LA CRISE sanitaire mondiale créée par la pandémie de coronavirus a plongé l’économie mondiale dans une récession dont les effets sur les économies fragiles comme celle de la République démocratique du Congo font craindre des conséquences économiques et sociales dramatiques. C’est ainsi que Willy Kitobo Samsoni, le ministre des Mines introduit le rapport de cette étude interne à son ministère. D’après lui, le monde traverse une conjoncture internationale caractérisée par la baisse de la demande mondiale et des cours mondiaux de principaux produits miniers », ce qui rend « l’économie congolaise vulnérable vis-à-vis des chocs exogènes ».
En effet, fait-il remarquer, la croissance économique de la RDC étant essentiellement tirée par le secteur minier, la baisse des cours des produits miniers marchands comporte un risque sur la croissance du Produit intérieur brut (PIB) et, par conséquent, sur les recettes en cours, ainsi que sur le budget 2020. Pour preuve, la contribution du secteur minier au PIB était de 29,2 % en 2017 et de 32,3 % en 2018 selon les données provisoires de la BCC. Cette contribution est de 96,05 % par rapport aux recettes d’exportations de 2017 et de 95,28 % par rapport aux recettes d’exportations de 2018.
À noter que le cuivre et le cobalt sont les porte-étendards de la contribution économique du secteur minier, à eux seuls ils ont contribué pour 25,4 % du PIB en 2017, à raison de 16,5 % pour le cuivre et 8,9 % pour le cobalt ; et pour 29,3 % du PIB en 2018, à raison de 15,8 % et 13,5 %, respectivement pour le cuivre et le cobalt.
La sonnette d’alarme
Le ministre des Mines avertit qu’en cas de baisse des recettes, inhérente ici à la baisse des activités dans le secteur minier, les dépenses seront revues à la baisse et, par conséquent, s’ensuivra la non réalisation ou la non atteinte de certains objectifs du gouvernement. « L’impact de la crise sanitaire occasionnée par le Covid-19 sur la santé humaine n’étant plus à démontrer, il y a lieu d’analyser les conséquences de cette crise sur l’activité économique dans le contexte des mesures prises par différents pays en vue de limiter la propagation du virus », souligne-t-il.
Et parmi ces mesures, Willy Kitobo Samsoni cite l’état d’urgence proclamé et les mesures de confinement arrêtées dans plusieurs pays, limitant ainsi l’activité industrielle, les mouvements des capitaux, des personnes et des biens. D’après lui, « la problématique consiste en la recherche des voies et moyens pour l’atténuation des effets négatifs de la pandémie sur l’activité minière et, par conséquent, sur l’évolution de l’économie de la RDC de manière à en limiter les dégâts ».
Au regard du développement de la pandémie du Covid-19, il relève que le Fonds monétaire international (FMI) a revu ses projections sur la croissance de l’économie mondiale, lesquelles projections laissent désormais entrevoir une récession économique pour l’année 2020. « Il devrait ainsi s’observer une contraction ou, en d’autres termes, un ralentissement de la production mondiale, c’est-à-dire de l’offre, consécutivement à la diminution de la demande des matières premières, notamment minérales ».
Ainsi, estime-t-il, l’analyse de l’impact de la pandémie de Covid-19 doit être abordée sous deux optiques : l’offre et la demande. Du point de vue de l’offre, le ministre des Mines note que le prolongement de l’état d’urgence sanitaire, avec l’extension des mesures de confinement, peut avoir des effets néfastes sur la production, davantage même que la pandémie de Covid-19. À ce propos, il cite le très sérieux Fast Markets MB, dénommé jusqu’en 2018 Metals Bulletin, une publication internationale avec pas moins de 130 ans d’expérience du marché global des matières premières et spécialiste du bench marking, devenue propriété depuis 2006 d’Euro Money Institutional Investor.
Ce dernier a rapporté que l’opérateur minier sino-australien MMG a déclaré le cas de force majeure sur son important projet de cuivre Las Bambas, au Pérou. C’est la conséquence de la prolongation, par le gouvernement péruvien, de l’état d’urgence national en rapport avec le Covid-19, avec restriction des voyages jusqu’au 12 avril 2020. « Une telle information signifie que l’offre sur le marché global du cuivre pour cette année 2020 se ressentira de 350 000 à 370 000 tonnes que ne fournira pas le projet péruvien de MMG », fait remarquer Willy Kitobo. Et de poursuivre : « Il est à craindre, dans un contexte global de réflexe sécuritaire, que d’autres projets à travers le monde emboîtent le pas, ce qui aura pour conséquence une offre de cuivre sensiblement revue à la baisse pour cette année 2020. »
Si la crise perdure…
Par ailleurs, en Afrique, dans la zone préférentielle d’échanges économiques du COMESA, l’Afrique du Sud est entrée, depuis le jeudi 26 mars 2020 à minuit, dans une période de confinement de 21 jours. Durant cette période, toutes les opérations d’exploitation des métaux et des mines du pays sont mises en mode entretien et maintenance, c’est-à-dire en veilleuse. « Ce confinement de la deuxième puissance économique du continent crée une incertitude sur le chargement dans les ports sud-africains, notamment celui de Durban qui est le plus fréquemment utilisé pour l’expédition des produits miniers marchands de la RDC, vers le marché asiatique, en particulier pour ce qui est des hydroxydes de cobalt », souligne encore le ministre des Mines.
Si la crise sanitaire perdure, avec effet de contagion dans d’autres pays de la zone d’échange, tels que la Tanzanie et le Kenya, Willy Kitobo craint le risque de perturbation de l’offre de cuivre et de cobalt en provenance de la RDC sur le marché international, sachant que notre pays est le principal pourvoyeur de cobalt.
Alors, du point de vue de la demande, poursuit l’étude, la contraction de la demande aura pour effet la baisse des cours des métaux qui, à son tour, aura un impact sur la production de 2020. « Des projets en cours de développement et projetés pour 2020-2021, comme Kamoa, sont susceptibles d’être postposés. Bien entendu, il y a lieu de s’attendre à un impact négatif majeur sur les recettes escomptées du secteur minier », prévient le ministre des Mines.
En tout état de cause, déclare-t-il, la plus grande crainte pour la RDC dans cette crise qui, toutes proportions gardées, rappelle celle de 2008, c’est un arrêt brutal d’un grand projet pour cas de force majeure. « La Chine est un partenaire privilégié de la RDC, tant sur le plan du volume des investissements réalisés dans notre pays que de la destination de nos produits miniers marchands. Si la Chine se relève rapidement de la pandémie, comme nous sommes en train de le voir, la demande sera stimulée et les prix vont se relever d’autant que les stocks disponibles vont diminuer par manque d’approvisionnement, suite aux mesures de confinement », pronostique-t-il.
Du point de vue des effets combinés de l’offre et de la demande, l’étude relève qu’il ne devrait pas y avoir de fortes perturbations au niveau des prix des métaux stratégiques pour notre économie, tels que le cuivre et le cobalt, suite aux effets combinés d’une baisse de l’offre et de la demande. On peut, par contre, raisonnablement envisager un relèvement des cours du cuivre et du cobalt, du fait de la reprise de l’activité économique en Chine. « L’hypothèse crédible du relèvement des cours ne pourrait, par contre, être bénéfique au pays que si le niveau actuel de la production est maintenu, d’une part, c’est-à-dire s’il n’y a pas confinement dans nos zones d’exploitation minière et si, d’autre part, les exportations ne sont pas entravées par un confinement dans les pays de transit ».
Ce qu’il y a donc à craindre, c’est la formation d’un goulot d’étranglement, en cas de prolongement de l’état d’urgence sanitaire dans les pays de transit, notamment la Zambie, la Namibie, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, voire l’Angola. « Il est notable qu’en période de crise les cours des produits perçus comme luxueux sont particulièrement affectés négativement et c’est le cas du diamant notamment, si l’on se réfère à l’histoire récente. L’or que l’on aurait tendance à considérer aussi comme un produit de luxe échappe cependant régulièrement à cette tendance, son prix évoluant plutôt à la hausse, du fait qu’en temps d’incertitudes il est utilisé comme valeur refuge ».
Ce qui est quasi certain, c’est que l’impact des effets, combinés sur l’offre et la demande, liés au Covid-19 face à la croissance, aux recettes et au social dans les zones d’exploitation artisanale ne serait pas perceptible de la même manière, en cas d’un confinement total.
Résilience économique
De la résilience de l’économie nationale face aux chocs liés au Covid-19, l’étude note ceci : contrairement aux pays de l’Amérique latine, tels que le Chili et le Pérou, qui disposent de fonds de stabilisation ou d’autres fonds souverains, la RDC ne saurait tenir le coup en cas d’arrêt brusque de la production minière des projets phares qui y opèrent, si ceux-ci invoquent le cas de force majeur.
« Cette situation serait assurément catastrophique dans la mesure où elle aura non seulement des répercussions négatives sur les recettes au niveau national et des Entités territoriales décentralisées (ETD) mais aussi privera les services du ministère des moyens de fonctionnement. Un arrêt majeur de la production du secteur minier de la RDC aura également des conséquences fâcheuses sur l’ensemble de notre économie en ce sens que l’onde de choc qui en résultera atteindra tous les secteurs de l’économie, de la sous-traitance aux petits fournisseurs, sans parler du secteur bancaire, etc. »
Les mesures dans les mines
En conséquence, le risque de passer de la crise sanitaire à la crise économique, qui déboucherait, à son tour, sur une crise sociale est craindre. Au regard des statistiques provisoires du 1er trimestre 2020, les exportations de cuivre ont augmenté de 12,75 % par rapport au 1er trimestre 2019, bien que l’augmentation n’ait été que de 4,02 % et 9,95 %, respectivement pour les mois de février et mars 2020.
Les exportations de cobalt ont connu une baisse de 15,18 %, par rapport à 2019, au cours du premier trimestre, bien qu’une légère augmentation ait été observée sur les exportations de cobalt au mois de mars 2020 par rapport à janvier et février 2020.
« Nonobstant la crise liée au Covid-19, la production de cuivre n’était pas très affectée au cours du 1er trimestre 2020, comparée à la même période en 2019. La baisse de production de cobalt étant toutefois sensible, sur la même période. Toutefois, il y a plus à craindre des restrictions de mouvement des biens et des personnes dans les pays de transit et du confinement dans les zones d’exploitations minières, lesquels pourraient déboucher sur des arrêts ou fermetures pour cas de force majeure ».
Les mesures prises actuellement pour minimiser les effets néfastes de la pandémie du Covid-19 et réduire sa propagation sont l’application des mesures sanitaires (lavage régulier des mains, désinfection des espaces de travail, distanciation sociale) et le confinement limité essentiellement aux activités non essentielles.
En ce qui concerne la production industrielle, l’activité minière de la RDC a connu au mois de mars 2020 un ralentissement comme partout dans le monde suite à la baisse de la demande, surtout celle chinoise et qui a eu comme conséquence la diminution de cours de principaux métaux de base dont le cuivre, le cobalt et l’étain produits en RDC.
En réponse aux mesures de distanciation sociale, plusieurs entreprises ont réduit les postes de travail et multiplié les rotations. Concernant la production artisanale, au regard de la situation sociale des creuseurs et leurs dépendants, le ministère des Mines a préconisé la poursuite de l’activité parce que le contraire entrainerait des problèmes d’insécurité dans les villes à cause du retour de grandes masses de creuseurs sans moyens de subsistance.
Par contre, le ministère des Mines a demandé au SAEMAPE de collaborer avec les inspections provinciales de la santé pour la mise en œuvre des mesures strictes de contrôle sanitaire au niveau des sites miniers artisanaux. Sur les sites miniers, les creuseurs qui se dénombrent par centaines, voire par milliers sont sensibilisés à la problématique de la lutte contre le Covid-19. Une Note Technique de vulgarisation des mesures prises par le gouvernement, adaptées au secteur minier artisanal est en cours d’élaboration.
Par ailleurs, le ministère des Mines a pris contact avec des partenaires de bonne volonté pouvant assister les artisanaux miniers via leurs coopératives respectives, à travers la sensibilisation et la mise à disposition des moyens devant leur permettre de respecter des mesures barrières.
Pour les services et les missions de ce ministère, toutes les opérations de suivi et contrôle des activités des entreprises minières peuvent se faire par télétravail et échanges d’informations par courrier électronique, les contrôles d’inspection ne pouvant se faire qu’en cas de nécessité.
Au regard de ce qui précède, il apparaît que la source majeure de l’incertitude qui plane sur le secteur minier est la durée de la période des confinements et autres états d’urgence que s’appliquent souverainement les États, en l’occurrence dans les pays de transit des intrants et des produits marchands à l’exportation et ceux où se situent les marchés de ces produits.
« Dans l’hypothèse, heureuse, où l’état d’urgence sanitaire global serait de courte durée, l’économie mondiale devrait pouvoir se remettre au plus vite. Les cours des commodités essentielles pour la vie moderne, dont le cuivre, devraient se relever rapidement ». Pour preuve, le prix du cuivre, qui était descendu à 4 617,50 USD la tonne le 23 mars 2020, a refranchi la barre de 5 000 USD/tonne depuis le 7 avril 2020 et, de même, le cours du cobalt se stabilise à 29 500 USD/tonne depuis le 23 mars 2020 après une chute à 27 500 USD la tonne en date du 12 mars 2020.
Cependant, conclut l’étude, au nombre des mesures de mitigation à prendre contre les différents impacts certains du Covid-19, il y a lieu de retenir notamment celles-ci : limiter les mesures de confinement aux seules activités non essentielles et maintenir la production industrielle en l’encadrant au maximum pour limiter la contagion ; faciliter l’approvisionnement en intrants et l’évacuation des produits miniers marchands ; ne recourir aux incitations fiscales qu’en cas d’extrême urgence, lorsque les prix baissent en-deçà d’un seuil plancher, et cela par le biais d’un moratoire (mais on n’en est pas encore là) ; encadrer le secteur artisanal, qui emploie une grande partie de la main-d’œuvre ; envisager des voies alternatives d’évacuation des produits miniers marchands, en privilégiant, à moyen terme, la voie nationale pour plus de souveraineté.
« Dans le pire des cas, que ce soit au niveau mondial ou national, personne ne pourra s’accommoder d’un arrêt total de la production du cuivre et surtout du cobalt de la RDC. À l’instar des pays de l’Union européenne, il y a lieu d’envisager une coordination des décisions au niveau régional pour limiter les effets d’entrainement. C’est le cas des marchandises en transit.