La République démocratique du Congo compte 15 % de personnes vivant avec une déficience physique. Or, elle n’a aucune structure leur permettant d’accéder aux matériels et équipements de mobilité dont elles ont besoin. Devant ce vide, les organismes humanitaires et les confessions religieuses ont pris le relais.
Avenue Colonel Ebeya, à Kimbanseke. Une fille, accompagnée de son enfant, marche à quatre pattes et se dirige vers l’arrêt de bus. Tout le monde la regarde en se posant des questions sans réponses. Rond-point Ngaba. Un homme tenant dans sa main un morceau de planche qui lui sert de canne, se bat pour monter dans un bus. C’est un aveugle. Ils sont encore très nombreux sur l’ensemble du pays, les hommes et les femmes handicapés qui sont dans ce cas. La RDC, selon le rapport conjoint publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Banque mondiale en 2012, compte, sur une population estimée à plus de 60 millions d’habitants, 15 % de handicapés. Pourtant, le pays ne dispose pas de la moindre structure pouvant assurer la prise en charge de cette catégorie sociale en matière d’acquisition de matériels et équipements de mobilité qui leur sont d’une grande nécessité pour le déplacement, l’autonomisation et l’auto-prise en charge. Face à cela, les organisations non gouvernementales (ONG) et les confessions religieuses essayent de trouver des solutions.
La gamme de produits
« Les matériels de mobilité ne sont pas l’apanage des personnes handicapées. Ils touchent également toute personne confrontée à une diminution de ses capacités de mouvement dans l’espace public d’une manière temporaire, suite à une raison quelconque. C’est ainsi que les personnes du troisième âge, les femmes enceintes, les accidentés et les malades dans les hôpitaux emploient aussi ces équipements pour se mouvoir en toute sécurité », indique Barthez Batumona, chargé de la réadaptation à l’Association congolaise pour la libération et le développement de la maman handicapée (ACOLDEMHA).
A travers le monde, les personnes handicapées sont classifiées en quatre catégories : handicapés moteurs (physiques) ; aveugles (et malvoyants) ; sourds-muets (malentendants), retardés mentaux. Le besoin en matériels de mobilité se présente naturellement chez les personnes handicapées physiques et chez les aveugles. Les handicapés moteurs utilisent, selon le cas, des chaises roulantes, des cannes canadiennes, des déambulateurs, des appareils orthopédiques, des tricycles, ainsi que des béquilles. Les aveugles et malvoyants, pour leur part, se contentent de la canne blanche (ordinaire ou de marque indienne) ou du téléradar, dont la commercialisation effective est prévue, selon ses inventeurs, au cours de l’année 2015. En outre, plusieurs autres équipements sont en chantier comme les lunettes « intelligentes », l’œil électronique (qui coûtera 115 000 euros la pièce) ainsi que des voitures sans conducteur, juste programmables par la voix. Ces équipements, d’une très haute technologie, sont encore en phase expérimentale. Leurs initiateurs avancent qu’au courant de l’année prochaine, ces produits, encore en prototypes, seront lancés sur le marché.
Dans les différents centres de réadaptation de Kinshasa, le coût de ces matériels n’est pas à la portée de tout le monde. La chaise roulante manuelle, par exemple, coûte entre 200 et 400 dollars, celle de type électrique vaut actuellement 1800 dollars. Les cannes canadiennes ainsi que les déambulateurs valent 70 dollars, les béquilles à 75 dollars, le tricycle 500 dollars. Certaines autres aides à la mobilité comme les prothèses se négocient aux prix de 400 à 850 dollars la pièce, en tenant compte de la qualité et des mesures spécifiques de chacun. Les appareils orthopédiques tournent autour de 250 à 400 dollars dans les ateliers de fabrication de la capitale. Le prix de la canne blanche (ordinaire ou de marque indienne) est de 15 à 20 dollars. Hormis le tricycle et les béquilles, qui sont fabriqués localement, tous les autres équipements proviennent de l’étranger, spécialement d’Europe. Ils parviennent au pays par diverses voies, notamment les hôpitaux, les centres médicaux spécialisés, la diaspora congolaise. Mais aussi et surtout grâce au réseau de solidarité entre les ONG occidentales et leurs partenaires du Sud.
L’action des ONG
Les services du ministère des Affaires sociales, de l’Action humanitaire et de la Solidarité nationale, en particulier la Direction de coordination des activités des personnes handicapées, ne disposent pas de fonds alloués pour assurer la prise en charge des problèmes de mobilité des personnes handicapées. Le Centre national pour personnes handicapées et infirmes(CENAPHI), crée en 1969 par le gouvernement congolais, est le seul du genre à avoir organisé un tel service au profit des élèves en formation en son sein entre 1985 et 1990. Suite à la vétusté des équipements de son atelier mécanique et du manque de subsides de la part de l’État, ce service n’est plus opérationnel, indique le directeur de la Coordination des activités des personnes handicapées. Pour faire face aux besoins réels, les hôpitaux, les centres médicaux ainsi que les ONG, souvent confrontés aux réalités du terrain, sont entrés dans la danse. L’Église catholique, en premier, dans le cadre de ses œuvres caritatives, a mis en place des services de réadaptation pour les personnes handicapées, notamment pour les cas des enfants. C’est ainsi que l’archidiocèse de Kinshasa a créé, en 1980, plus de quinze « Villages Bondeko », dans différentes communes de la capitale et où il participe non seulement à la formation, mais aussi à l’appareillage orthopédique et à l’octroi d’équipements de mobilité comme les chaises roulantes et les cannes canadiennes aux enfants nécessiteux. Fort de sa longue et riche expérience dans ce domaine, l’Église catholique travaille en étroite collaboration avec les partenaires de l’intérieur comme ceux de l’extérieur du pays.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) reste parmi les organisations humanitaires qui apportent une assistance directe aux blessés de guerre, civils et militaires, pour la prise en charge de l’appareillage orthopédique dans le cadre de ses activités de lutte contre les mines antipersonnel. Pour soutenir ces victimes, le CICR a signé des protocoles d’accord avec quatre centres d’appareillages orthopédiques dont trois appartiennent aux Frères de la charité chrétienne, notamment le Centre de rééducation pour handicapés physiques (CRHP), à Kinshasa, l’Hôpital Jean-Baptiste de Kansele (SJBK) à Mbuji-Mayi, province du Kasaï-Oriental, le Centre de réadaptation physique Shirika la Umoja à Goma, dans la province du Nord-Kivu ainsi que le Centre Kalembelembe, à Kinshasa, qui appartient à la Croix-Rouge congolaise.
Les victimes des conflits, des mines ou d’autres engins explosifs dont les membres inférieurs ont été touchés, sont prises en charge gratuitement par le CICR pour être appareillés en prothèses (pour les amputés), et en orthèses (pour les non-amputés). Le CICR fournit également et directement aux victimes des chaises roulantes, des béquilles et des tricycles permettant aux handicapés de retrouver une certaine autonomie et, par conséquent, une indépendance économique.
Un autre centre de prise en charge est celui créé par un sujet américain, au sein de son organisation, l’association congolaise d’assistance orthopédique aux jeunes handicapés (ACAOJH). Ce centre est implanté à Kinshasa, à Lubumbashi et à Goma. Il dispose d’ateliers modernes ; assure gratuitement la prise en charge des frais de réadaptation et d’appareillage aux personnes handicapées. Pour les enfants, cette assistance couvre aussi les frais d’études aux niveaux primaire et secondaire. Dans le cadre de son assistance en mobilité à ses membres, la Fédération congolaise des personnes handicapées (FECOPEHA) a signé un contrat de partenariat avec la Fondation Mboyo. Cette organisation dispose aussi d’ateliers modernes et bien équipés à Kinshasa, dans lesquels sont fabriqués, localement et sur commande, des tricycles et des béquilles, en bois ou en métal. La fondation importe de même toute la panoplie nécessaire.
Ébauche de solutions
« Pour la majeure partie des cas, les personnes handicapées sont incapables de se doter d’une chaise roulante sans l’appui d’une ONG internationale, d’une association locale ou d’un « parrain ». Celles qui parviennent à honorer leurs factures dans les hôpitaux et dans les centres privés sont des patients pris en charge par les entreprises ou ceux dont la famille a un certain niveau de vie », explique Shindani Kamba, vice-président de la FECOPEHA. C’est ainsi que, pour pallier le coût des produits sur le marché et en vue d’assurer l’entretien et la maintenance des matériels de mobilité, l’Association des techniciens orthopédistes et orthoprothésistes du Congo (ATOC) propose au gouvernement de mettre sur pied, dans chaque province du pays, un centre (ou dépôt) destiné à la fabrication de matériels et équipements d’appareillages orthopédiques ainsi que des prothèses.
A travers ce centre (ou dépôt), les techniciens ainsi que toutes les autres personnes intéressées pourront s’approvisionner, en cas de besoin, et à des coûts hors-concurrence, en matériels de mobilité et en intrants.