Les Congolais et les usages d’internet

Pendant trois semaines presque, en pleine période d’attente des résultats électoraux, les Congolais ont été privés d’internet via les réseaux de téléphonie mobile. Entre les raisons de sécurité nationale et celles de confort personnel, le gouvernement sortant a choisi la première option, selon son porte-parole. Mais a-t-il mesuré les conséquences sur les usages ?

LA COUPURE du signal de l’internet, du 31 décembre 2017 au 20 janvier 2018, a asséné un sérieux coup au moral des Congolais. Qui estiment que le gouvernement a porté à nouveau atteinte à leur droit fondamental à l’information. D’ailleurs, un collectif de défenseurs des droits humains a porté plainte pour préjudice subi devant le tribunal de commerce non pas contre le gouvernement mais contre les opérateurs réseaux de téléphonie mobile opérant en République démocratique du Congo (Airtel, Vodacom, Orange, Africell et Standard). Lesquels ont vite anticipé en reconduisant les crédits ou mégabits que les internautes possédaient au moment de la coupure. 

Au-delà des conséquences, notamment le manque à gagner financier pour les activités de services dépendantes de l’internet, en particulier les cybercafés, le Centre d’études stratégiques Alter a voulu comprendre pourquoi le moral des Congolais a été si touché à ce point, en s’intéressant aux usages d’internet par les Congolais.  

Point n’est besoin de dire qu’internet nous accompagne de plus en plus quotidiennement. Il est dans notre poche, à portée de main, les connexions par jour sont plus nombreuses, les personnes âgées se l’approprient, etc. Outre le fait d’être un outil de communication, internet est devenu utilitaire pour bon nombre de Congolais qui l’utilisent désormais comme un outil de travail à distance. C’est notamment le cas des scientifiques (chercheurs, médecins, enseignants, architectes, etc.) et de certains journaux. Comme le dit Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État français chargé du numérique, l’internet est une « opportunité pour développer encore plus de services au plus proche de nos citoyens ».

2000 personnes interrogées

Loin d’être un baromètre référent du numérique en RDC, l’étude menée par le centre de recherche Alter éclaire cependant sur l’équipement et les usages numériques des Congolais dans le pays, en particulier à Kinshasa. 

En tout cas, elle prend le pouls de notre société face aux évolutions technologiques. Elle renseigne sommairement sur les comportements des Congolais, les pratiques nouvelles qui rentrent dans leur quotidien, elle donne des orientations sur les attentes et sur ce que soulèvent les appréhensions. Enfin, elle nourrit l’action que les autorités doivent mener au lieu de se contenter de censurer la diffusion de l’information en coupant le signal de l’internet à chaque événement important dans le pays, quand cela lui semble défavorable. 

L’enquête a été réalisée en face-à-face pendant la période de suspension de la connexion internet via les réseaux de téléphonie mobile auprès de 2000 personnes représentatives de la population des 12 ans et plus (censés posséder un équipement connecté : téléphone portable, tablette, ordinateur) selon la méthode des quotas. Le questionnaire et la démarche destinés aux adultes ont été cependant adaptés pour les moins de 18 ans (mineurs). Cela va sans dire que cette enquête décrit l’équipement et les usages des individus et non celui des ménages. 

D’après les renseignements recueillis, l’enquête confirme l’hypothèse selon laquelle les usages du numérique sont de plus en plus mobiles. Grâce au déploiement de la technologie 4G dont se prévalent les opérateurs réseaux, le smartphone (téléphone mobile incluant un ordinateur de poche) progresse et devient l’outil de prédilection pour se connecter à internet. 

Les Kinois, dont le sens de l’humour est très aiguisé, ont inventé une expression « Génération Android » pour désigner les adolescentes qui sont prêtes à tout, pourvu qu’elles de possèdent un portable full option de grande marque et de s’afficher ainsi avec. Je vous épargne des détails des anecdotes croustillantes qui sont légion dans cette ville de près de 12 millions d’habitants et dont les mœurs ne sont pas citées en modèle. Loin s’en faut ! Et normal que dans une ville pareille le nombre de connexions quotidiennes augmente. Le numérique fait incontestablement partie de notre vie quotidienne : pour faire ses achats, pour rechercher un emploi, pour se divertir et regarder des vidéos… et c’est même un atout pour mieux gérer sa santé, ont répondu la plupart des personnes interrogées. 

La RDC a pris du retard

Mais cela renforce l’obligation pour l’État de protéger et de sécuriser notamment l’utilisation des données personnelles, qui reste le principal frein à l’usage d’internet. Et si les usages progressent, même parmi les personnes de troisième âge (65 ans et plus), l’enquête montre l’importance de continuer les actions pour réduire la fracture numérique entre les zones urbaines et rurales et pour accompagner les non-internautes.Ce sondage a ceci d’intéressant qu’il permet : de mesurer l’adoption par les Congolais des équipements et étudier les usages numériques ; de détecter les inégalités d’accès et de sentiment de compétence, qu’elles soient volontaires ou subies ; de permettre à l’État d’anticiper les grandes tendances identifiées et mettre en œuvre une politique favorisant l’appropriation du numérique par tous. 

C’est de cette manière que les pays qui veulent progresser procèdent. C’est pourquoi, il faut encourager le centre de recherche Alter pour son initiative. Il apparaît clairement qu’en inscrivant cette étude dans la solidité scientifique et la régularité, elle deviendra à coup sûr un baromètre de référence dans ce domaine. 

Ailleurs et autour de nous, le secteur des télécommunications se développe avec l’expansion de la téléphonie mobile qui permet de rapprocher les villes des campagnes grâce au système GSM. Parallèlement, chez nous, l’internet demeure encore un luxe pour la majorité des Congolais dont le revenu est précaire. Depuis 2000, le secteur connaît un taux de croissance très élevé en RDC, contribuant ainsi à la formation du Produit intérieur brut (PIB). 

À en croire des experts, il faut commencer par donner les moyens à l’opérateur public du réseau de téléphonie publique. La Société congolaise des postes, téléphone et télécommunications (SCPT) est devenue l’ombre d’elle-même, par la faute des gouvernants. Les nostalgiques de l’époque coloniale racontent que les PTT rapportaient dans les caisses de l’État des recettes autant que le mastodonte GECOMINES. Le secteur étant devenu économiquement compétitif et face à la présence dominante des privés (compagnies étrangères) sur le terrain de la téléphonie mobile, la SCPT a misé, logique, sur la téléphonie fixe et l’internet grâce à la fibre optique. 

Pour rappel, l’internet a fait son apparition, timide, en RDC vers le milieu des années 1990, grâce à des initiatives privées de quelques cybercafés. Et, depuis, il est encore un luxe pour la grande partie de la population. Pourtant, la RDC s’est engagée à entreprendre plusieurs projets de technologies de l’information et de la communication, au regard du potentiel dans ce secteur et de l’étendue du marché et des besoins, présents et à venir.