C’est un revers pour le gouvernement de Theresa May. Mais la Premier ministre britannique ne s’avoue pas pour autant vaincue. Elle a laissé entendre que l’arrêt de la cour suprême de son pays conditionnant le lancement du Brexit (la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne) à la décision du Parlement ne va rien changer au calendrier de ce lancement. Elle envisage de déclencher le mécanisme de mise en application du Traité de Lisbonne sur la sortie d’un État membre de l’Union européenne. Et les effets de la sortie du Royaume-Uni sont déjà redoutés jusqu’en Afrique.
Déjà le 24 juin 2016, dès 6 heures 30 du matin, moins de 12 heures après que le oui eut remporté le référendum sur le Brexit, le rand sud-africain subit les premiers effets de ce vote. Sa valeur chuta de près de 8 %, passant de 14,33 à 15,45 contre le dollar, sa plus forte chute depuis la crise financière de 2008. Ainsi les premières ondes de choc du Brexit venaient-elles d’atteindre les marchés mondiaux, et notamment ceux d’Afrique. Sur les marchés africains, les investisseurs paniquèrent car de nombreuses économies (notamment celles de l’Angola, du Nigéria, de l’Afrique du Sud et de la Zambie) souffraient déjà de la baisse des prix des matières premières ainsi que d’une stagnation de la demande mondiale. Dans ces pays, le Brexit ne fit qu’envenimer les plaies pour des économies défaillantes.
Suites incertaines
Pour les experts, les suites de ce vote sont encore incertaines, et les gouvernements africains devront peut-être redéfinir leurs relations commerciales et diplomatiques avec le Royaume-Uni post-Brexit et l’Europe. Le Brexit affectera prioritairement le commerce et les investissements. La plupart des accords commerciaux que le Royaume-Uni a passés avec les pays africains ont été négociés par l’intermédiaire de l’Union européenne. Ce qui signifie que ces accords ne seront plus en vigueur ou devront être renégociés lorsque le Royaume-Uni quittera l’Union européenne pour de bon. Ce qui devrait prendre deux ans à partir du moment où le pays annoncera officiellement son intention de se retirer. Ce sera dès lors un moment difficile pour l’Afrique car le Royaume-Uni ne concevra ni ne dirigera plus certaines des initiatives les plus importantes sur le continent, lesquelles constituent le fondement de la coopération entre l’Europe et l’Afrique.
Les accords commerciaux prennent souvent beaucoup de temps à négocier et les incertitudes inhérentes à la période de transition pourraient compliquer les exportations vers le Royaume-Uni. Les marchés émergents et les marchés frontières seront également touchés. L’Afrique du Sud, ancienne colonie britannique et l’une des économies les plus développées du continent, pourrait notamment être durement touchée. En règle générale, l’économie sud-africaine souffre dès que l’économie britannique décline. De nombreuses entreprises sud-africaines sont cotées à la bourse de Johannesburg et à celle de Londres, et plusieurs banques sud-africaines dépendent des réserves de liquidité britanniques. Le pays exporte 10 % de sa production de vin vers le Royaume-Uni et les producteurs se préparent déjà aux pertes à venir.
L’impact sur le commerce
L’Afrique du Sud, le plus important partenaire économique du Royaume-Uni, paiera le prix fort pour le Brexit. Lorsque celui-ci sera effectif, le Produit intérieur brut (PIB) sud-africain pourrait diminuer de 0,1 % du fait que le Royaume-Uni est le huitième plus important marché d’importation et d’exportation de l’Afrique du Sud en terme global, d’après les données de 2015. L’économie se retrouverait alors dans une spirale descendante, prédisent Raymond Parsons et Wilma Viviers, professeurs à l’Université North-West en Afrique du Sud. Le Brexit risque d’imposer au PIB du Royaume-Uni une baisse cumulative de 2,75 points de pourcentage d’ici à 2018, estiment Jan Hatzius et Sven Jari Stehn, économistes de la banque d’investissement Goldman Sachs. La baisse du PIB pourrait aller jusqu’à 1 %, prévoient-ils, ce qui constituerait une récession, définie comme deux trimestres consécutifs de croissance négative.
Larry Fink, président de la plus grande société de gestion d’actifs dans le monde, BlackRock, est du même avis, et souligne que le Brexit pourrait entraîner un ralentissement des échanges commerciaux avec l’Union européenne, une baisse de confiance des investisseurs et une recrudescence du chômage. Cela ne présage rien de bon pour l’Afrique du Sud, ni pour les autres principaux partenaires commerciaux africains du Royaume-Uni, notamment le Nigéria, le Kenya et l’Égypte.
Après l’Afrique du Sud, le Nigéria constitue le deuxième partenaire commercial africain du Royaume-Uni, le Kenya arrivant en troisième place. Avant le Brexit, les échanges bilatéraux entre le Nigéria, première économie d’Afrique, et le Royaume-Uni se montaient à environ 6 milliards de livres (7,9 milliards de dollars) et devaient atteindre les 20 milliards (26,6 milliards de dollars) d’ici à 2020. Cette prévision paraît à présent excessivement optimiste. Le Nigéria fait face à une baisse des prix du pétrole, sa première source de revenu. Les produits chimiques bruts et les matériaux associés représentent près d’un quart des échanges commerciaux du Nigéria avec le Royaume-Uni. Une réduction éventuelle de la demande de pétrole couplée à une baisse des prix pourrait réduire les perspectives de redressement de l’économie nigériane. Tunji Andrews, économiste résidant à Lagos, estime que le Nigéria ne pourra pas compter sur l’Union européenne pour compenser la différence de revenus si l’économie britannique entre en récession.
Le Kenya, troisième partenaire économique du Royaume-Uni en Afrique, pourrait souffrir d’une fuite de capitaux qui entraînerait une chute des exportations. La monnaie kényane s’en trouverait affaiblie et les exportations deviendraient plus coûteuses pour un pays dont les dépenses d’importation ont déjà augmenté de 10 % au cours des cinq dernières années. L’industrie très lucrative des fleurs, pour laquelle le Royaume-Uni constitue le second marché d’exportation après les Pays-Bas, pourrait souffrir. Un accord commercial sur l’exportation des fleurs entre le Kenya et l’Union européenne était en cours de négociation avant le vote du Brexit. Si la négociation d’un accord commercial entre la Communauté d’Afrique de l’Est et l’Union européenne est bloquée par le Brexit, le Kenya risque de perdre des milliards de shillings, ce qui pourrait fragiliser les exportations du pays.
Outre ses effets directs sur le commerce, le Brexit devrait perturber l’aide au développement versée à l’Afrique par le Royaume-Uni, dont la contribution au Fonds européen de développement (FED), destiné au soutien du développement dans les pays pauvres, est de 409 milliards de livres (543 millions de dollars), soit 14,8 % du budget du FED.
Les projets financés par l’Union européenne tel que la construction des routes dans des pays comme la Tanzanie pâtiront de cette absence de contribution britannique. Le Royaume-Uni peut financer directement des projets en Afrique, mais il ne peut soutenir qu’un petit nombre de pays, indique Kevin Watkins, consultant de longue date auprès de la Brookings Institution. Une économie britannique boiteuse dont la monnaie risque d’être affaiblie ne fournira sans doute pas le même niveau d’aide à des pays tels que l’Éthiopie et la Sierra Leone qui en sont fortement tributaires. Ainsi, en 2014, selon la Banque mondiale, le Royaume-Uni a versé 238 millions de livres (416 millions de dollars) à la Sierra Leone, représentant 6,8 % de l’économie de ce pays. La même année, l’Éthiopie a reçu 322 millions de livres (425 millions de dollars), soit 0,8 % de l’économie éthiopienne.
En dehors des exportations et de l’aide internationale, le ralentissement de l’économie britannique pourrait affecter les envois d’argent de la diaspora africaine au Royaume-Uni, qui constituent une injection bienvenue de liquidités pour les économies africaines. En 2014, ce sont les immigrés nigérians au Royaume-Uni qui ont envoyé le plus d’argent au pays, soit 3,7 milliards de dollars. Si certains craignent que le Brexit perturbe les économies africaines, d’autres experts y voient une chance d’évolution positive pour des pays comme la Libye ou le Zimbabwe, qui sont actuellement soumis à des sanctions européennes soutenues par le Royaume-Uni.