La question de l’éradication de la pauvreté est comme celle de l’établissement de la paix dans le monde. En Afrique, elle prend une résonance particulière : est-ce une belle utopie ou un objectif réalisable ? Où que l’on tourne le regard, les possibilités d’une paix durable sur le continent africain sont en permanence menacées.
La République centrafricaine est de nouveau prise depuis cinq jours dans un engrenage de violence meurtrière brisant la légère accalmie qui s’y était installée et repoussant loin, très loin, les rêves de prospérité de ses habitants. Lesquels peinent à survivre avec moins d’un dollar par jour, indique la Banque mondiale. Pas très loin, la secte islamiste Boko Haram, avec ses exactions répétées, semble avoir juré la perte du Nigeria, géant économique du continent, ainsi que les autres pays du pourtour du lac Tchad (Cameroun, Tchad et Niger).
Ailleurs, les soubresauts politiques, eux aussi empreints de violence, n’inspirent guère la confiance. Le Burkina Faso est passé tout près d’une guerre civile avec le putsch du 17 septembre, le Soudan du Sud est un véritable brasier entretenu depuis 21 mois par les deux rivaux Salva Kiir et Riek Machar. A tout cela, il faut ajouter un large éventail de crises : sanitaires, alimentaires, énergétiques et financière.
Dès lors comment imaginer qu’une telle instabilité favorise pleinement la croissance ? La question ne semble pas avoir longtemps nourri les débats des délégués à l’Assemblée générale des Nations unies, qui ont adopté le 25 septembre, un nouveau programme de développement censé mettre un terme à la pauvreté d’ici 2030.
« Transformer le monde » est l’ambition de ces Objectifs de développement durable (ODD) qui se déclinent en dix-sept points parmi lesquels l’élimination de la faim, l’amélioration de l’accès à une éducation de qualité, le plein emploi, la lutte contre les changements climatiques et la réduction des inégalités. « Il s’agit d’une étape décisive et historique qui prend réellement en compte les objectifs et les priorités de développement de l’Afrique », s’est réjoui Carlos Lopes, secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies basé à Addis Abeba.
Pourtant si ces ODD ont été adoptées avec enthousiasme et espoir, ils constituent en soi un semi-échec de la communauté internationale à agir efficacement sur des questions essentielles comme la santé, l’éduction et l’accès à l’énergie. Ce nouveau programme reflète surtout une déception pour l’Afrique : les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), votés eux aussi avec enthousiasme en 2000, devaient avoir totalement éradiqué la pauvreté à la fin 2015. Nous en sommes loin.
Plus de 400 millions de personnes — soit plus de la moitié de la population africaine — vivent encore dans l’extrême pauvreté. Ces Africains représentent le tiers de la population la plus pauvre du monde.
En 15 ans, l’Afrique est le seul continent où le nombre de personnes extrêmement pauvres a augmenté, souligne l’Observatoire des inégalités. Ceci, alors même que les économies africaines affichent des taux de croissance annuels de 5 % en moyenne. « Les inégalités se creusent. Le succès de quelques privilégiés est assombri par le sentiment d’exclusion de la majorité. La croissance économique n’a guère d’impact dans les conditions de vie de ces hommes et femmes », constate, amer, Akinwumi Adesina, nouveau président de la Banque africaine de développement.
L’institution qu’il dirige investit chaque année plus de 6 milliards d’euros dans des projets de développement.
Depuis l’adoption des OMD, le déficit énergétique du continent s’est creusé : 634 millions d’Africains vivent sans électricité. « L’Afrique ne peut plus se permettre de se distinguer, non pour l’éclairage de ses villes et de ses villages mais pour leur obscurité, commente M. Adesina.
L’absence d’énergie appauvrit l’Afrique. » Certes, quelques progrès ont été observés dans le domaine de la santé et de l’éducation.
Malgré le fait qu’elle demeure l’un des pays les plus pauvres de la planète, la Somalie a presque réalisé un miracle : l’inscription à l’école primaire a augmenté de 22 % en 2004 à 45 % en 2012, selon l’Union européenne qui y soutient divers projets pour un montant de 85 millions d’euros. Autre exemple de réussite, la République démocratique du Congo où, selon les autorités locales, le taux de mortalité infantile a été réduit ces dernières années : de 148 décès pour 1 000 naissances en 2007 à 104 en 2013.
Si les ODD ont remplacé les OMD, c’est bien que ces derniers n’ont pas tenu leurs promesses d’une Afrique plus prospère. L’instrument n’a pas été efficace.
Dans tous les domaines essentiels, l’Afrique a connu un retard par rapport aux autres régions du monde. Le problème ?
« Le financement ! », répond Carlos Lopès. « Il faut trouver les moyens novateurs pour financer notre avenir.
L’Afrique dispose de milliers de milliards d’économies qu’il faut mobiliser et mieux utiliser », ajoute le responsable, qui pense notamment au secteur privé. C’est là que se trouve la clé du succès du nouveau programme de développement voté par la communauté internationale.