Compte tenu de « la complexité de la question », le ministre des Mines sortant, Martin Kabwelulu, a écrit au président de l’US Securities and Exchange Commission (SEC) que « la République démocratique du Congo attend non seulement vous transmettre ses observations mais aussi, elle a estimé envoyer à Washington une délégation d’experts de haut niveau pour échanger avec vous ». La correspondance date du 13 mars, en réaction à l’annonce de la fameuse SEC demandant à toutes les parties prenantes concernées par l’application ou non de la Section 1502 de la loi Dodd-Frank de formuler leurs observations, dans les 45 jours, à partir de la date de l’annonce.
Question : faut-il vraiment dépêcher une délégation, fût-elle d’«experts de haut niveau » à Washington afin d’infléchir la décision américaine ? Un aviseur sur la politique en République démocratique du Congo pense que la démarche a peu de chance d’aboutir parce que, dit-il, « les Américains ont plusieurs canaux de renseignement privés en dehors de sources officielles. » D’après lui, les Occidentaux ont l’habitude de recouper tout ce que racontent la presse, les ONG, les élites et les communautés de base, en dehors de leurs propres sources diplomatiques. « Et, souvent, c’est leur avis qui compte par rapport aux positions officielles du gouvernement. », fait-il remarquer. Or en matière d’exploitation illégale et du trafic illicite des minerais de la RDC, le gouvernement n’est pas exempt de critiques.
Rappel des faits
Le président Donald Trump a signé le 31 janvier le décret amorçant le processus de modification de la loi Dodd-Frank du 21 juillet 2010 de réforme de Wall Street et de protection du consommateur (Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act). Le 8 février, la presse internationale a abondamment commenté le décret du président américain dont les termes sont explicites sur sa volonté de suspendre l’application de la Section 1502 de cette loi. La Conférence internationale sur la Région des Grands lacs (CIRGL), la société civile locale, les ONG internationales, les entreprises américaines ont désapprouvé le décret en exprimant un point de vue contraire. La SEC, quant à elle, a invité toutes les parties prenantes à formuler, dans les 45 jours, à partir du 31 janvier, leurs observations. Le gouvernement a réagi, le 13 mars, en déclarant que la suspension et/ou la révision de la Section 1502 de cette loi va « impacter significativement sur la stabilité de la vie politique, sociale et économique de notre pays ainsi que sur celle des pays de la région des Grands lacs. »
Contenu de Dodd-Frank Act
La Section 1502 intitulée « minerais de conflit » de cette loi Dodd-Frank enjoint à la SEC de mettre en place un dispositif prescrivant aux entreprises américaines de déclarer si les minerais qui sont nécessaires à la fonctionnalité ou à la production d’un produit qu’elles fabriquent proviennent de la RDC ou d’un pays limitrophe ; lui transmettre, par conséquent, un rapport indiquant avec une description claire qu’elles ont institué des mesures mettant en œuvre une procédure de diligence raisonnable de leurs chaînes d’approvisionnement ; et faire certifier par des audits indépendants que les minerais canalisés dans leurs chaînes d’approvisionnement sont exempts de tout lien avec le conflit en RDC.
Dodd-Frank Act a été signé en loi fédérale par le président Barack Obama, le 21 juillet 2010, en réponse à la crise financière de 2007-2008. Il a apporté les changements les plus importants à la réglementation financière aux États-Unis depuis la réforme qui a suivi la Grande dépression, notamment dans l’environnement réglementaire financier américain qui a touché tous les organismes fédéraux de réglementation financière et presque toutes les parties de l’industrie des services financiers des États-Unis.
En fait, Dodd-Frank Act est l’un des cinq piliers du dispositif normatif de la lutte contre l’exploitation illégale et le trafic illicite des substances minérales de la RDC. Les quatre autres piliers résultent des partenaires internationaux de la RDC et de la réglementation nationale. Au plan du droit interne, il s’agit de la réglementation pour le suivi de la traçabilité et de lutte contre la fraude édictée par le gouvernement. Cette réglementation est constituée entre autres des textes créant une Commission nationale de lutte contre la fraude minière (CNLFM), mettant en œuvre un mécanisme régional de certification de la CIRGL, élaborant des procédures d’évaluation, d’expertise et de certification des substances minérales ; de traçabilité des produits miniers, de l’extraction à l’exportation ; ainsi que des textes relatifs à l’application obligatoire des directives et recommandations du Guide de devoir de diligence de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) et de la résolution 1952 du Conseil de sécurité de l’ONU dans le secteur minier congolais…
Sur le plan international, la RDC se fonde justement sur cette résolution de l’ONU, le guide de l’OCDE, la loi Dodd-Frank et la Déclaration de Lusaka du 15 décembre 2010 dans laquelle les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la CIRGL approuvent les six outils de lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles et endossent le guide de l’OCDE comme un outil transversal à l’initiative régionale sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles (IRRN) de la CIRGL.
De ce point de vue, Kinshasa estime que la Section 1502 de Dodd-Frank Act ne devrait pas être analysée de façon isolée, étant donné qu’elle s’inscrit dans le cadre normatif cohérent et interdépendant tendant à « favoriser la transparence des chaînes d’approvisionnement en minerais et l’engagement durable des entreprises dans le secteur des minerais en vue de permettre aux pays et à leurs populations de bénéficier de leurs ressources minérales naturelles et d’empêcher que l’extraction et le commerce des minerais soient une source de conflit et d’insécurité. »