LES ENTREPRENEURS en République démocratique du Congo seraient-ils moins sensibles aux enjeux fiscaux ? En tout cas, disent-ils, le fisc est un fardeau si lourd qu’ils n’arrivent pas à porter désormais. En 2018, la Direction générale des impôts (DGI) a recensé 28 133 assujettis dans le secteur du commerce, avec une imposition de 1% sur le chiffre d’affaires ; 7 709 assujettis dans le secteur des services, avec une imposition de 2 % sur le chiffre d’affaires et 180 000 assujettis dans le secteur de la micro-entreprise. En ce qui concerne l’impôt sur les bénéfices et profits (IBP) forfaitaire de 20 dollars, elle ciblait 1 433 333 micros-entreprises. Difficile de dire aujourd’hui à combien est le nombre d’assujettis. Est-ce qu’il en hausse ou en baisse ?
En 2019, la DGI avait annoncé la généralisation de l’attribution du Nouvel identifiant fiscal (NIF) à travers les postes déconcentrés de saisie des fiches d’identification, le renforcement du système de suivi des défaillants en déclaration, l’application rigoureuse de la procédure de recouvrement forcé à l’encontre des défaillants (avis à tiers détenteurs, saisie mobilière, immobilière et vente publique, fermeture provisoire des établissements par l’apposition de scellés).
La DGI se plaint souvent du niveau faible de la culture fiscale des entreprises de petite taille. C’est l’un des facteurs qui font que le fisc ne parvient pas toujours à atteindre les assignations. La Direction générale des impôts procède régulièrement à l’évaluation de ses réalisations à mi et fin exercice.
Elle a noté en 2018 une relance des activités dans le secteur minier sur lequel sont prélevés l’impôt professionnel sur les revenus (IPR) et l’impôt exceptionnel sur les revenus des expatriés (IERE). Mais les PME qui auraient dû en tirer profit grâce à la loi sur la sous-traitance, n’ont pas trouvé leur compte.
La semaine dernière, le Conseil des ministres a remis sur la table la loi n°17/001 du 8 février 2017 relative aux règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé. Disons le, plusieurs pesanteurs tirent vers le bas cette loi ainsi que les mesures de son accompagnement. Pourtant, l’effet attendu de sa mise en œuvre est la protection de la main d’œuvre locale et le développement des chaînes de valeur compétitives, capables de diversifier l’économie nationale et de réduire ainsi sa dépendance de l’extérieur.
Y a-t-il vraiment volonté de prendre des mesures qui s’imposent ? La fiscalité est l’élément vital du développement, cela s’entend. Et l’Afrique doit apporter une contribution essentielle au débat fiscal mondial. Selon des études récentes, les actions qui sont déjà engagées ne suffisent pas. Il faut faire davantage. Par exemple, renforcer les capacités des administrations fiscales pour stimuler le développement de l’Afrique.
Un constat : si les recettes fiscales représentent plus du tiers du PIB dans les pays de l’Organisation des Nations Unies pour la coopération et le développement économiques (OCDE), ce n’est pas le cas des pays en développement, en particulier les pays de l’Afrique subsaharienne où elles représentent moins d’un cinquième du PIB. Les experts sont formels : davantage de recettes fiscales permettraient aux États africains de mieux fonctionner et d’acquérir biens et services, mais aussi d’engager des réformes étatiques et de marché favorables au progrès économique, social et environnemental.
Le débat de fond
Ici et là, le débat sur l’élargissement de l’assiette fiscale (alourdissement du fardeau fiscal) rebuter les dirigeants politiques dans les pays de l’OCDE. Frappés par la crise, ils cherchent à lever des recettes tout en maintenant une fiscalité aussi légère que possible au nom de la croissance. Par contre, des experts pensent que des prélèvements fiscaux représentant 10 à 15 % du PIB seraient une augmentation judicieuse de la pression fiscale pour de nombreux pays en développement, notamment africains.
De la même façon qu’une fiscalité trop lourde peut brider l’activité économique, une fiscalité trop faible peut asphyxier l’économie. Aujourd’hui, la réflexion se concentre sur comment les économies dites pauvres peuvent accroître leurs recettes fiscales. Il y a ceux qui pensent qu’il faut générer plus de croissance. Mais comment y parvenir quand on sait que les pays africains n’ont souvent pas assez de ressources pour administrer l’impôt. Il faudra alors rendre l’administration fiscale plus efficace, afin d’accroître les capacités et les ressources affectées aux services aux contribuables et à l’application des lois, revoir les services fiscaux et investir dans les compétences et les modes de gestion favorisant des systèmes fiscaux exempts de corruption.
Selon l’OCDE, le rapport impôt/PIB dans les pays d’Afrique subsaharienne qui ont lancé des réformes de l’administration fiscale est désormais supérieur à 16,8 %, ce qui correspondait à la moyenne des pays fragiles et à faible revenu. Mais pour progresser davantage, il faut être mieux informé sur le fonctionnement réel des administrations fiscales et sur leurs problèmes concrets.
On évoque souvent la question du coût du recouvrement de l’impôt, comme l’un des principaux enjeux fiscaux en Afrique. Il représente 1 à 4 % des sommes totales perçues sur le continent. Aujourd’hui, les administrations fiscales en Afrique font un effort pour informatiser leurs services et systèmes.
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les impôts indirects et directs sont les principales recettes fiscales dans les pays africains. Les recettes non-fiscales, notamment les bénéfices des entreprises publiques, les redevances et les autres paiements rémunérant des services publics, ne représentent qu’environ 1 à 2 % des recettes totales. Dans les pays en développement d’Amérique latine, par exemple, cette proportion atteint 10 %, voire plus.
Autre enjeu : la discipline fiscale. Tous les pays s’estiment aptes à la faire respecter. Cela va des dispositifs institutionnels à l’autonomie de l’administration fiscale pour interpréter la législation fiscale, et être totalement responsable de la collecte des impôts et taxes, des droits de douane et des recettes non fiscales.
Les ressources allouées aux administrations fiscales le sont, dans la plupart des cas comme en RDC, par voie de budget de l’État voté au Parlement. Certains pays, comme la RDC, accordent des primes de résultat (rétrocession), correspondant à un pourcentage des recettes perçues, une pratique rare à travers le monde. Cependant, le diable se cache dans les détails.
Petits intérêts personnels
Il faudra une bonne dose de volonté politique affirmée pour parvenir à réformer le système fiscal national. C’est l’avis unanime à l’issue du Forum national sur la réforme fiscale en RDC organisé à Kinshasa en septembre 2017. Il faut oser pour réformer, et pour réformer, il faut commencer quelque part. La réforme a un coût. C’est le coût du changement, c’est-à-dire le changement de culture et de mentalité. La réforme est avant tout un processus qui ne doit plus s’arrêter quand il est déclenché.
Le système fiscal national a des faiblesses. Henri Yav Mulang, alors ministre des Finances, avait rassuré qu’il n’y aura « ni reculade ni remise en question du processus », du fait de « la nécessité et l’urgence de doter le pays d’un nouveau système fiscal ». C’est dire que la volonté politique est non seulement affichée mais aussi affirmée au sommet de l’État. À charge donc du gouvernement de faire avancer le processus en faisant voter une nouvelle législation, illico presto, afin qu’elle contribue à la croissance économique et au développement de la RDC.
Dans tous les cas, le succès de la réforme est fonction de l’engagement de chacun à assumer sa part de responsabilité. Le système fiscal en RDC se résume à ceci près : complexité, contrariété, satisfaction des intérêts personnels au détriment de l’État.
La fiscalité a toujours constitué une préoccupation, tant pour les assujettis et pour les contribuables qui la trouvent complexe, lourde et tracassière que pour l’État et ses services qui se plaignent de son faible rendement. À charge donc du gouvernement de revoir de fond en comble le système fiscal de notre pays, devenu aujourd’hui un véritable frein à son développement économique.
La réforme fiscale en RDC se place dans le prolongement de l’amélioration du climat des affaires. Les problèmes de fiscalité sont en effet l’un des obstacles majeurs à l’amélioration de l’environnement des affaires. Le système fiscal congolais a longtemps donné à débat parce que souvent dénoncé, parfois avec véhémence, non seulement par les assujettis et les contribuables, mais aussi par l’État lui-même à cause de ses insuffisance en termes de mobilisation des recettes par rapport au potentiel fiscal du pays.
L’étroitesse de l’assiette fiscale fait peser le fardeau sur une petite catégorie de personnes ou d’entreprises seulement, ce qui rend le système fiscal « inique ». Sur une population estimée à plus de 80 millions d’habitants, seulement quelque 170 000 assujettis au système fiscal possédant un numéro d’impôt. La lourdeur et la multiplicité des perceptions asphyxient les opérateurs économiques. Outre la dizaine d’impôts, il y a près de 400 taxes à caractère légal et parfois illégal. D’où la fraude et la corruption orchestrées souvent par les agents du fisc eux-mêmes, qui se disent mois bien payés. « Et quand on est mal payé, on se sert… », ironise un agent du fisc.
La franc jeu de la FEC
Parmi les autres faiblesses du système fiscal national, il convient d’épingler la prolifération des exonérations (régimes fiscaux d’exception) qui amenuisent les recettes fiscales et entraînent un traitement discriminatoire des opérateurs économiques. Mais aussi la multiplicité d’intervenants administratifs et la différenciation des procédures qui ne facilitent pas l’accomplissement des obligations fiscales et les relations entre assujettis et administrations, rendant ainsi le système fiscal complexe.
Il y a longtemps que la Fédération des entreprises du Congo (FEC), le principal patronat dans le pays, réclame la réforme fiscale dans le pays. Quel système fiscal pour la croissance et le développement en RDC ? Albert Yuma Mulimbi, le président de la FEC y va de franc jeu et de ses « exigences ». Comme toujours, il fustige les « politiques fiscales aventureuses sans impact social ». Comme toujours, il appelle les autorités du pays à « un véritable sursaut » pour repenser de fond en comble la fiscalité en RDC « autour d’un projet économique commun et des perspectives du développement du pays ».
D’après lui, le développement économique de la RDC doit résolument être fondée sur « son développement industriel local » et « cesser d’attendre son salut des cours mondiaux des matières premières ». D’après lui, le développement économique passe en priorité par l’investissement agricole et industriel. D’après lui, dans la conjoncture actuelle, difficile pour le pays, il faut commencer par « lever les contraintes récurrentes d’un environnement des affaires et des investissements peu attractif ».
À ce jour, le pays est un importateur net de biens de consommation courante, alors qu’il dispose de grandes potentialités pour devenir une nation industrielle et peut-être un jour, une grande nation industrielle. Les principales activités industrielles du pays sont limitées à un nombre réduit de filières des biens de consommation, notamment la production du sucre, des boissons, de la transformation des matières plastiques, des produits cosmétiques, de la panification… Les filières des biens d’équipements sont sous-exploitées et tournent principalement autour de la production du ciment et de la construction métallique.
La lourde fiscalité et la parafiscalité qu’elle supporte constituent les principales contraintes qui empêchent l’industrie locale d’amorcer son redécollage. Elles atteignent 52 % du chiffre d’affaires, soit le double de ce qui est payé dans certains pays voisins. L’augmentation du taux de droit d’accises sur plusieurs produits, justifiée par la seule maximisation des recettes a poussé des opérateurs économiques à procéder à des changements structurels ou envisager la fermeture de leur unité de production. Par exemple, dans les industries brassicoles, qui ont connu une baisse de plus de 20 %, la Bralima a fermé ses usines de Mbandaka (2015) et Boma (2016).
Le pendant du double caractère déclaratif et auto-liquidatif du système fiscal congolais est le contrôle fiscal. Dans sa mise en œuvre, l’administration fiscale possède des prérogatives étendues, qui peuvent générer de préjudiciables atteintes aux droits des personnes appelées à subir ledit contrôle… Pour éviter de tomber dans le « terrorisme fiscal », la FEC recommande que soient aménagés des mécanismes en vue d’un équilibre entre les pouvoirs dont jouit l’administration et les garanties accordées aux contribuables.
Au sens de l’article 25 de la loi 004/2003 du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales telle que modifiée et complétée à ce jour, le contrôle exercé par l’administration fiscale a deux manifestations : la vérification sur pièces et la vérification sur place (qui peut être générale, ponctuelle, inopinée). En règle générale, l’administration fiscale dispose d’une gamme variée des pouvoirs légaux en ce qui est des investigations qu’elle est appelée à mener. Il s’agit de la prérogative de solliciter des demandes d’explication, des renseignements, des éclaircissements ou des justifications; du pouvoir général de se faire communiquer toutes pièces ou tous documents nécessaires à l’établissement des droits dus au Trésor ; du pouvoir de mener des enquêtes; du pouvoir d’effectuer des visites et ou de procéder à des saisies.
La FEC en appelle à l’émergence d’un État fort doté d’une administration fiscale compétente, sur lequel le secteur privé devrait s’appuyer dans le cadre d’un partenariat durable, sincère et constructif. Selon Albert Yuma, le climat des affaires ne peut s’améliorer que lorsqu’un débat fécond est entretenu durablement entre l’État et les acteurs privés, ce qui constitue la première condition. Et ce débat fécond devra être suivi d’effets concrets.
La FEC est persuadée que développer les capacités de production interne des biens et services permettra de tirer le meilleur parti des cycles de croissance et de résister aux situations de crise. D’après Albert Yuma, les entreprises prennent suffisamment déjà un risque politique pour ne pas revendiquer un maximum de stabilité de la part de l’État, en termes d’environnement politique, juridique, judiciaire, fiscal et monétaire. Pour cela, l’État doit créer et mettre en place un cadre des règles, qui soient comprises et utilisables par toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes.
Concrètement, les entrepreneurs souhaitent un allègement des charges (fiscales, parafiscales et autres) afin de leur permettre d’investir dans la production, un accès facile aux financements nécessaires à leur développement, des facilités à l’import-export pour rendre plus rapides les activités de production et de commerce, le soutien de l’État aux PME et créateurs d’entreprises dans la définition et la mise en œuvre des projets et activités…
Pour le secteur privé, le gouvernement devra être à l’écoute des entrepreneurs car ce sont eux qui créent les produits, les services et les emplois. Stimuler la production nationale, c’est un défi commun, notamment dans les secteurs agroalimentaire et minier, dans le domaine des services aux entreprises et à la population… C’est ainsi que l’on peut créer de la valeur ajoutée, source de création d’emplois nombreux et durables.