L’ire populaire n’est pas encore retombée en Corée du Sud. Les capitaines d’industrie sud-coréens, y compris celui du géant Samsung, qui ont été interrogés par une commission d’enquête parlementaire pugnace, sont toujours mal vus par la population qui réclame des comptes. En tout cas, ils ont peiné à défendre leurs pratiques entrepreneuriales devant sur un retentissant scandale de corruption qui défraie la chronique dans le pays. Les huit plus grands patrons sud-coréens, d’ordinaire réticents à toute publicité, ont été interrogés sans merci devant des millions de téléspectateurs au sujet de leurs donations à deux fondations douteuses contrôlées par Choi Soo-Sil, amie proche de la présidente Park Geun-Hye.
Mme Choi attend son procès pour extorsion et abus de pouvoir. Mme Park a affronté une motion de destitution qui semblait assurée d’être adoptée, plus de 30 députés rebelles de son propre parti conservateur – le Saenuri – étant favorables au texte. Surnommée « Raspoutine » par la presse, Mme Choi est accusée d’avoir utilisé ses relations d’amitié avec la présidente pour forcer les groupes industriels à verser de l’argent aux fondations en question, et de s’en être servie comme tirelire personnelle.
Les « faiblesses » de Samsung
La présidente est suspectée de complicité. Les auditions ont été diffusées en direct par les principales chaînes, moments très inconfortables pour des chefs d’entreprise peu habitués à répondre aux questions ou à se justifier. « Vous êtes au courant de quelque chose? », s’est moqué un député alors que le patron de facto de Samsung, Lee Jae-Yong, disait ignorer qui au sein du groupe avait autorisé les transferts de liquide pour financer la formation équestre de la fille de Mme Choi en Allemagne. « Vous croyez faire du bon travail à la tête d’une compagnie mondiale comme Samsung en prétendant que vous ne savez pas? », a lancé le député.
Le vice-président de Samsung Electronics et héritier présomptif de l’empire Samsung semblait très mal à l’aise, cherchant à détourner les questions en énonçant des regrets généraux à coups de réponses toutes faites. « J’ai tant de faiblesses et Samsung a des choses à corriger », a-t-il répondu comme on lui demandait s’il était d’accord pour considérer que les entreprises étaient en collusion avec la confidente de l’ombre. « Cette crise m’a fait prendre conscience que nous avons besoin de changer pour répondre aux attentes du public », a-t-il dit, suscitant l’exaspération d’un député: « Arrêtez vos réponses et vos excuses ridicules! ». Premier conglomérat du pays, Samsung est celui qui s’est montré le plus généreux en donnant aux fondations de Mme Choi : 20 milliards de wons (17 millions de dollars), suivi par Hyundai, SK, LG et Lotte. Les conglomérats familiaux géants, les fameux « chaebols », dominent depuis des décennies la marche d’une économie portée par les exportations, la quatrième d’Asie. Leurs capitaines d’industrie ont démenti avoir troqué de l’argent contre des faveurs mais ont laissé entendre qu’ils étaient régulièrement l’objet de pressions de la part du sommet du pouvoir. « C’est difficile pour des entreprises de refuser une demande de la Maison bleue », la présidence sud-coréenne, a dit Huh Chang-Soo, président de GS Group et de la Fédération des industries coréennes.
« Enfermez les tous! »
« Les entreprises n’ont d’autre choix que de suivre la politique gouvernementale », a renchéri Koo Bon-Moo, patron de LG. Samsung reçoit de nombreuses demandes de financements, a expliqué M. Lee. « Mais nous n’apportons jamais notre soutien ou nos financements en échange de quelque chose ». Le seul précédent à ces auditions date de 1988, un an après le retour de la démocratie présidentielle à la suite de décennies de règne militaire. Les patrons de « chaebols » avaient alors été interrogés par les députés sur des dons à une autre fondation, créée essentiellement pour servir de caisse noire à l’ex-homme fort Chun Doo-Hwan. Le scandale actuel a déclenché des manifestations monstres et mis en lumière l’écart croissant des niveaux de richesses en Corée du Sud, le ressentiment de l’opinion quant à la vie dorée des privilégiés, politiques ou élite entrepreneuriale. Devant l’Assemblée nationale, des manifestants ont accueilli les témoins aux cris de « Enfermez-les! ». « Il est extrêmement rare que ces gens soient exposés au regard du public de cette manière », a commenté Chung Sun-Sup, président de Chaebol.com, site de surveillance du comportement des entreprises. « Les gens les détestent à cause de leur conduite et leur envient leur richesse.