LES EXPERTS en ressources en eau sont inquiets, voire désemparés. Depuis que Richard Muyej Mangez Mans, le gouverneur de la province du Lualaba, a tenu une conférence de presse à Kolwezi pour alerter le monde entier de l’assèchement de la cuvette du Lualaba, Claude Nyamugabo Bazibuhe, le ministre de l’Environnement et du Développement durable, ne réagit pas. Étonnant ! Certains d’entre eux nous confient que ce qui est arrivé à Kolwezi, c’est-à-dire une ville sans eau était prévisible. C’est la conséquence de l’exploitation incontrôlée des eaux souterraines.
Toutes les compagnies minières installées au Lualaba ainsi que de nombreux particuliers pompent l’eau de la nappe phréatique.
Vases communicants
Face à la crise de l’eau dans la ville, les autorités provinciales ont envisagé comme solution la réhabilitation des forages de la Gécamines, alors que Kolwezi en compte par dizaines. Pour rappel, en hydrologie ou en géologie, la nappe phréatique est la couche souterraine à faible profondeur, contenant de l’eau, et qui alimente traditionnellement les puits et les sources en eau potable.
Pour les mêmes experts, l’alerte lancée par le gouverneur du Lualaba est à prendre très au sérieux. En effet, les conséquences sont incommensurables à l’échelle nationale et régionale comparées à la situation locale. L’assèchement des eaux souterraines impactent négativement, d’une part, le niveau de la rivière Lukuga qui alimentent le lac Tanganyika dont la République démocratique du Congo partage les ressources en eau avec le Burundi, la Tanzanie et la Zambie, et, d’autre part, le niveau des eaux de la rivière Lualaba dont le fleuve Congo tire son origine.
Quand le niveau des eaux du Lualaba monte ou baisse, celui du fleuve Congo monte ou baisse au même moment, selon le principe des vases communicants.
Or, si le niveau du fleuve Congo baisse sensiblement, la conséquence immédiate est le refoulement des eaux à partir de Kisangani où est construit le barrage de la Tshopo. Et par ailleurs, les eaux salines de l’Océan Atlantique vont se déverser sur le fleuve Congo dans sa partie comprise entre Boma et Matadi dans la province du Kongo-Central. Dès lors, on imagine la menace qui pèse sur l’écosystème aquatique.
D’après plusieurs études recoupées, les eaux de surface de la RDC représentent environ 52 % des réserves en eau de l’Afrique, tandis que les réserves du pays représentent 23 % des ressources hydriques renouvelables du continent. Bref, la RDC est de fait le pays ayant le plus de ressources hydriques en Afrique. Malgré l’existence de points de pollution localisés autour des centres urbains et des mines, la qualité de ces eaux de surface est appréciable, grâce à la capacité de dilution élevée des grands volumes d’eau du vaste réseau de rivières et des zones marécageuses…
Cependant, la grande majorité de la population dépend encore des nappes phréatiques et des sources pour l’eau potable. Selon des études, les nappes phréatiques représentent presque 47 % des ressources hydriques renouvelables du pays. L’eau potable provient en majeure partie des sources (90 % de la population rurale).
Il y a longtemps que les experts en ressources en eau, au pays et à l’étranger, demandent au ministre de l’Environnement et du Développement durable de convoquer un forum national avec toutes les parties prenantes sur la problématique des usages de l’eau (eaux souterraines et de surface) dans le pays. Comme on peut le constater, l’assèchement des eaux souterraines devient un problème crucial de portée nationale et internationale.
On reproche à l’Office congolais de l’eau (OCE) de ne pas exercer un contrôle rigoureux sur le rapport vitesse de renouvellement et volume de prélèvement des eaux des nappes phréatiques pour en garantir la stabilité et la longévité. Selon les experts, la vitesse de renouvellement doit être supérieure au volume prélevé. Cependant, au regard du nombre sans cesse croissant d’entreprises exploitantes ainsi que du non respect de normes, il est évident que ce rapport est inversé.
On reproche également à l’OCE de valider les études d’impact sans se référer à la direction des ressources en eau (DRE) du ministère de l’Environnement et du Développement durable, compétent et outillé pour encadrer les usagers de l’eau dans le pays. Sans encadrement de l’exploitation des eaux souterraines, c’est la mort programmée par asphyxie des grandes rivières du pays.
On reproche aussi aux ministres qui se sont succédé à ce ministère d’accorder plus d’importance au secteur de la forêt, alors que l’eau peut rapporter autant, voire plus, que la forêt. Puisque l’eau obéit à des spécificités compte tenu de son caractère vulnérable, la loi n°15/026 du 31 décembre 2015 a prévu que soient appliquées des taxes et des redevances mais aussi des droits à payer pour les usages de l’eau.
Les usages de l’eau
La RDC regorge d’importantes potentialités en ressources en eau et en écosystèmes aquatiques dont la gestion, la protection et la mise en valeur sont tributaires de nouveaux défis qu’imposent le développement durable, la lutte contre la pauvreté et le changement climatique. Vu sous cet angle, la loi n°15/026 du 31 décembre 2015 met en exergue un principe : valoriser l’eau comme ressource économique et un bien social pour la préservation de la vie.
Le secteur de l’eau était régi avant par des textes réglementaires disparates difficiles donc à appliquer. Il importait donc de fixer les règles de gestion durable et équitable des ressources en eau ; déterminer les instruments nécessaires de gestion rationnelle et équilibrée du patrimoine hydrique, en fonction de besoins présents et à venir ; protéger les ressources en eau et réglementer leur utilisation ; rendre performant le secteur pour attirer, à travers des mesures de sécurisation, les investisseurs (partenariats public-privé).
La loi réglemente donc la gestion durable et équitable des ressources en eau (eaux souterraines et de source, eaux de surface, eaux continentales, eaux maritimes et eaux transfrontalières). Elle en définit la nature, les régimes de mise en valeur, de protection et de leur utilisation comme ressource économique ainsi que de coopération interétatique pour les lacs et les cours d’eau transfrontaliers. Elle s’applique aux ressources en eau situées à l’intérieur des limites territoriales de la RDC ainsi qu’aux aménagements et ouvrages hydrauliques se rapportant à leur gestion.
Il s’agit des fleuves, rivières, ruisseaux et leurs lits naturels ou modifiés; des sources d’eau à écoulement ou débit permanent ou intermittent ainsi que leurs lits ; des lacs, lagunes, étangs naturels et artificiels. Il s’agit aussi de l’eau fluviale non captée dans un domaine privé, de l’eau souterraine et des nappes aquifères, des rejets d’eaux usées, des terres émergées des cours d’eau et des lacs, des zones humides et des espaces où la présence de l’eau, sans être permanente, est régulière.
Il s’agit également des sources, puits, forages, abreuvoirs et autres points d’eau affectés à l’usage public ou à un service public ainsi que leurs périmètres de protection immédiats, des ouvrages hydrauliques (digues, barrages, écluses et leurs dépendances), des canaux d’irrigation, d’assainissement, de drainage, des aqueducs, des canalisations, des dérivations et des conduites d’eau, des réservoirs, des stations d’épuration des eaux usées et, d’une manière générale, des ouvrages hydrauliques affectés à l’usage public ou à un service public ainsi que les installations et les terrains qui en dépendent, des eaux maritimes.