La plupart des titres d’actualité sur la République démocratique du Congo mettent l’accent sur la guerre, en particulier dans l’Est du pays. Mais à l’approche de la date du 19 décembre, les gens épiloguent sur tout. Ces derniers temps, c’était la publication de l’équipe gouvernementale, à l’issue du Dialogue politique de la Cité de l’Union africaine qui concentrait les inquiétudes. Maintenant, c’est le nouveau dialogue politique, sous la houlette des évêques catholiques, pour désamorcer la bombe qui est devenu le centre d’intérêt de tous les Congolais épris de paix. L’Église catholique a lancé jeudi 8 décembre au Centre interdiocésain (à Kinshasa) de nouvelles négociations entre Congolais. Objectif : permettre à la RDC de sortir de l’impasse politique à moins de quinze jours de la fin du mandat du président Joseph Kabila. De ces discussions politiques, la Conférence nationale épiscopale du Congo (CENCO) a reçu en quelque sorte mandat d’obtenir « un plus large consensus sur le processus électoral », a déclaré Mgr Marcel Utembi, président de la CENCO. Toutes proportions bien gardées, ces assises qui réunissent 30 participants pourraient durer jusqu’à mardi 13 décembre.
Mgr Utembi a la ferme assurance que « les conclusions de ces travaux vont conduire urgemment à la paix, à la réconciliation, à la tenue d’élections apaisées afin d’obtenir l’alternance politique, comme prescrit dans la Constitution ». Les évêques catholiques ne se font guère d’illusions : « l’enlisement est là et les conséquences sont incalculables ». Quoi de plus normal que « le Pape recommande aux acteurs politiques congolais de construire des ponts, pas des murs », d’après Mgr Utembi. Pourvu qu’il soit entendu par ces derniers.
Penser économie
Au cours des cinq dernières années, en dépit de funestes événements, le pays a retrouvé la stabilité macroéconomique et a vu son économie croître de façon presque inaltérée. Malgré la crise financière internationale en 2009, où la croissance ne fut que de 2,8 %, l’économie a connu une croissance de 7,7 % en moyenne. Selon la Banque mondiale, ce taux devrait atteindre les 8 % cette année, ce qui fera de la RDC l’un des pays à la plus forte croissance économique au monde. Un acquis qu’il faut à tout prix préserver car les résultats réalisés constituent le point de départ vers le développement durable. I l y a un dicton français qui rappelle que quand la politique s’agite, les affaires tremblotent. L’économie, dit-on, par ailleurs est fille d’ordre. Les troubles dus à l’agitation politique du moment sont susceptibles de ternir davantage l’image du pays à l’extérieur et le climat des affaires.
Les dernières manifestations de rue (19-20 septembre) à l’appel de l’opposition politique radicale ont entraîné une perte de quelque 350 millions de dollars à l’économie, selon le ministre sortant de l’Économie, Modeste Bahati Lukwebo. Dans les milieux des affaires, personne ne souhaite revivre ces scènes de casses, pillages, incendies des unités de production et autres. Pour parer à toute éventualité, la MONUSCO aurait prévu un déploiement de ses troupes, aux côtés de la police et de l’armée, sur toutes les grandes agglomérations de la RDC, en particulier Kinshasa. L’Angola et la République du Congo (Brazzaville) s’étaient engagés, lors de la réunion des États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) tenue à Luanda, le 26 octobre, à envoyer, avant la fin du mandat de Joseph Kabila, des contingents militaires pour renforcer la mission des casques bleus, selon l’AFP. Mais les appels des gouvernements occidentaux (États-Unis, France, Belgique) à leurs ressortissants de quitter la RDC ou de ne plus s’y rendre en cette période ne sont pas de nature à rassurer les investisseurs étrangers. Les agences du système des Nations Unies, rapporte-t-on, fermeront dès le 15 décembre. Pareil pour des ONG internationales, qui auraient anticipé les vacances pour leur personnel…
Dans la communauté des commerçants chinois, souvent victimes des manifestations de rue à Kinshasa, la prudence est actuellement le maître-mot. La plupart sont sur le qui-vive, rapporte un ami congolais des Chinois propriétaires d’une chaîne de magasins à Limete. Certains ont carrément barricadé leurs magasins et boutiques dans les quartiers chauds fichés comme tels par la police. Propriétaire d’un restaurant sur l’avenue Progrès dans le quartier mosaïque, Beau-marché, cette Chinoise a fait part à sa bailleresse de son intention de fermer momentanément pour se mettre à l’abri de l’autre côté du fleuve Congo (Brazzaville), juste le temps de voir passer la tempête. Au cas où cela pourrait arriver… En janvier 2015, deux journées de protestation dans la rue contre la révision de la loi électorale avaient tourné à une ratonnade des commerçants chinois de Kinshasa. Selon la Fédération des entreprises du Congo (FEC), ils avaient perdu des biens évalués à 5 millions de dollars.
Il n’y a pas que les Chinois qui soient dans le viseur des fauteurs de troubles ou des manifestants mal intentionnés. Tous les entrepreneurs craignent pour leurs affaires. Selon une rumeur fortement répandue, pas un seul camion de distribution des boissons des compagnies brassicoles ne sera visible sur les artères de Kinshasa après le 16 décembre… jusqu’à nouvel ordre. Que ça soit la Bralima ou que ça soit la Bracongo, aucun brasseur de la place n’a officiellement infirmé ou confirmé cette rumeur. Pourtant, elle est relayée par les camionneurs de ces deux entreprises. Ils le font savoir aux tenanciers des dépôts des boissons et terrasses pour que ces derniers se constituent des stocks en prévision de… fêtes de fin d’année. Des unités de panification, rapporte un convoyeur de Pain Victoire, mûriraient aussi une décision du genre…
Spéculations de tous genres
Ce mouvement des départs ou de fermeture programmés en rajoute à la tension déjà perceptible dans la capitale. Josée Ntumba, un promoteur immobilier, s’en offusque. « La politique et l’économie sont inextricablement liées. Un adage dit, faites-moi une bonne politique, je vous ferai de bonnes économies », a-t-elle fait comprendre, dépitée. « Rien ne rassure que les acteurs politiques aplaniront leurs divergences ou tiendront au respect de leurs engagements en dépit de la médiation de la Conférence épiscopale nationale du Congo », a-t-elle indiqué, à propos de négociations politiques en cours sous la médiation des évêques catholiques. Ce ne sont, il est vrai, que des spéculations. Mais mieux vaut prévenir que guérir, surtout à l’avant-veille des festivités de fin d’année. C’est du marché que pourrait venir l’irréparable, que des politiques pourraient reprendre à leur compte. Le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta, l’a vraisemblablement compris. Et face à la flambée des prix des denrées de grande consommation (chinchards, poulets, huiles, sucre, farine de maïs) de plus de 30 % par rapport à octobre 2016, il a, en effet, pris l’initiative de réunir les principaux importateurs. Ils sont bénéficiaires non seulement de la cagnotte de 45 millions de dollars de l’État, mais aussi d’allègements fiscaux (décembre 2016 – février 2017) pour les importations des vivres. Aux importateurs, Kimbuta n’a eu qu’un seul message : réduire les prix des vivres de 18 %. La prérogative d’une telle initiative revient plutôt au ministre de l’Économie. Aussi, les importateurs Congo Futur, Sokin, Beltexco, Socimex, regroupés au sein de la FEC, ont-ils souhaité que le gouvernement central s’implique pour juguler la dépréciation continue du franc face au dollar. Même préoccupation chez les revendeurs détaillants. Sur ce point, Kimbuta ne peut grand-chose. Et la longue attente du prochain gouvernement n’est nullement de nature à rassurer. Dans ce contexte, les écoles hésitent, mais toutes ou presque laissent entendre qu’elles fermeront le samedi 17 décembre.
À l’Est, les bruits des bottes ne sécurisent pas les affaires. Les services du fisc (DGI et DGRAD) sont parfois en conflit avec des opérateurs économiques, doublés de la casquette d’acteurs politiques. Des miliciens se reconvertissent en régies financières au grand dam du Trésor public. Et dans ce qui se passe à Beni, il y aurait une dose tribale sur fond d’affaires dans les tueries à répétition, a laissé entendre le ministre des Média et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende. Il a même avancé des noms des acteurs politiques et des opérateurs économiques opposés au régime de Kinshasa comme instigateurs de ces meurtres. À Goma et Bukavu, l’activisme du mouvement citoyen Lutcha aurait déjà poussé notamment des mining à revoir leurs agendas. Des présomptions des pots-de-vin qui planent sur le gouverneur du Sud-Kivu, Marcellin Chissambo, ont été exploités ces derniers jours, notamment à Bukavu, pour monter l’opinion contre l’ordre établi, le 19 décembre. Dans le Kasaï, au centre de la RDC, conflits coutumiers et tensions politiques ont paralysé le dynamisme des affaires. Déjà, les difficultés financières de la Minière de Bakwanga (MIBA) qui aligne 150 millions de dettes sociales ont ravivé la complainte du kasaïen mal aimé. L’espoir placé dans le nouveau Premier ministre, Samy Badibanga, s’est vite dissipé et l’opinion semble se radicaliser dans ce bastion de l’opposition. Des départs des diamantaires expatriés ont été rapportés ça et là dans la ville de Mbuji-Mayi. Depuis un certain temps, cette ville a été placée sous le régime de couvre-feu (de 21h à 6 h). Les activités dans l’hôtellerie et la restauration sont en plein marasme. Le secteur de transport routier (moto, camion) accuse aussi des contreperformances financières. Une poignée de jeunes, arrêtés depuis, à la solde des acteurs politiques aurait planifié de commettre des attentats, notamment sur la place commerciale de Bakwa Dianga, le 19 décembre.