Installée progressivement dans ce pays au lendemain de la fin de l’apartheid, il y a plus de vingt ans, la communauté congolaise a redécouvert, avec stupéfaction en 2015, l’horreur de la haine de l’étranger.
L’avenir de ces migrants, légaux ou clandestins, se trouve-t-il encore dans l’eldorado soudain transformé en enfer ? Qui, parmi ces dizaines de milliers d’étrangers, en particulier les Congolais, pense à regagner la mère-patrie ? « Business et Finances » a recueilli, au téléphone, les confidences des membres de la diaspora congolaise en terre sud-africaine. L’anonymat est préservé car les prénoms ont été changés.
Brigitte, 39 ans dont onze passés en Afrique du Sud : « Je suis mère de faux jumeaux aujourd’hui âgés de 8 ans. Sans diplôme universitaire, j’accepte tous les travaux possibles pour subvenir aux besoins de notre foyer depuis que mon mari est immobilisé à la suite d’une fracture du tibia dans un match de football. Heureusement que le club sportif qui l’employait a consenti à le prendre en charge. Quant à l’avenir de nos enfants, ils vont à l’école ici, sans problème. Je ne m’imagine pas, après les actes xénophobes d’avril, en train de penser à retourner au pays natal. Nous nous sommes habitués à l’environnement sud-africain. Si les autochtones persistent à menacer les étrangers, nous sommes prêts à émigrer ailleurs, voire en Australie ».
John, 41 ans, chauffeur actuellement au chômage : « J’ai passé douze ans en Afrique du Sud en alternant ma vie entre chômage et mon métier de chauffeur. Je me plais ici surtout que je suis encore célibataire. Je parviens à envoyer régulièrement de l’argent à ma mère, à Kinshasa. Le volcan xénophobe d’avril n’altère en rien ma confiance dans ce pays. J’ai l’espoir que les autorités finiront par satisfaire les revendications de leurs compatriotes, sans nécessairement mettre dehors les étrangers en séjour régulier. Actuellement, la RDC n’a rien à m’offrir sur le plan économique ».
Médard, 46 ans, médecin : « Après mon diplôme à l’université de Kinshasa, les amis m’ont incité à les rejoindre en Afrique du Sud. J’y ai débarqué voici 19 ans et, avec leur concours, j’ai suivi des formations spécialisées. Je travaille dans une clinique privée et mes honoraires sont de loin supérieurs à ce à quoi peut rêver un collègue œuvrant à Kinshasa. Je sais de quoi je parle parce que mon premier emploi, c’était à Kinshasa. Alors, faut-il retourner au pays à cause de la xénophobie ? Relativisons : la xénophobie est un sentiment qui s’exprime sous toutes les latitudes et sous diverses formes. Tant que mon intégrité physique ne sera pas menacée, ni par des collègues sud-africains ni par des jeunes désœuvrés ou manipulés, je continuerai à travailler ici. Disons franchement que la RDC actuelle n’offre aucune perspective d’épanouissement pour les jeunes cadres ».
Joseph, 55 ans, avocat : « Pour m’installer ici, j’ai fait le véritable parcours du combattant : tracasseries pour obtenir le visa de sortie, apprentissage de la langue de travail, formalités bureaucratiques, recherche de pistons pour appâter des clients. Dieu merci, je suis parvenu à mes fins, à savoir intégrer un cabinet multiracial, acquérir une situation matérielle qui me met à l’abri des sollicitations perverses. Entre nous, je ne consentirai à partir d’ici que poussé par un tsunami xénophobe susceptible d’affecter tout ce que j’ai patiemment bâti. Dans cette hypothèse, quel serait mon nouveau pays d’accueil ? Je ne veux pas y penser ».
Gaspard, 86 ans, policier à la retraite : « J’ai accompagné mon épouse malade, à la demande et aux frais de nos enfants qui vivent ici depuis plus de vingt ans. Je totalise déjà trois ans au pays de Mandela. C’est vrai que les soubresauts xénophobes d’avril ont affecté notre moral et mis en berne toute l’admiration que nous vouions à l’Afrique du Sud post apartheid. À mon âge, je n’ai plus rien à gagner ici sauf peut-être les soins de qualité dont nous bénéficions. Dès que mon épouse se rétablit, je suis personnellement prêt à rentrer au bercail. Mais, qu’est-ce que je vais y faire ? Ça, c’est la question que me posent les enfants. Difficile de leur donner « la » réponse. Leur intention, je présume, est de me voir vivre ici les dernières heures de mon existence. Ils craignent qu’aucune personne ne s’occupe de moi une fois rentré à Kinshasa. Ma situation est bien drôle, non ? »
Augustin, médecin quadragénaire, vit en Afrique du Sud depuis 2003 : « Je n’ai pas le nombre exact de compatriotes médecins en Afrique du Sud. La vérité est que nous sommes très nombreux et plus compétents que la plupart des collègues rencontrés dans ce pays. Nous avons une clientèle diversifiée et nous pouvons travailler n’importe où sauf que, en ce qui concerne les hôpitaux publics, il y a des procédures pour y être engagé. Mais ce n’est pas impossible d’y accéder. Au début, l’intégration a été très difficile pour un ressortissant congolais. Le préjugé faisait que nous étions sous-estimés mais la qualité du service rendu grâce à notre compétence sur le terrain a fini par payer. Nous nous sommes fait respecter. Comme vous le savez, il y a toujours des insatisfaits, des frustrés dans toute société. Les récents événements de Durban et de Johannesburg nous ont beaucoup écœurés et inquiétés surtout qu’il s’agit d’une récidive. Néanmoins, nous gardons l’espoir que la situation se calmera. Nous exhortons le gouvernement sud-africain à trouver des solutions définitives et durables pour sa population. Quant à mon retour au pays, je ne pense pas que c’est pour bientôt car la RDC n’est pas encore prête à m’offrir une carrière digne de ce nom et à la hauteur de mes attentes ».
Blanchard, 32 ans, étudiant en gestion financière à l’université d’Afrique du Sud, à Pretoria, l’une des plus prestigieuses du pays : « J’ai opté pour l’Afrique du Sud pour la valeur de ses diplômes au niveau international. Je suis assuré qu’une fois mon diplôme en poche, j’aurai la facilité de trouver un emploi ici ou à l’international. En arrivant en Afrique du Sud, pour ne pas se sentir marginalisé à cause de la langue et de la culture, tout nouvel arrivant cherche d’abord à intégrer l’Association des étudiants congolais. Mais, dans la vie courante, nous pouvons dire que les Sud-Africains ne sont pas très accueillants. Globalement, ils nous considèrent très souvent comme des profiteurs. Comment j’ai vécu la période des attaques xénophobes ? Comme ces événements se sont passés ailleurs, j’avais peur et je m’enfermais très souvent dans mon appartement. Mes parents, en RDC, m’ont intimé l’ordre de rentrer immédiatement, mais j’ai dû les rassurer. Ils m’ont alors laissé poursuivre mes études. Une fois mon diplôme en poche, je vais me lancer sur le marché de l’emploi, d’abord ici. En cas d’échec, j’irai chercher mon avenir sous d’autres cieux. Je ne compte pas rentrer en RDC ».
Nana, 37 ans, est sous le choc. Elle raconte sa mésaventure : « Je vis en Afrique du Sud depuis 10 ans. Je tenais un salon de coiffure à Johannesburg. J’ai tout perdu. Mon salon de coiffure a été sauvagement pillé. C’est vraiment inacceptable et inhumain. Le matin où j’ai constaté le désastre, j’ai quitté mon appartement pour m’installer chez mon frère qui vit à Sun City. Ce que je pense du retour en RDC ? Laissez-moi le temps de digérer les événements ».
Les confidences recueillies dans cet article permettent de statuer que la diaspora congolaise d’Afrique du Sud, toutes les couches sociales confondues, n’entrevoit pas son avenir à Kinshasa ni à Lubumbashi. Bien que se sentant ostracisée, comme d’autres communautés africaines, elle se résigne à vivre en Afrique du Sud. Pour ces personnes, l’Afrique du Sud, sans plus être l’eldorado tant rêvé, continue néanmoins à séduire.