L’économiste principal de la Banque mondiale, Leif Jensen, et l’expert extérieur en politique fiscale, Grégoire Rota-Graziosi, ont dirigé l’équipe de travail qui a mené l’analyse sur les écarts fiscaux en république démocratique du Congo, avec la contribution des observateurs extérieurs. L’équipe d’experts de la Banque mondiale a, à cet effet, effectué deux missions en RDC, d’abord du 23 au 24 juin 2016, et ensuite du 6 au 9 février 2017. La pression fiscale en RDC était en 2014 de 9,9 % du produit intérieur brut (PIB) : 11,3 % en intégrant les recettes non fiscales collectées. Cette pression est inférieure à celle des autres pays de la région, selon l’étude.
Les avancées par rapport à d’autres pays
Qui donne une estimation conservatrice et minimale de l’écart fiscal pour les grands impôts d’État de 1 553 milliards de francs, soit 5,2 % du PIB pour l’année 2013. L’équipe d’enquêteurs a noté les avancées de la RDC par rapport à d’autres pays en Afrique subsaharienne en termes de concepts, disponibilité et traitements des données de la fiscalité. Selon ces enquêteurs, « ces avancées constituent une bonne base pour traiter les lacunes et incohérences ». Les dépenses fiscales pour l’année 2013 ont été estimées à 683 milliards de francs, soit 2,3 % du PIB. Celles, dites définitives, étaient de 560 milliards de francs, soit 1,9 % du PIB. La différence entre les dépenses fiscales estimées à 683 milliards et les dépenses fiscales définitives estimées à 560 milliards est expliquée par les dépenses fiscales temporaires, en particulier les exonérations de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) du secteur minier (exportateur et donc soumis à un taux zéro sur sa production), estimées à 78 milliards de francs, et les exonérations de droits et taxes relevant de la Convention de Vienne (privilèges diplomatiques), estimées à 43 milliards de francs.
La TVA est la principale source de recette fiscale avec 21,4 % de celle-ci. L’écart fiscal de la TVA établi à partir du tableau ressources-emplois (TRE) est de 875 milliards de francs et intègre les caractéristiques structurelles de l’économie congolaise (la taille du secteur informel) et certaines dispositions de la loi de la TVA congolaise qui exclut notamment du champ d’application de cet impôt l’éducation. L’écart de 875 milliards en 2013, soit 2,9 % du PIB, peut s’expliquer pour 49 % par des dépenses fiscales (434 milliards de francs) et pour le reste par des difficultés dans l’administration de cet impôt par la Direction générale des impôts (DGI) et de la Direction générale des douanes et accises (DGDA, soit 441 milliards de francs.
Une analyse des recettes des droits d’accises révèle un écart fiscal de 90 milliards de francs, soit 37 % des recettes de cet impôt effectivement collectées. L’écart fiscal observé concerne principalement les produits pétroliers : 31milliards dont 11 milliards s’expliquent par des dépenses fiscales, les parfums et produits de beauté (16 milliards) dont l’essentiel de l’écart peut être attribué à des fraudes à l’importation ou à une production (artisanale) non appréhendée par l’administration fiscale. L’écart fiscal des droits d’accises est largement sous-estimé car l’analyse n’a porté principalement que sur la consommation des ménages et n’a pas intégré celle intermédiaire des entreprises.
Une analyse complémentaire sur les communications cellulaires à partir de l’évolution de l’activité des entreprises de ce secteur montre un écart fiscal de 28 milliards de francs en 2013, soit 37 % des recettes collectées, dont l’essentiel paraît relever d’une défaillance des administrations de collecte concernées. L’écart fiscal de l’impôt sur le bénéfice et le profit (IBP) a été estimé à 208 milliards de francs sous l’hypothèse que tous les secteurs d’activité dégageaient une marge bénéficiaire de 8 % à l’exception des secteurs bancaire et pétrolier qui ont déclaré en 2013 un taux de marge supérieur, respectivement de 13 % et de 25 %. Cette hypothèse pourra être affinée afin d’intégrer des marges sectorielles spécifiques à partir des données internationales.
Une analyse du taux effectif moyen d’imposition (TEMI) d’une entreprise type en RDC révèle que celui-ci est plus élevé en RDC que dans la plupart des pays africains. Les incitations au code des investissements réduisent le TEMI considérablement mais sont régressives et favorisent davantage les entreprises les plus rentables, donc celles qui auraient de toute façon investi en RDC. L’écart fiscal de l’impôt professionnel sur le revenu (IPR) est estimé très approximativement à 37 % de la masse salariale appréhendée par l’administration fiscale, soit, sous l’hypothèse d’un taux d’imposition inchangé, à 19- milliards de francs. Les dépenses fiscales au titre de l’IPR sont de 34 milliards de francs et correspondent au taux réduit concernant le personnel expatrié.
Les recommandations
Pour l’équipe d’enquêteurs de la Banque mondiale, l’écart fiscal pour les grands impôts d’État s’explique notamment par des dépenses fiscales importantes qu’il convient de rationaliser, et par des défaillances administratives. D’après eux, l’estimation des dépenses fiscales améliorerait « la transparence budgétaire » et permettrait « d’apprécier le coût et la pertinence pour l’État congolais de certaines mesures ou régimes privilégiés ». L’importance des dépenses fiscales relevant des régimes particuliers, comme les conventions d’établissement, qui sont hors de tout code ou loi, constitue « une risque de fraude fiscale et de traitements fiscal discrétionnaire et sont contraires aux meilleures pratiques internationales ». La définition d’un système fiscal de référence (SFR) pour la RDC est nécessaire à la définition des dépenses fiscales et parafiscales.
La publication des dépenses fiscales en annexe de la loi de finances permettrait d’assurer une plus grande transparence budgétaire et contribuerait à la rationalisation de celles-ci. La création d’une unité de politique fiscale renforcerait la maîtrise de l’assiette imposable en RDC. Cette unité serait en charge de l’estimation continue des dépenses fiscales. L’unité de politique fiscale pourrait être en charge de la définition du SFR, un préalable indispensable à l’identification et à l’évaluation des dépenses fiscales. Cette unité permettrait également de renforcer la coordination des trois administrations de collecte, le SFR pouvant notamment intégrer les droits et redevances collectées par la Direction générale des recettes administratives, domaniales, judiciaires et des participations (DGRAD).
En attendant la rationalisation et l’amélioration de gestion des dépenses fiscales, il conviendrait de « ne plus accorder de nouvelles exonérations ou réductions de taux sous quelque forme juridique que ce soit (loi, décret, convention…).
Un renforcement du contrôle des entreprises bénéficiant de régimes dérogatoires permettrait de limiter l’abus de ces régimes et d’exclure les éventuels contrevenants du bénéfice de ces régimes.
Afin de limiter les risques d’abus des régimes dérogatoires par un détournement de la destination des biens importés, par exemple, certaines mesures immédiates pourraient être considérées : adopter une approche négative des listes minières en éliminant les biens de consommation finale de l’exonération des droits et taxes à la douane, définir strictement la notion de sous-traitant afin de simplifier le travail de contrôle des administrations, et réaffirmer l’obligation déclarative même pour les sociétés complètement exonérées d’impôts conformément au Droit de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA).
La rationalisation partielle des exonérations de la TVA permettrait d’améliorer son rendement sans pour autant pénaliser les entreprises assujetties et celles exportatrices. Cette proposition nécessiterait des analyses supplémentaires, en termes de conception et de mise en œuvre. Une réforme de la fiscalité directe permettrait de réduire l’écart fiscal en simplifiant la base imposable et en renforçant la protection de l’assiette contre une optimisation fiscale agressive. La création d’un impôt sur les sociétés, y compris un impôt spécifique sur les plus-values, participerait à la modernisation de la fiscalité congolaise, la déductibilité de certaines charges devrait être encadrée.
L’analyse menée pourrait être complétée par une estimation des dépenses fiscales et parafiscales du secteur minier et des exemptions identifiées par la DGRAD. Une plus grande couverture et un renforcement de la validité des données (administratives, fiscales, comptes nationaux, données sectorielles pertinentes à l’Institut national de la statistique) devraient être considérées.
La principale limite pour pouvoir rapprocher les données de la DGI et de la DGDA avec celles de l’INS est l’absence d’une table de correspondance ou d’un partage relative à la nomenclature des secteurs économiques.
Un alignement des classifications de la DGI (en particulier à la Direction des grandes entreprises, DGE) et de la DGDA sur celle de l’INS serait souhaitable.