IL FAIT GRIS. Le ciel est couvert. Les rayons du soleil ne filtrent que très peu derrière la masse nuageuse. Et, de toute façon, la luminosité n’est jamais de longue durée: le soleil se couche en fin d’après-midi. C’est l’hiver. Ça vous déprime. Alors, parfois, pour contrer cette morosité ambiante, vous décidez d’enfiler une écharpe vert prairie, un manteau jaune d’or, un pull rouge cerise ou un T-shirt bleu électrique. Comme si la coloration de votre garde-robe avait le pouvoir de vous remonter le moral – c’est en tout cas l’objectif. Une stratégie vestimentaire qui peut s’avérer opérationnelle. Sauf que ce ne sont pas vraiment les couleurs qui vont jouer sur votre psychisme en berne, et ce, même si votre cerveau est aux commandes.
Comme l’explique John Maule, chercheur post-doctorant qui travaille sur la perception et le discernement des couleurs, « il n’y a pas vraiment de preuve scientifique appuyant l’hypothèse que la couleur a un effet direct sur l’humeur ». Lui qui est pourtant membre du Sussex Colour Group n’a pas même connaissance de confrère ni de consœur travaillant sur cette question (ce qui est, remarque-t-il, étonnant au vu de cette conviction partagée que porter des couleurs vives a quelque chose de dynamisant et influerait positivement notre psyché).
« Bien sûr, les gens peuvent associer certains vêtements avec un sentiment de mieux-être. Mais ça ne veut pas dire que c’est la couleur en tant que telle qui en est à l’origine ni qu’un habit d’une autre couleur ne pourrait pas être associé aussi fortement avec ce sentiment », précise-t-il. C’est bien pour cela qu’« il n’existe pas de prescription médicale d’une couleur de vêtement pour aller mieux », comme le constatait le psychiatre Michel Lejoyeux dans un article de Madame Figaro publié en octobre 2018. Pas de réaction physiologique automatique: de la même façon que l’on ne s’arrête pas par réflexe face au rouge ni n’avance au vert, on ne se déride pas en endossant une couleur dite gaie. C’est culturel!
La psychologue et psychanalyste Ludivine Beillard-Robert, qui a mené une thèse sur la psychopathologie du corps féminin habillé, convoque l’exemple d’une patiente qui avait revêtu une jupe jaune vif au travail. « Tout le monde lui avait fait la remarque qu’elle était lumineuse, qu’elle amenait un rayon de soleil. Elle était assez étonnée que ce vêtement ait égayé la journée de ses collègues. Pour elle, sa jupe était jaune, point. » C’est en fait cette association symbolique, laquelle varie suivant les cultures, qui peut amener à s’attifer avec des couleurs chaudes ou éclatantes pour booster son moral.
Les couleurs sont symboliques
Ce n’est pas tant que l’on croit profondément que le tissu va rendre notre journée ou notre vie plus éclatante, c’est davantage que l’on endosse un costume, celui d’un personnage chatoyant. Parce que les couleurs sont symboliques, comme le rappelait l’historien spécialiste des couleurs et des symboles Michel Pastoureau, notamment dans ses ouvrages « Une couleur ne vient jamais seule » (éd. du Seuil, 2017) et « Les couleurs de nos souvenirs » (Seuil, 2010). Les siècles passés les ont chargées de sens et nous n’en percevons pas seulement les longueurs d’ondes. Elles sont devenues des indices sociaux, des signes d’appartenance.
La couleur des vêtements, par l’imaginaire qu’elle convoque, peut aider à catégoriser les gens – le noir aux gothiques par exemple. Le mécanisme est le suivant, détaille Ludivine Beillard-Robert: « On ne s’habille pas que pour soi mais aussi pour l’autre social. On s’imagine que tel groupe de personne est représenté par tel habit et on veut le porter pour s’y inclure. C’est un peu comme si c’était le dossard d’une équipe. » C’est donc à travers le regard des autres que les couleurs prennent sens et viennent accomplir leur prophétie autoréalisatrice. « L’habit est destiné à porter un message à soi et aux autres », pointait la psychiatre Catherine Joubert, co-autrice de l’ouvrage « Déshabillez-moi – Psychanalyse des comportements vestimentaires » (Fayard, 2011), dans une interview à « Psychologies » de 2015. « On a tendance à voir le vêtement comme porteur, en soi, d’une histoire. [Le mettre] devient une façon de s’approprier une autre image », ajoutait sa co-autrice et consœur Sarah Stern.
« Cintre à humeurs »
Une image marquée qui tient aussi à nos comportements. « Lorsque l’on est maussade, on va avoir tendance à se cacher et, plutôt que de s’habiller en jaune pétant, se vêtir le plus communément possible afin de se fondre dans la masse », détaille Ludivine Beillard-Robert. On associe donc les tons grisâtres à la petite déprime et les teintes pétillantes à un état d’esprit joyeux ou un caractère expansif. Pour bien montrer aux autres (et s’en convaincre par la même occasion) que l’on est gai, on se fringuera de manière colorée. Un peu comme si l’on se faisait remarquer par un grand éclat de rire.
Car la couleur a aussi ceci de notable qu’elle permet de sortir du lot. « Pendant très longtemps, il convenait de s’habiller en noir quand on était en public, d’où l’expression “noir de monde” », complète la psychanalyste. Certes, ce n’est plus le cas mais, à tous enfiler des jeans, les frusques aux couleurs pétulantes ne sont pas nombreuses. « On met de la couleur pour orienter et provoquer le regard, en espérant que cela va produire un effet. Et, de fait, cela produit un effet par contraste », qui plus est par un hiver sans soleil, expose le philosophe du corps Bernard Andrieu, entre autres auteur de l’article « Sentir sa couleur de la santé par les teintes ? Quel détournement du modèle oriental » (Communications, 2010) et de l’ouvrage « Rester beau » (éd. Le Murmure, 2017). «On parle bien de couleurs pétantes, comme si c’était quelque chose qui allait exploser à l’œil et au regard », souligne Ludivine Beillard-Robert.
Derrière ce message codifié, il y a aussi l’idée que d’« une perméabilité entre l’intérieur et l’extérieur », indiquait Catherine Joubert à Psychologies. « On se sert de la couleur comme d’un cintre à humeurs, pour exprimer et manifester la sienne dans un cadre codé », abonde Bernard Andrieu. De la même manière que l’on cherche à créer une harmonie entre la couleur de sa peau, de ses yeux, de ses cheveux et ses vêtements et à présenter une « cohérence chromatique », indique le philosophe, on croit confusément que l’« on exprime ses sentiments internes en les projetant sur ses vêtements » et que ces bouts de tissu servent à relier « corps intérieur et extérieur, surface et profondeur ». Un moyen d’exprimer son identité et d’en revêtir une nouvelle au fil de son humeur. Pas étonnant que l’idée que les couleurs vives contribuent au bien-être ne dépérisse pas.