En ce moment, la croissance chinoise ralentit. Les secteurs liés aux infrastructures et aux matières premières en sont pénalisés, à l’inverse des secteurs liés à l’émergence de la classe moyenne et de la consommation des ménages. Quand la demande chinoise faiblit, c’est l’Afrique qui souffre. Si la demande chinoise diminue, c’est d’abord parce que la structure de l’économie chinoise évolue rapidement.
Selon des spécialistes, le défi pour les pays émergents d’Afrique subsaharienne est d’arriver à restructurer et changer leurs exportations pour pouvoir bénéficier des secteurs émergents en Chine. En effet, l’Afrique est le continent le plus dépendant de la Chine, devant l’Amérique latine. Ces spécialistes estiment que le moment est venu pour les pays africains de se trouver d’autres produits que le pétrole et les minerais à exporter vers la Chine. Et ce, pour atténuer le choc.
Diversifier, toujours diversifier
Plusieurs pistes s’offrent donc aux pays africains. La première piste est toujours liée aux matières premières (pétrole et minerais). Il s’agit de se tourner vers les industries de transformation des matières premières. D’après les spécialistes, les produits transformés n’intéressent pas que la Chine. Beaucoup de pays en sont demandeurs. Par ailleurs, les industries de transformation ne concernent pas que le secteur des mines et sont encore relativement faibles en Afrique. On en trouve, par exemple, dans le secteur de l’industrie forestière. Elles concernent aussi les matières premières agricoles, comme le sésame, le tabac, le millet, qui sont très recherchés notamment par les nouvelles classes émergentes en Chine.
Pour les mêmes spécialistes, s’il y a restructuration, cela pourrait mécaniquement servir la diversification. Certains pays, comme l’Ethiopie, font le pari de devenir des « zones de délocalisation » pour l’industrie chinoise et créent des hubs de manufacturation. C’est un exemple à suivre et même une stratégie de développement payante, recommandent-ils, même si cela reste vraiment une dynamique de long terme sans impact très significatif sur la croissance de ces pays à court terme.
Bref, l’Afrique doit transformer sa dépendance économique en atouts, c’est-à-dire le moment est venu pour que les États africains exportent les produits transformés, sous peine de subir constamment les ajustements de l’économie chinoise, voire de l’économie mondiale.
La malédiction des ressources naturelles
L’objectif de la politique économique d’un État est de créer un environnement règlementaire, fiscal et institutionnel dans lequel les activités économiques dans tous les secteurs prennent leur essor sans entrave. Si l’on a quelquefois parlé de « malédiction des ressources naturelles » pour caractériser la performance décevante de beaucoup de pays africains exportateurs de produits primaires, c’est parce que les dirigeants de ces pays se sont inscrits dans une logique de redistribution de la rente minière et/ou pétrolière. Encore que les richesses provenant de l’exploitation des matières premières ne bénéficient qu’à la minorité au pouvoir. La richesse en ressources naturelles n’est pas, en soi, un facteur inhibant de la croissance ou du bien-être de la population. Ce qui importe, pour la République démocratique du Congo comme pour tous les autres pays exportateurs de produits de base, c’est d’inscrire la rente minière et/ou pétrolière dans une logique d’investissement dans tous les secteurs (routes, infrastructures, industries de transformation, etc.). Nul n’ignore que le pétrole et les minerais ont une durée de vie limitée. La plupart des gisements en RDC ont encore des réserves pour environ 50 ans. Et après ? Il s’agit donc de mettre en place un environnement porteur pour tous les secteurs de l’économie, dans lequel chacun a accès aux facteurs de production dans un environnement concurrentiel et dans un État de droit.
Un environnement macroéconomique stable constitue le pré-requis de base à l’efficacité des marchés. Cependant, l’économie congolaise a récemment été soumise à des tensions importantes. Les prix des produits primaires se sont effondrés mais celui du cuivre, par exemple, remonte à une vitesse quasi similaire à celle de sa chute. Cette situation de basse conjoncture a amené le gouvernement à recourir aux emprunts auprès de la Banque centrale du Congo (BCC). La chute des cours mondiaux des matières premières a suscité des craintes du marché sur la solidité du franc congolais, contribuant à sa dépréciation. La parité sur le marché de change parallèle est passée à 1 dollar pour 1 630 francs, voire plus depuis la semaine dernière. La réponse des autorités en termes de politique macroéconomique reste ambiguë, en particulier en ce qui concerne la politique monétaire. Les estimations de la croissance en 2017 sont autour de 2.4 %, contre 9,9 % en 2014. L’inflation, déjà élevée, est passée de 25 % en 2008 à un pic de 55 % à fin 2017, après une période de stabilité relative entre 2010 et 2014. On ne dispose pas des chiffres réels sur le déficit du compte courant qui s’est accru naturellement ni sur les investissements directs étrangers (IDE) par rapport au Produit intérieur brut (PIB).
En termes d’ouverture globale (ratio du commerce au PIB), la RDC est comparée aux pays à revenu équivalant et se situe dans la moyenne des pays exportateurs de produits primaires à même niveau de revenu. Une amorce de diversification sectorielle et géographique de ses exportations a pu être remarquée. En termes sectoriels, la diversification reste cependant cantonnée aux produits miniers. En termes géographiques, la Chine prend une place croissante dans le commerce extérieur de la RDC. L’orientation générale des exportations congolaises demeure par contre dépendante de destinations à faible croissance, comme l’Europe, l’Afrique du Sud, etc.
Questions de gouvernance et de choix
Au-delà des questions de gouvernance qui sont récurrentes, la RDC se doit d’opérer des choix importants en matière de politique économique. De tous les choix à opérer, le plus important est sans nul doute de redonner au secteur privé, créateur d’emplois et de richesses tout son poids économique historique. En janvier 2017, le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), Albert Yuma Mulimbi, avait profité de la cérémonie de présentation des vœux aux corps constitués et aux opérateurs économiques pour fustiger « cinq années de faux discours, de faux bilans macroéconomiques, de politiques fiscales aventureuses et de projets budgétivores sans impact social ».
D’après lui, les Congolais doivent s’unir autour d’« un projet économique commun et tracer les perspectives de leur développement ». L’avenir de la RDC sera économique ou ne le sera pas. Le développement économique doit résolument être fondée sur une approche locale et cesser d’attendre son salut des cours mondiaux des matières premières.
Il passe en priorité par l’investissement agricole et industriel. En effet, la conjoncture mondiale n’offre, à court terme, aucune perspective réelle de reprise pour le moment. Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, il ne faudra pas s’attendre à une croissance mondiale significative à cause de la baisse des cours mondiaux des produits de base, de la dégradation permanente des perspectives pour les pays avancés ainsi qu’à cause d’un environnement politique mondial extrêmement volatile au Moyen-Orient, en Europe, voire entre les grandes puissances que sont les États-Unis, la Russie et la Chine.
En 2017, des pays africains, comme la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, le Sénégal ou l’Ethiopie, qui ne sont pas exportateurs de matières premières, mais disposant plutôt d’un cadre de gestion macroéconomique plus solide et de réglementation plus favorable aux activités commerciales, devraient connaître une croissance égale ou supérieure à 5 %. Leur atout : les exportations sont plus diversifiées et leurs institutions plus efficaces.
À l’instar de ces pays, la FEC rappelle sans cesse aux dirigeants politiques l’« impérieuse nécessité » de la diversification économique afin de parvenir, à terme, à une croissance multipolaire à même de renforcer la résilience de l’économie nationale aux chocs exogènes, en réduisant particulièrement son exposition à la valorisation des cours des matières premières sur les marchés internationaux.
Le pays dépense plus d’un milliard de dollars chaque année pour l’importation des biens de consommation courante, alors qu’il dispose de grandes potentialités pour devenir une puissance industrielle et peut-être un jour, une grande nation industrielle.
À ce jour, les principales activités industrielles du pays sont limitées à un nombre réduit de filières de biens de consommation, notamment la production du sucre, des boissons, de la transformation des matières plastiques, des produits cosmétiques, de la panification, etc. Les filières de biens d’équipements sont sous-exploitées, tournant principalement autour de la production du ciment et de la construction métallique.
Cependant, cette industrie fait face à des contraintes qui l’empêchent d’amorcer son redécollage. Ce sont la lourde fiscalité et la parafiscalité qu’elle supporte, atteignant 51 % du chiffre d’affaires, soit le double de ce qui est payé dans les pays voisins. Ainsi, l’augmentation du taux de droit d’accises sur plusieurs produits, justifiée par la seule maximisation des recettes. Conséquence : une activité génératrice de recettes fiscales, comme les industries brassicoles, a connue une baisse de plus de 20 %.
Un climat des affaires incitatif
La plupart d’entre elles se sont vues obligées de procéder à des changements structurels, d’autres ont procédé à la fermeture des usines de production avec notamment la fermeture des usines de la Bralima à Mbandaka, Kisangani et à Boma en 2015 et 2016.
La FEC en appelle à l’émergence d’un État fort doté d’une administration compétente, sur lequel le secteur privé devrait s’appuyer dans le cadre d’« un partenariat durable, sincère et constructif ». « L’amélioration de l’environnement des affaires est liée à la prévisibilité politique basée sur un dialogue fort avec le secteur privé, les réformes réglementaires, le paiement ponctuel de la TVA et d’autres remboursements d’impôts ou encore l’élimination des arriérés intérieurs », a recommandé le FMI.
Le climat des affaires ne peut s’améliorer que lorsqu’un débat fécond est entretenu durablement entre l’État et les acteurs privés. Encore que ce débat fécond puisse être suivi d’effets concrets. Les relations commerciales qui se font dans le cadre du commerce frontalier ou dans le cadre des zones de libre-échange pour l’instant ne sont pas accompagnées de mesures efficaces de sauvegarde de l’activité économique intérieure.
Dans son dernier message à la nation, le chef de l’État a levé des options et des orientations économiques dictées par l’évolution de la situation économico-financière internationale, mais aussi par les revendications du secteur privé local.
À l’avant-plan, le système fiscal congolais jugé « écrasant, discriminatoire et truffé d’une parafiscalité lourde », ce qui n’est pas propice à l’investissement productif ni au civisme fiscal. Un forum national sur la réforme du système fiscal en RDC a été organisé en septembre 2017 à l’initiative du ministère des Finances sous le patronage du chef de l’État. Logiquement, les recommandations devraient sortir leurs effets dès 2018.
Concrètement, le secteur privé exige un allègement des charges fiscales, parafiscales et autres afin de lui permettre d’investir dans la production. Prenant la mesure du défi, le président de la République a définitivement levé l’option de promouvoir le soutien au secteur privé productif à travers, particulièrement, l’appui direct aux PME/PMI, spécialement celles engagées dans l’agro-industrie et inscrivant leurs activités dans le cadre des chaînes de valeurs. Par exemple, il a promulgué la loi sur sous-traitance pour promouvoir la classe moyenne nationale.
Les orientations présidentielles avaient pour objectif d’apaiser les opérateurs économiques. Lors de la table ronde sur les PME à l’initiative de la FEC, en avril 2017, le 1ER Ministre de l’époque, Samy Badibanga Ntita, avait souligné que l’État n’a pas intérêt à être un « acteur omniprésent et envahissant », mais d’un « facilitateur des activités économiques et commerciales par la création de conditions attractives pour les entrepreneurs ».
Depuis plusieurs années, le patronat demandait un climat des affaires « incitatif », c’est-à-dire un cadre qui puisse permettre aux opérateurs économiques, notamment du secteur des PME, de développer leurs affaires en un temps record et avec efficience. C’est le rôle de l’État d’accompagner le secteur privé dans son développement et assurer son intégration dans les chaînes de valeurs nationales, régionales et mondiales.
Selon les spécialistes, développer les capacités de production des biens et services permettra de tirer le meilleur parti des cycles de croissance et de résister aux situations de crise. Les entreprises prennent suffisamment déjà un risque politique pour ne pas revendiquer un maximum de stabilité de la part de l’État, en termes d’environnement politique, juridique, judiciaire, fiscal et monétaire.
Elles réclament un partenariat public-privé. Pour cela, l’État doit créer et mettre en place un cadre des règles, qui soient comprises et utilisables par toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes.
Concrètement, outre un allègement des charges (fiscales, parafiscales et autres), le secteur privé revendique un accès facile aux financements nécessaires à leur développement, des facilités à l’import-export pour rendre plus rapide les activités de production et de commerce, etc. Stimuler la production nationale, c’est un défi commun.
Lutte anti-corruption
En décembre 2017, plusieurs hauts cadres de l’État ont été arrêtés sur instruction du conseiller spécial du chef de l’État en matière de bonne gouvernance, lutte contre la corruption, le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux, Emmanuel Luzolo Bambi.
Parmi eux, le directeur général et le directeur général adjoint de la Direction générale des recettes de Kinshasa (DGRK), suspectés de « détournement des deniers publics » ; le secrétaire général au ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat, le conservateur de titres immobiliers de la Gombe, poursuivis pour « spoliation et vente au rabais des immeubles de l’État », notamment l’immeuble UAC ainsi que le représentant de l’Agence congolaise des grands travaux (ACGT) auprès de la société Zénit, chargé de « non-exécution des travaux et de détournement des fonds destinés à la construction de passerelles ».
Ces arrestations spectaculaires ont défrayé la chronique, notamment avec la réaction du ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, Joseph Kokonyangi Witanene, qui a voulu à sa manière recadrer le conseiller spécial du chef de l’État en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Pour rappel, la mission dévolue à ce dernier est notamment de dénoncer au parquet général de la République les faits portés à sa connaissance. Et il appartient donc au parquet d’ouvrir les enquêtes judiciaires et éventuellement placer les suspects en détention.
Cependant, entre l’office du conseil spécial et le parquet général de la République, ce n’est pas encore l’entente cordiale. C’est depuis juin 2015 que le parquet général « instruit » la plainte du président de la République contre des gouverneurs de province et des haut-fonctionnaires de l’État. Plainte introduite par le conseil spécial Luzolo. Dans le public, la lutte anti-corruption est considérée comme « une politique spectacle » dont l’effet demeure de surface. Sans réelle volonté politique, difficile de venir à bout de « mauvaises pratiques » qui gangrènent l’administration et la justice.
Selon Emmanuel Luzolo Bambi, « la corruption est devenue endémique en RDC et qu’il faut l’arrêter ». Est-ce à y voir un aveu d’impuissance ou un réel engagement politique pour juguler ce fléau ? Des spécialistes soulignent que si le pouvoir politique dans un pays est en collusion avec le pouvoir économique, il sera difficile de faire la chasse à la corruption. En RDC, les dignitaires du régime (gouvernement, armée, police, magistrature, Parlement et autres institutions politiques), s’ils ne se font pas eux-mêmes opérateurs économiques, ils servent de parapluie (politique) pour protéger des opérateurs économiques voyous, sans scrupules qui viennent s’installer, plus nombreux, au pays.
En 2008, le président Kabila, via son ministre de la Justice et des Droits humains, Luzolo Bambi, le même, avait lancé la campagne baptisée « Tolérance zéro ». Elle avait été relancée en 2010 sans pour autant qu’elle n’atteigne ses objectifs. La campagne avait pourtant suscité beaucoup d’espoir, notamment dans sa première phase avec des sanctions présidentielles de révocation et/ou suspension contre les mandataires dans les entreprises publiques et les fonctionnaires accusés de corruption.
Dans le cadre de cette opération « manu pulite », le procureur général de la République avait demandé la levée de l’immunité parlementaire en vue de poursuivre douze députés soupçonnés d’avoir été corrompus alors qu’ils enquêtaient sur un « scandale financier » à la Direction générale des impôts (DGI). Des patrons des entreprises privées qui avaient bénéficié des marchés publics, notamment pour la réhabilitation des routes, étaient également sur la sellette.
Contre toute attente, la plupart des personnes interpellées ont été remises en liberté. Les associations de la société civile s’en offusquèrent. Quant à elle, la FEC dénonça la politique de deux poids deux mesures du parquet général, qui laissait en liberté les ministres et autres autorités présumés et s’en prenait aux seuls entrepreneurs.
Dans sa phase I, la campagne tolérance zéro avait surtout visé les hauts responsables politiques ayant géré le pays depuis 2001, soupçonnés de concussion et de prévarication. Le gouvernement avait reçu mission par-dessus tout de mettre en place de nouvelles procédures afin de lutter efficacement contre la corruption dans les milieux politiques et d’affaires.
En 2010, l’argumentaire choc de la campagne, « Fini la recréation, les prisons vont être remplies », avait déjà perdu de sa sève. On s’est bien rendu compte que la corruption est un « système » en RDC. Et de ce fait, la lutte anti-corruption est un combat difficile à mener étant donné les pratiques et les liens qui se sont progressivement tissés entre administrations publiques, justice et privés. L’exemple venant du sommet, l’État n’améliore pas la situation de la population. L’un des problèmes majeurs est la mauvaise gestion généralisée par les élites politiques au pouvoir. Celles-ci profitent de leur position de force pour élever leur train de vie au détriment de la majorité de la population.
Dans un tel contexte, les ministres, les députés, les fonctionnaires et agents de l’État, les magistrats, bref, tous, « vivent » de l’État. Chaque année, par exemple, entre 10 et 15 milliards de dollars – soit le triple du budget national – partent en fumée, rien que du fait de la fraude (fiscale), a déclaré Luzolo Bambi. Des rapports des ONG ne laissent entrevoir aucun progrès en matière de lutte anti-corruption. Au contraire, ils dénoncent le trafic d’influence politique et le dysfonctionnement de la justice. La conséquence est que les gens attrapés la main dans le sac peuvent s’en tirer à très peu de frais.
Dans le classement Doing Business sur le climat des affaires dans le monde, la RDC est 181ème sur 183 pays. La corruption touche les niveaux les plus élevés de l’État, selon Luzolo Bambi. « Lorsqu’il y a une évasion, une fuite, une fraude, évaluée entre 10 et 15 milliards de dollars par an (…), c’est au sommet de l’État qu’il faut modifier la tendance », a-t-il dit.