Face à des politiques économiques qu’ils ne jugeaient pas assez favorables à la croissance ou qui creusaient trop le déficit public, les marchés financiers réagissaient. Les Bourses baissaient, les taux d’intérêt de la dette publique montaient. Assez vite, les politiques prenaient peur et se ravisaient. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Avec Donald Trump aux Etats-Unis et ses foucades, le Dow Jones demeure au-dessus de 26.000 points depuis 2018, contre 20.000 en 2017. Et les bons du trésor à 10 ans sont actuellement à 1,7 %, contre 2,1 % en juillet. Voici donc une Bourse qui tient et des taux longs qui baissent, avec une croissance qui ralentit à 2,1 %.Comment comprendre ? Sinon pour y lire un encouragement donné à Donald Trump pour qu’il continue ses pressions douanières à l’encontre de la Chine, plus sa politique de déficit budgétaire, qui se finance ainsi moins cher. Le tout en sachant queJerome Powell (ou son successeur) n’aura d’autre choix que de baisser encore les taux courts ! Plus de risques donc, mais les marchés fournissent les airbags.
Au Royaume-Uni, avec Boris Johnson, qui annonce qu’il faut se préparer au « no deal » le 31 octobre , ménages et entreprises prennent la perspective au sérieux, mais la Bourse « tient » depuis trois ans. Après un premier trimestre de forte croissance (+0,5 %), pour motif de stockage, le deuxième est en baisse (-0,2 %), avec la montée de l’épargne des ménages et le freinage des investissements. Il ne s’agit plus d’un « no deal » à éviter (avec Theresa May) ou d’un bluff pour obtenir une concession sur l’Irlande (c’était la première semaine de Boris Johnson en poste), mais d’un choix délibéré pour sortir au plus vite de l’accord etnégocier avec les Etats-Unis (notamment) sans payer les 40 à 50 milliards d’euros promis pour couvrir les frais engagés en commun.
Alors, les taux longs baissent à 0,5 %, contre 0,8 % en juillet, avec des taux courts accrochés à 0,75 % ! Les marchés oublient le risque d’inflation importée et croient à une relève rapide de la croissance par de nouveaux accords commerciaux, d’abord avec les Etats-Unis. Ils ne croient pas du tout à la prévision officielle de la Banque d’Angleterre, qui préparerait une hausse des taux courts selon son hypothèse de Brexit doux. Ils pensent au contraire qu’elle va baisser ses taux et que la livre va continuer à fléchir au-dessous de 1,2 pour 1 dollar, son taux de change le plus bas depuis plus de quinze ans. Là aussi, avec les taux longs, courts et de change en baisse, les marchés offrent un « scénario de crise compensée ». Pourquoi donc Boris Johnson devrait-il alors changer de stratégie ?
Réaction hors de proportion
C’est peut-être du côté de l’Italie avec Matteo Salvini qu’on verra si les marchés peuvent vraiment freiner les politiques, comme avant. La bourse italienne baisse fortement depuis qu’il a manifesté son souhait de nouvelles élections : -10 % depuis juillet, à 20.300. Elle risque de plonger encore, au-dessous de son niveau d’avant-crise. En même temps, les taux des bons du Trésor à long terme, les taux longs remontent à 1,8 %, contre 1,4 % le 7 août, l’écart avec l’Allemagne passe à 2,4 %.
Les marchés savent que la politique de Matteo Salvini a un grand attrait politique, la baisse des impôts avec une flat tax, et ils préfèrent moins que plus d’impôts ! Un creusement mécanique du déficit budgétaire est donc à la clef, contraire aux engagements italiens à Bruxelles, ce qui est le problème.
Mais Matteo Salvini pense que c’est le vrai moyen pour faire repartir la croissance italienne, et aussi secouer le joug bruxellois et l’euro. Il avait déjà lancé l’idée d’une monnaie parallèle pour payer la dette publique, qu’il a dû abandonner. Il rêve d’un « Italxit », et le Brexit avec un « no deal » est pour lui un modèle (et un appui). En face, les réactions des marchés sont classiques, mais hors de proportion avec ce qui se joue.
Aujourd’hui, les marchés financiers font ainsi face à deux risques extrêmes qu’ils peinent à traiter : récession mondiale, à la suite des tensions entre Etats-Unis et Chine, éclatement de la zone euro, sous les effets du Brexit et de l’« Italxit ». Ils offrent alors deux solutions de regroupement : Etats-Unis-Royaume-Uni et Allemagne-France, plus l’or. Les marchés financiers ne freinent plus les politiques, ils indiquent plutôt les abris. Pas sûr que ce soit aussi efficace.
Jean-Paul Betbeze est professeur émérite à l’université Panthéon-Assas.