Les fabricants de boissons alcoolisées font pression pour la réouverture des Nganda

Le chiffre d’affaires des entreprises du secteur est en baisse. « Pour préserver les emplois et les revenus des travailleurs, il est indispensable de lever la mesure de fermeture de bars, cafés, terrasses et restaurants », revendiquent les brasseurs kinois.

C’EST UNE question de vie ou de mort, nous déclare un cadre de la Bracongo, l’un des deux principaux brasseurs de bière à Kinshasa, qui a requis l’anonymat. Comme chez le concurrent la Bralima, le brasseur de l’avenue des Poids lourds à Kingabwa dans la commune de Limete ne trouve pas son compte depuis que l’état d’urgence sanitaire a été déclaré le 19 mars dans le pays. « Les ventes sont fortement en baisse à cause de la fermeture des Nganda. La société est obligée de faire des coupes dans les salaires. À cette allure, beaucoup de travailleurs vont perdre leur emploi ou être renvoyés en congé technique », confie cet employé de Bracongo.

L’ambiance est aussi délétère sur l’avenue du Flambeau dans la commune de Barumbu, où se trouvent les usines de la Bralima. Il semble que la filiale de Heineken International exercerait des pressions sur l’Hôtel de ville de Kinshasa pour la réouverture des terrasses, bars et autres lieux des retrouvailles des Kinois. « La bière fait partie du quotidien du Kinois qui se respecte. C’est une question sensible ! », lance un habitant de Lemba, un amateur d’endroits de plaisir. Ils sont nombreux dans la capitale de la République démocratique du Congo, ces habitués de ces endroits, qui trouvent toujours des façons pour contourner l’état d’urgence et les mesures barrières.

Question de vie ou de mort ?

Pour la bière, en tout cas, le Kinois peut mourir. Faut-il alors autoriser la consommation d’alcool dans les bars et terrasses pendant que la pandémie de coronavirus continue de faire des ravages ? Il faudrait que les experts du comité multisectoriel de riposte au Covid-19 s’y penchent sérieusement dès maintenant. En tout cas, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire décrétée par les autorités du pays, tous les rassemblements, réunions, célébrations, de plus de 20 personnes sur les lieux publics en dehors du domicile familial, sont interdits. Les écoles, universités, instituts supérieurs à travers le pays sont fermés. Tous les cultes, activités sportives dans les stades et autres lieux de regroupement sportif sont suspendus. L’ouverture des discothèques, bars, cafés, terrasses et restaurants est interdite. Pareil pour l’organisation des deuils dans les salles et les domiciles… 

Paradoxalement, les mesures barrières pour freiner la propagation de la pandémie de Covid-19 ne conviennent pas aux Kinois habitués à jouir sans limite de leur liberté mais aussi aux entreprises du secteur des boissons alcoolisées. De nuit comme de jour, des gens bravent ces mesures en squattant les Nganda comme si de rien n’était. Chaque jour qui passe, la police fait des descentes pour arrêter les récalcitrants et des saisies…  Des personnes interrogées disent que prendre la bière à la maison, ce n’est pas la même chose que se retrouver dans un Nganda avec des amis after work ou pour suivre un match de football à la télé. Pour la plupart d’entre elles, mesures barrières, oui, mais il faut « préserver les équilibres ». Quels équilibres ? Avec le confinement de Gombe, beaucoup de bars et terrasses in du centre-ville ont carrément délocalisé au quartier GB ou à Lingwala, Bandal dans des résidences pour ne pas perdre la clientèle. En dehors de Gombe, les hôtels, bars et terrasses ont aménagé les arrière-cours pour servir la bière et les grillades. « Si on ne fait pas ça, comment va-t-on payer le loyer et le personnel, comment le business va-t-il survivre ? », confie un gérant de bar.

Il est vrai que la pandémie de Covid-19 a rompu les équilibres de survie dans une ville de plus de 10 millions d’habitants qui vivent au jour le jour. Au-delà des considérations sanitaires, nombre de Kinois pensent que la mesure interdisant l’ouverture des bars, terrasses et restaurants est vraiment salutaire. « Ça nous a épargne au moins de la pollution sonore et de certaines scènes obscènes dans ces lieux publics », se réjouit une dame de 70 ans. Par ailleurs, comme cette dame, beaucoup de personnes souhaitent que l’État préconise des réformes en matière de vente d’alcool, car « on est face à beaucoup d’abus ».

Utile ou pas?

Hôtels, flats, restaurants, bars, terrasses, Malewa, Nganda… Que valent-ils ces labels à Kinshasa, voire dans le pays ? Les protocoles reconnus internationalement pour ce genre d’endroits ne sont pas respectés ou presque à Kinshasa. On voit fleurir un peu partout dans la capitale des labels sans vraiment se préoccuper de bonnes mœurs. On voit ces labels à proximité des écoles, marchés, églises… Le principe de tous ces labels est le même : faire du bruit, beaucoup de bruit en jouant la musique à tue-tête. « L’État doit imposer désormais une charte de bonnes pratiques, veiller à la protection des citoyens et à ne pas délivrer l’autorisation n’importe comment. Il doit vérifier que les règles sont bien respectées », recommande un habitant de Kinshasa.

Aujourd’hui, on trouve normal que les véhicules des brasseurs vendent la bière à ces labels jusque tard dans la soirée. Ces labels ne connaissent pas les heures d’ouverture et de fermeture. Pourtant, tout le monde reconnaît les effets néfastes des boissons alcoolisées sur le plan socio-économique. 

Environ 70 % des personnes sondées ne souhaitent pas les boîtes, bars, terrasses, restaurants ne rouvrent pas au mieux avant le mois de décembre. De quoi faire craindre une catastrophe économique dans le monde de la nuit. Utile ou pas ? En temps normal, le monde de nuit est incontournable, il rythme les soirées des noctambules kinois. « On fait ce qu’on peut. Si nos employés peuvent encore bénéficier du chômage partiel, chaque établissement doit faire face à des charges fixes », déplore Mélanie M., patronne d’une boîte de nuit dans le quartier Yolo dans la commune de Kalamu, l’un des quartiers chauds de Kinshasa. Déjà en difficulté depuis plusieurs années à cause de la concurrence sauvage dans le secteur, le monde de la nuit risque d’avoir du mal à se relever de la crise du Covid-19.

« On est tous en déprime. C’est le coup de grâce. Aujourd’hui, la plupart des patrons de boîtes de nuit sont en situation de dépôt de bilan. C’est dramatique », s’alarme Stéphane L., patron d’une boîte de nuit. Très inquiets, les patrons de boîtes ne contestent pourtant pas la fermeture avec un protocole sanitaire si difficile à mettre en place dans leurs établissements. « Si on est tous serrés dans une boîte de nuit, le virus va sévir, c’est certain », concède-t-il.

« La discothèque, c’est le seul endroit où on ne peut pas mentir. En boîte, tu ne peux pas danser un slow et tu peux difficilement boire un verre et converser à un mètre de distance. On ne peut pas être souple avec les distanciations sociales », reconnaît Stéphane L. Bref, l’avenir des boîtes de nuit, bars, terrasses, cafés… est en question. Placés sous perfusion, ces labels ne sont pas au bout de leurs peines. En cas de réouverture, il n’est même pas si sûr que le public soit au rendez-vous comme avant Covid-19. « Avec le confinement, les gens ont pris des habitudes différentes. Après quatre mois sans y avoir mis un pied, les gens se sont habitués à faire la fête différemment que ce soit dans des bars ou en faisant des fêtes privées », déplore Mélanie M. Est-ce pour autant qu’on est en train de tuer le métier à petit feu ? « Si la fin de ces labels n’est pas envisageable, néanmoins, je sens mal l’avenir », répond Vincent Batouala, historien des mentalités, qui souhaite interpeller rapidement les pouvoirs publics.