Les conflits d’intérêts en or massif du président Trump

Donald Trump est le premier Président américain à mélanger avec une telle décontraction les intérêts de son entreprise et ceux de son pays. Une situation inédite, rendue possible par la loi américaine. Et dont il commence déjà à tirer les bénéfices.

 

Défilé de limousines, photographes, voitures de police et agents de sécurité à la mine sévère… En cette veille d’investiture, le dernier né des hôtels Trump fait de l’ombre à la Maison Blanche. A deux pas de la résidence présidentielle, diplomates, consultants et hommes d’affaires sirotent des cocktails hors de prix dans son lobby tout en verre, au milieu de clients rêvant d’apercevoir un des enfants Trump.

Inauguré quelques semaines avant les élections, le palace effrayait alors les habitués de la capitale. Mais il n’a plus aucun mal à remplir ses chambres luxueuses – allant jusqu’à offrir la suite présidentielle à 500.000 dollars la semaine pour la prestation de serment du propriétaire… Symbole de l’ambiguïté de la marque Trump, le lieu est devenu pour les courtisans une sorte d’antichambre du pouvoir. « Pourquoi me priver d’une occasion de dire au président tout le bien que je pense de son hôtel », admet sans complexe un diplomate asiatique qui y a déjà ses habitudes ?

Porosité inédite mais pas illégale

Donald Trump n’est pas seulement le président le plus riche de l’histoire des Etats-Unis. Il est aussi le premier à mélanger avec autant de décontraction les intérêts de son entreprise avec ceux du pays. Refusant catégoriquement de vendre son empire, comme le recommandaient la plupart des experts, il a préféré transférer ses hôtels, ses golfs, ses casinos et surtout ses licences dans un trust géré par ses deux fils et un de ses associés historiques . Et a promis, juré, de ne plus s’y intéresser – il a d’ailleurs renoncé à tous ses mandats au sein de l’organisation. Mais rien, si ce n’est la discipline qu’il s’imposera, ne garantit qu’il s’en tiendra à l’écart. On imagine mal ses enfants lui tenir tête – il a d’ailleurs menacé de les « virer » s’ils ne faisaient pas « un bon boulot ».

Une telle porosité est inédite dans l’histoire américaine, mais elle n’est pas illégale. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Trump n’a aucune obligation en la matière. Il est protégé par l’« Ethics in government Act », une loi qui vise à prévenir les conflits d’intérêts des membres du gouvernement et des hauts fonctionnaires, et fut révisée en 1989 pour exclure explicitement le président et le vice-président. A l’époque, les parlementaires avaient jugé impossible de définir un cadre satisfaisant pour le chef de l’Etat, tant ses pouvoirs sont étendus. Ils avaient, aussi, voulu éviter qu’un président ne puisse se récuser pour cette seule raison.

« La marque Trump est certainement plus glamour qu’avant »

Dans la même situation, les prédécesseurs de Trump ont opté pour des montages variés . Ronald Reagan, Bill Clinton et les deux présidents Bush ont placé leurs actifs dans un trust « aveugle » – se privant temporairement de tout accès à l’information. Une précaution qui n’empêcha pas Lyndon Johnson, propriétaire d’actifs dans les media, de parler régulièrement avec l’un de ses « trustees », ainsi qu’avec le patron de sa station de radio, sur une ligne téléphonique clandestine.

Encore moins contraignant, le dispositif imaginé pour Donald Trump a toutes les chances d’exposer le président à des difficultés sans fin. Bien qu’il entretienne le flou sur son patrimoine et ses revenus, l’actif principal du milliardaire reste en effet son nom et son savoir-faire consiste à toucher des royalties sur l’exploitation de celui-ci. Or, comme il l’a avoué lui-même peu après le 8 novembre, « la marque est certainement plus glamour qu’avant. Je n’y peux rien et je m’en fiche ».

Intérêt des managers

Ses managers, eux, ne s’en fichent pas. Submergé par une explosion soudaine des demandes d’adhésion, le responsable de son club de Palm Beach, que Trump a déjà rebaptisé la « Maison Blanche d’hiver », a tout récemment doublé le prix de la cotisation annuelle à… 200.000 dollars. La victoire de Trump n’a pas non plus échappé à ses partenaires commerciaux dans la vingtaine de pays où il a fait des affaires, depuis l’Inde au Brésil en passant par la Turquie.

Le promoteur immobilier et partenaire philippin de Trump vient ainsi d’être nommé diplomate aux Etats-Unis, où il a été reçu par les enfants du président juste après le 8 novembre. Son partenaire indonésien, avec qui deux projets sont toujours en cours, a de son côté reçu un traitement « VIP » lors de la cérémonie d’investiture du 20 janvier. Et compte s’inspirer du parcours politique de Trump pour se présenter aux élections présidentielles en Indonésie.

Mélange des genres risqué

Symétriquement, Donald Trump a bien du mal à se désintéresser de ses affaires. Lors d’une visite en Ecosse fin novembre, il n’a pas résisté à l’envie d’ attirer l’attention du leader britannique Nigel Farage sur ces éoliennes disgracieuses, qui risqueraient d’abîmer son golf. « Pour tous ces gouvernements étrangers, il est évident que faire des affaires avec la Trump Organization sera un atout, indique Michael Fuchs, ancien fonctionnaire au département d’Etat. Cela va compliquer considérablement notre politique étrangère. »

Le mélange des genres n’est pas non plus sans risques pour la marque Trump, dont la cote va suivre celle du président. Ses hôtels et ses tours sont déjà des symboles, subissant alternativement des appels au boycott et des manifestations de soutien depuis le début de la campagne. Mi-2016, après ses propos sur les musulmans, le président turc Erdogan avait ainsi demandé le retrait des grosses lettres dorées figurant sur les deux tours Trump d’Istanbul. Mais il s’est fait moins vocal après que le milliardaire a pris sa défense, alors qu’on l’accusait de réprimer un peu trop brutalement ses opposants. La veille de l’investiture, on pouvait ainsi croiser le ministre turc des affaires étrangères à Washington. Dans l’une des luxueuses salles de réception de l’hôtel Trump.