Les déboires de Banro refroidissent les potentiels investisseurs

Ce n’est pas la première fois que la compagnie canadienne invoque le cas de force majeure pour justifier la suspension de ses opérations minières dans la région du Sud-Kivu et du Maniema. Outre l’insécurité permanente dans les mines, les relations avec les communautés locales et les autorités gouvernementales, nationales et provinciales, sont en dents de scie et donnent à polémique.

En date du 24 septembre dernier, Brett A. Richards, le président et directeur général de Banro Corporation Ltd, a adressé une correspondance à Monsieur l’inspecteur général du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale pour lui notifier un « cas de force majeure », conformément à l’article 57 point 8 du code du travail congolais. Et il énumère les circonstances qui justifient la décision de « suspendre les opérations » à Namoya Mining SA, Lugushwa Mining SA, Kamituga Mining SA et Banro Mining Congo SA, ainsi que « les contrats de travail de tous leurs employés ».

Primo, les « nombreuses difficultés » qui entravent les opérations minières de ces entités. « Ces difficultés comprennent de sérieuses et incessantes préoccupations sécuritaires à Namoya/Salamabila, notamment le harcèlement et les raids sur les lignes d’approvisionnement de Banro, les attaques contre le site minier lui-même et les menaces contre les employés ».

Secundo, « la situation a pris un tournant imprévisible » à partir du 26 juillet 2019, lorsque Sheikh Assani Hazaïfa Mitende (Sheikh Hassan) et des rebelles armés Maï Maï ont enlevé quatre employés de Namoya Mining SA/Banro commis à la construction d’une route au profit des mineurs artisanaux de la communauté locale et plus généralement de la province du Maniema.Tertio, « de sérieux problèmes sécuritaires persistent sur le site minier de Namoya/Salamabila », malgré l’issue heureuse de la prise d’otages. Pour rappel, le président et directeur général de Banro a été contraint de signer un « protocole illégal » pour obtenir la libération des otages. 

En effet, Sheikh Hassan et la milice Maï Maï qui ont pris de facto le contrôle de la coopérative des mineurs artisanaux, s’appuient sur ce « torchon » de document pour « reprendre toutes les parties » des mines de Namoya Mining SA qu’ils souhaitent, et y imposer ainsi leur loi et leurs principes, parce qu’ils se considèrent comme « les plus forts sur le terrain ».

Quarto, les menaces de mort de Sheikh Hassan à l’endroit de tout travailleur de Namoya Mining SA/Banro qui se présenterait au lieu du travail, mais aussi à l’égard des familles liées à la compagnie, ainsi que l’interdiction faite aux vendeurs locaux de traiter affaire avec Namoya Mining SA/Banro, lorsque cette dernière a refusé de céder à l’exigence de Sheikh Hassan dans son « ordre noir » du 13 septembre 2019.

Quinto, le contrôle de la mine par « une force armée rebelle et terroriste » et « les menaces de mort formelles » qui pèsent sur les travailleurs constituent ni plus ni moins « un événement imprévisible ». Au vu des prises d’otages précédentes, dont on déplore la mort d’un agent  égorgé en pleine forêt après son enlèvement, il y a lieu de craindre que « d’autres événements malheureux » ne se répètent, voire ne soient inévitables et insurmontables, tout simplement parce que la compagnie n’a pas le contrôle de la sécurisation de la zone.

« Cette situation a pour effet de nous empêcher temporairement de fournir du travail aux employés des entités Banro susmentionnées. Cette situation de force majeure ne s’applique pas aux employés de Tangwiza Mining SA qui devraient continuer de travail », écrit Brett A. Richards. 

Relations conflictuelles

Le moins que l’on puisse dire est que Banro n’a jamais été vraiment mise en situation de bien travailler en République démocratique du Congo. « À sa place, un autre investisseur aurait mis déjà la clé sous le paillasson, pris ses cliques et claques pour aller voir ailleurs », fait remarquer un expert du secteur. En effet, à plusieurs reprises, la compagnie minière a alerté les autorités gouvernementales, nationales et provinciales, de ces nombreuses difficultés qui entravent ses activités minières.

De l’avis de beaucoup d’observateurs, entre le monopole de Banro et la survie des communautés locales, l’État est face à un dilemme. Plusieurs analyses mettent en relief la difficile ré-industrialisation du secteur aurifère dans la province du Sud-Kivu), notamment à cause de « l’évolution des relations conflictuelles » entre les parties prenantes qui coexistent au sein des concessions de la société canadienne Banro. 

On reproche aux autorités gouvernementales de ne pas avoir initié un véritable dialogue entre ces parties prenantes, à savoir Banro, les exploitants artisanaux, les communautés affectées, les autorités et services étatiques et les sociétés civiles locales, afin qu’elles puissent envisager ensemble des solutions pour garantir une paix durable. 

Avant, l’Est de la RDC avait été exploité par des sociétés minières industrielles. Puis, progressivement, l’exploitation artisanale, qui constitue encore aujourd’hui le moteur de la vie économique et sociale de la région, a pris le relais. Banro s’est implantée en RDC en 1996 et a commencé ses activités d’exploration en 2003. 

C’est la première entreprise à reprendre l’exploitation industrielle de l’or en RDC en 2011 sur la mine à ciel ouvert de Twangiza, après la période de conflits armés. Mais elle n’est à ce jour pas encore parvenue à prendre pleinement possession de ses périmètres. 

Banro dispose de quelque 13 permis d’exploitation et 14 permis d’exploration couvrant la quasi-totalité de la ceinture aurifère de 210 km, qui s’étend du territoire de Walungu dans le Sud-Kivu, jusqu’à la concession de Namoya dans la province du Maniema. En l’absence de Zones d’Exploitation Artisanale (ZEA) viables dans la région, il s’agit bien d’un quasi-monopole légalement accordé à la société canadienne. 

La logique d’héritage

Cependant, notent des observateurs, « des carences en termes de création d’emploi, ainsi que la sous-utilisation par Banro de ses périmètres », font que des exploitants artisanaux exercent dans ses concessions. En l’absence des solutions durables et satisfaisantes pour l’ensemble des parties prenantes, cette situation semble être « tolérée » par Banro. 

Par conséquent, l’exploitation industrielle entre en contradiction avec les intérêts des exploitants artisanaux, des communautés ou des autorités locales, et alimente de surcroît des conflits préexistants, en génère des nouveaux, au lieu de jouer à l’apaisement. Il faut noter que jusque-là, les conflits qui opposent directement Banro aux communautés locales donnent rarement lieu à des confrontations. 

Heureusement ! Mais pour combien de temps encore, au cas où les frustrations deviendraient difficilement gérables ? En effet, la région est encore encline à des incursions des groupes armés actifs qui y pullulent. Il incombe donc à l’État de rétablir la sécurité et de résoudre pacifiquement les différents conflits. 

Il faut aussi noter que les communautés locales sont dans une logique d’« héritage ». La Société minière du Kivu (SOMINKI) avait exploité industriellement l’or de la région entre 1976 et 1996, en reconduisant l’héritage de la Minière des Grands Lacs (MGL), qui avait initié l’exploitation aurifère industrielle à Kamituga dès 1932. Pour elles, Banro doit s’inscrire dans cette même logique. 

Dans les années 1980, la chute des cours des matières premières et la libéralisation du secteur artisanal avaient facilité l’envahissement de la concession de la SOMINKI par des creuseurs artisanaux. Face à la répression parfois violente, certains d’entre eux s’étaient organisés en mouvements clandestins armés, à l’instar des Ninjas à Kamituga et les CADEL à Lugushwa. 

Et face à la crise, la SOMINKI a été contrainte de développer une politique d’ouverture et de tolérance envers les exploitants artisanaux. Un système de collaboration fut, par exemple, initié via la création de comptoirs, où les artisanaux pouvaient vendre leur production à la société. Bien que cette initiative n’ait été que de courte durée, elle continue de constituer une référence pour des milliers d’exploitants artisanaux aujourd’hui.

Depuis, un certain sentiment anti-industriel s’est ancré dans les esprits. Localement, l’implantation d’une société étrangère est perçue comme allant à l’encontre des intérêts de la population. Et Banro en fait les frais, depuis qu’elle a fait acquisition des actions de la SOMINKI, en 1996, à la veille du conflit armé. 

Banro a tenté alors de développer et entretenir des relations avec les autorités coutumières des différentes chefferies, comme acteurs de premier plan en vue de la prise de possession de sa concession.