Les conditions d’intégration et d’appropriation des marchés internationaux

L’accès des produits congolais aux marchés régionaux et internationaux dépend de plusieurs paramètres. Ces facteurs influent à la fois sur le prix bord-champ de la production, la productivité et les coûts agricoles. 

 

La relance des principales filières industrielles d’exportation de la République démocratique du Congo donne à débat, d’autant plus que leurs spécificités liées à la localisation géographique, au mode de production et à la structuration institutionnelle sont essentiellement des contraintes transversales. À l’indépendance, le réseau de transport de la RDC était un réseau multimodal incluant 152 000 km de routes et pistes, 16 200 km de voies navigables et 5 000 km de chemin de fer. Ce réseau se décomposait en trois axes intérieurs et 5 corridors de sortie.

Les trois axes intérieurs forment un triangle qui interconnecte les trois plus grandes villes du pays : Kinshasa, Lubumbashi et Kisangani. Ils sont essentiels à la fois pour approvisionner ces centres de consommation et pour évacuer les productions des principales provinces agricoles du pays. Les cinq corridors extérieurs relient le pays aux principaux marchés régionaux et internationaux : Kinshasa-Pointe-Noire ; Lubumbashi-Durban, Lubumbashi-Dar es Salam et Lubumbashi-Lobito, ouvrant le Katanga minier sur l ’Afrique australe, l’Océan Indien et l’Océan Atlantique ; et Goma/Bukavu- Mombasa ou Dar es Salam, ouvrant l’Est du pays sur l’Océan Indien. Au-delà de la réhabilitation des grands axes routiers, il est aussi indispensable d’assurer la réhabilitation et l’entretien des pistes rurales et de cantonnage qui relient les zones de production aux grands axes de transports, routiers ou fluviaux. La mise en place des péages donne des résultats mitigés.

La problématique foncière

Le problème de l’accès à la terre est un casse-tête. C’est en particulier le cas des zones où les populations se sont concentrées à cause de la fertilité des sols, de l’existence de voies de communication et de la proximité des services essentiels et des marchés pour leurs produits : bassins d’approvisionnement agricole des principales villes du pays, couloir Kongo-Central – Katanga, zones entourant la boucle du fleuve en Équateur et dans la province Orientale, et surtout dans la région des Grands lacs où la densité de la population est très élevée (plus de 200 ha/km2) et les problèmes fonciers ont été depuis longtemps à l’origine de nombreux conflits. Ces zones de haute productivité, haute densité de la population et bon accès aux marchés et services sont des zones prioritaires. À long terme, les problèmes fonciers se poseront aussi avec une acuité grandissante dans l’ensemble du pays.

Les implantations des concessions agricoles de grande taille n’est pas seulement un problème de disponibilité de terres. Il est aussi socialement et politiquement sensible, estiment des analystes. En effet, la politique coloniale et celle mise en œuvre après l’indépendance pour exploiter les ressources naturelles et agricoles du pays, dans le cadre de la loi Bakajika de 1966, ont conduit à l’octroi de très larges concessions minières, forestières ou agricoles. Dans les zones les plus propices au développement, des entreprises privées (fort potentiel, accès aux marchés) ont de facto dépossédé les populations de leurs droits fonciers coutumiers et donc de leurs moyens de production/subsistance.

Le développement accéléré du secteur agricole, en particulier celui des cultures industrielles et/ou d’exportation, ne pourra se faire qu’avec l’appui de grandes exploitations modernes, ayant accès aux marchés et capable de mobiliser les financements et services nécessaires.

L’attribution des grandes concessions sans consultation avec les agriculteurs locaux, les chefs coutumiers et sans dédommagement crée un ressentiment. Il est donc essentiel que le gouvernement puisse mettre en œuvre une réforme de la politique foncière du pays qui permettra le développement harmonieux et mutuellement bénéfique de l’agriculture moderne et de l’agriculture familiale.

Le code agricole prévoit l’établissement d’un cadastre agricole au niveau national et provincial. Le cadastre agricole a pour mission d’initier les contrats de concession agricole, assurer la bonne administration des terres rurales, constater la mise en valeur des terres agricoles… Il est nécessaire d’entreprendre rapidement une réforme de la législation foncière dans son ensemble pour l’adapter aux diverses transformations démographiques, économiques, sociales et environnementales en cours en RDC.

Accès à la main d’œuvre et au crédit

En raison d’une démographie galopante, un tissu industriel inexistant, et un chômage massif, le recrutement de la main-d’œuvre active agricole n’est pas un problème en soi. Cependant, la plupart des grandes exploitations agricoles ont des difficultés à mobiliser non seulement du personnel qualifiés (techniciens agricoles, mécaniciens, chauffeurs d’engins) mais aussi de la main-d’œuvre non-qualifiée et inactive. La guerre et la crise économique ont provoqué un exode rural massif, surtout des jeunes hommes les plus dynamiques.

L’accès au crédit est très limité dans l’ensemble de l’économie. Le système bancaire comprend plus d’une vingtaine de banques commerciales et institutions de micro-finance. Les activités des banques et des Coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC) concernent essentiellement la collecte d’épargne et le crédit à très court terme. Les taux d’intérêt sont très élevés (40-50 % pour les prêts et 16-20 % par an pour les prêts en dollar) et les crédits doivent être sécurisés par des garanties réelles que peu d’emprunteurs sont capables d’apporter. La seule institution accordant des crédits à moyen terme est le Fonds de promotion de l’industrie (FPI), une institution publique créé en 1989 pour financer l’activité économique, en particulier l’investissement.

Les prêts du FPI sont accordés à des taux hautement subventionnés (15 % par an) et la demande des investisseurs est donc forte. Cependant les ressources du FPI sont très limitées et l’obtention d’un prêt est assez difficile. De plus, les conditions de crédit (5 ans avec un an de différé au mieux) ne sont pas compatibles avec de nombreux investissements dans l’agriculture (irrigation, cultures pérennes). Par ailleurs, il n’existe pas en RDC d’institutions apportant des capitaux à risque. Les investissements dans l’agriculture, comme dans les autres secteurs de l’économie, doivent donc être financés soit sur crédit « off-shore », ce que peu d’investisseurs sont capables de mobiliser, ou sur ressources propres.

L’accès aux intrants et services agricoles essentiels 

Selon des analystes, le développement de la production agricole devra se faire, dans le court et le moyen termes au moins, presque exclusivement sur la base de l’accroissement des surfaces à cultiver. En effet, les services agricoles essentiels (accès aux semences sélectionnées et intrants, conseil, recherche) sont depuis de nombreuses années quasiment inexistants. À plus long terme, il faudra cependant que ces services soient de nouveau disponibles aux producteurs pour permettre la modernisation et l’intensification des systèmes de production et la compétitivité de l’agriculture. Il faudra reconstruire les systèmes nationaux de génération et de diffusion par la réappropriation de technologie agricole. La priorité devrait être donnée à l’accès des producteurs au matériel végétal/animal amélioré.

L’agriculture est totalement désarticulée. Tous les maillons de la chaîne semencière : recherche (INERA), service semencier public (SENASEM) et producteurs semenciers (privés, ONG) ont cessé leurs activités ou connaissent d’énormes difficultés. La recherche agronomique (INERA) est incapable de répondre aux besoins nationaux en semences de base. Les semences dites « certifiées » sont produites par quelques rares privés, des fermes semencières dites « autonomes » (anciennes fermes semencières d’État) et un réseau d’ONG encadrant des associations et des groupements paysans (certains de ces operateurs sont peu qualifiés ou même peu scrupuleux), essentiellement pour les programmes d’urgence (FAO, HCR, CICR, CARITAS) qui achètent les semences (parfois simplement du « bon à semer ») pour les distribuer aux ménages agricoles les plus démunis.