de fraude et du manque de transparence autour de l’élection présidentielle. La coalition entre le président nouvellement élu, Tshisekedi, et le parti qui soutient Joseph Kabila, l’ancien président, est tendue. Ceci, combiné à des réserves de sécurité très faibles et à une vulnérabilité élevée à une détérioration des conditions extérieures, pourrait menacer les institutions déjà faibles de la RDC et son économie fragile.
En conséquence, nous considérons toujours que la capacité de la RDC à honorer ses engagements financiers à moyen et à long termes dépend des conditions commerciales, financières et économiques favorables. Nous comprenons également que très peu de l’encours de la dette commerciale du pays viendra à échéance avant 2022, ce qui rend peu probable un défaut de paiement significatif à l’horizon de prévision. Nos informations suggèrent que le stock de la dette financière du pays est principalement constitué des arriérés de paiement existants et de la dette extérieure courante récemment renégociée.
La diminution des tensions politiques internes et l’amélioration des relations internationales pourraient permettre au gouvernement de mener à bien les réformes structurelles indispensables et de soutenir une croissance diversifiée. Cependant, la stabilité politique intérieure reste fragile, compte tenu des accusations de fraude électorale, des doutes généralisés sur la crédibilité du résultat et de la complexité de l’accord de coalition. L’augmentation des investissements publics et la hausse des prix du cuivre et du cobalt soutiendront la croissance du PIB réel dans les années à venir.
Après les élections présidentielles longtemps retardées et malgré de nombreuses accusations de fraude et de manque de transparence, les tensions internes se sont apaisées au cours des derniers mois. À mesure que les relations internationales s’améliorent, nous pourrions constater une stabilité politique accrue, susceptible de soutenir une croissance économique plus large, des réformes structurelles et des institutions plus solides.
En juin 2019, le FMI a tenu ses premières consultations au titre de l’article IV dans le pays depuis 2015. Nous croyons comprendre que des pourparlers sont en cours avec les partenaires internationaux pour tenter d’obtenir un soutien financier, que nous considérons essentiel pour renforcer la position extérieure fragile du pays et financer le président Tshisekedi.
Cependant, il n’est pas encore clair si le nouveau président a la capacité de réduire durablement les tensions internes…
… Le parti pro-Kabila a remporté la majorité aux élections législatives et dans 22 des 26 assemblées provinciales, contraignant le président Tshisekedi à accepter de former une coalition au pouvoir.
Nous prévoyons que les luttes de pouvoir compliqueront le processus de prise de décision; même accepter un nouveau gouvernement a été très difficile. Si les tensions au sein de la coalition s’aggravaient, nous nous attendons à ce qu’il soit difficile de prendre et d’appliquer des décisions politiques. La situation politique reste incertaine et tendue, ce qui pourrait représenter une menace pour la stabilité politique intérieure.
Le secteur minier représente environ 25 % du PIB et 95 % des exportations de la RDC et nous prévoyons qu’il restera un moteur de croissance important. Le PIB a augmenté de 5,8 % en 2018, soutenu par surperformance dans la production minière.
Nous prévoyons une décélération de la croissance en 2019, la baisse récente des prix du cobalt ayant eu une incidence négative sur la production. À moyen terme, nous prévoyons une augmentation graduelle des prix et des volumes de cuivre et de cobalt (voir ‘Hypothèses de prix du métal pour le minerai de fer selon S & P Global Ratings’. 8 juillet 2019.) La RDC est le leader mondial de la production de cobalt et la demande pour la production de batteries, en particulier de véhicules électriques, a fortement augmenté.
Une augmentation substantielle des investissements publics, conformément aux priorités du président Tshisekedi, devrait soutenir la croissance dans les années à venir. Des réformes structurelles ont été annoncées pour résoudre les problèmes liés à l’environnement commercial et à la gouvernance, augmenter les revenus non miniers et renforcer le capital humain. Nous estimons que cela pourrait aider à diversifier l’économie et à améliorer les perspectives de croissance à moyen terme. Cependant, nous nous attendons à ce que les luttes de pouvoir politiques ralentissent la mise en œuvre de ces réformes.
Nous estimons le PIB par habitant à environ 600 dollars en 2019. Il s’agit du deuxième plus faible des souverains que nous évaluons, après le Mozambique (voir «Indicateurs de risque souverain», publié le 11 juillet 2019). Nous prévoyons que la croissance du PIB réel ralentira à une moyenne de 4,2 % du PIB en 2019-2022, contre environ 7 % en 201-2016. Les développements politiques pourraient modifier considérablement nos prévisions.
L’appui financier des partenaires de développement pourrait aider à renforcer la position extérieure fragile du pays. La gestion de la dette en RDC a toujours été faible. Les prix des mines continueront d’alimenter les recettes externes et fiscales. Les termes de l’échange ont toujours été volatils, car presque toutes les exportations proviennent du secteur minier.
Nous prévoyons une augmentation progressive des prix du cuivre et du cobalt au cours des prochaines années pour soutenir les recettes d’exportation. Dans le même temps, les importations augmenteront probablement du fait de la demande intérieure accrue, des investissements publics et de la demande de services du secteur minier.
Les réformes visant à améliorer la gouvernance et l’environnement des entreprises et à attirer de nouveaux investissements risquent donc de prendre du temps. Cela dit, la RDC est la clé de la production mondiale de cuivre et de cobalt. Par conséquent, malgré les risques politiques et sociaux qui pèsent sur les entrées d’investissements étrangers, nous prévoyons qu’elles resteront à environ 3,5 % du PIB.
Nous nous attendons à ce que les réserves en devises augmentent dans les années à venir mais restent insuffisantes. Nous comprenons que les négociations avec les partenaires de développement internationaux sont en cours; un soutien financier extérieur pourrait renforcer l’accumulation de réserves à l’avenir.
À notre avis, les risques macroéconomiques découlant de l’épidémie d’Ebola dans l’Est du pays sont contenus. L’Organisation mondiale de la santé a récemment déclaré que l’épidémie était une urgence internationale, ce qui devrait renforcer l’implication indispensable de la communauté internationale et soutenir ainsi le solde du compte courant.
Nous notons que les données externes disponibles pour la RDC présentent des lacunes et des lacunes importantes. Nous pouvons réviser nos données si des statistiques mises à jour sont disponibles. Nous nous attendons à ce que le solde des administrations publiques devienne un léger déficit, comme le nouveau gouvernement peut avoir besoin de dépenser plus d’aide sociale pour limiter les tensions domestiques. Il prévoit également d’accroître les investissements publics.
Contraintes budgétaires
La RDC a été contrainte de respecter les contraintes budgétaires et de maîtriser son déficit budgétaire, ce qui l’a obligée à réduire considérablement ses dépenses en capital ces dernières années. L’impasse politique, combinée aux risques perçus de détournement de fonds, signifiait que la plupart des donateurs étaient réticents à financer la RDC. En outre, la capacité du gouvernement à générer des recettes substantielles par le biais de la fiscalité est limitée par la grande économie informelle et la faible capacité administrative de l’État.
Nous prévoyons que les produits d’exploitation augmenteront principalement en fonction des prix et de la production de cuivre et de cobalt. Toute augmentation des recettes non minières dépendra du rythme de mise en œuvre de la réforme, à notre avis. Le solde budgétaire de la RDC lui a été bénéfique en maintenant des stocks de dette faibles au cours des années qui ont suivi l’allégement de la dette accordé au pays dans le cadre de l’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE) de 2010.
Nous nous attendons à ce que, à mesure que le gouvernement améliore ses relations avec les partenaires internationaux, la valeur nette de la dette des administrations publiques augmente progressivement jusqu’en 2022, tout en restant globalement stable par rapport au PIB. Les paiements d’intérêts sur les revenus resteront également faibles, compte tenu de l’accès limité du Congo aux dettes commerciales.
La majeure partie de la dette des administrations publiques est extérieure et en devises, mais nous comprenons que très peu des échéances de la dette commerciale de la RDC se situent dans notre horizon de prévision. Le gouvernement a garanti des prêts d’infrastructure publics à Sicomines, la coentreprise minière sino-congolaise. Toutefois, selon les termes de l’accord, la garantie sur toute dette d’infrastructure laissée en suspens ne peut être appelée qu’après 2034. L’encours garanti est d’environ 2,5 milliards de dollars américains.
La gestion de la dette en RDC a toujours été faible; elle a des arriérés importants envers ses créanciers depuis des décennies. Le gouvernement a toujours des arriérés intérieurs, tels que les salaires dus à ses anciens employés; arriérés envers les fournisseurs et les entrepreneurs; et les arriérés de bons du Trésor non payés émis dans les années 1980. Il a également signalé des arriérés à certains créanciers extérieurs, notamment à des banques commerciales étrangères (London Club), antérieurs à l’initiative PPTE. Cependant, nous considérons maintenant que ces valeurs par défaut sont un problème hérité du passé; ils ont probablement été radiés par les banques créancières. Les créanciers d’origine ont vendu leurs créances à des investisseurs en dette en difficulté. En juillet 2014, un tribunal de New York a confirmé la plainte de deux groupes d’investisseurs basés aux États-Unis (Themis Capital et Des Moines Investments) contre le gouvernement et la Banque centrale de la RDC pour le non-paiement d’une partie de cette dette.
Nous croyons comprendre que les deux parties ont signé un accord juridique au début de 2018. La RDC s’est engagée à verser 13 millions de dollars à Themis Capital et Des Moines Investments d’ici 2021. Le premier versement (1,5 million de dollars) a été effectué en juin 2018 et le second (2 millions de dollars) en avril 2019. La dette extérieure de 3,3 milliards de dollars de la RDC se compose principalement de dettes restructurées du ‘Club Kinshasa’ et de dettes multilatérales. Il a également une dette garantie de 2,5 milliards de dollars liée à Sicomines et une dette intérieure de 1,9 milliard de dollars de l’administration centrale. Nous prévoyons que l’augmentation des recettes d’exportation et de l’investissement étranger direct dans le secteur minier, en raison de la diminution des tensions sur le marché intérieur, permettra de financer les besoins en devises et limitera ainsi les pressions sur le franc congolais et l’inflation. Le mécanisme de transmission de la politique monétaire reste très faible compte tenu de la faible profondeur des marchés financiers et de la forte dollarisation (plus de 80 % des dépôts et 90 % des emprunts).