Le gouvernement a décidé de revoir à la hausse les rémunérations des agents et fonctionnaires de l’Administration dès la fin du mois. Or, chez les intéressés, ce n’est pas l’explosion de joie.
Dix-sept mille francs et pas un sou de plus. C’est ce que les fonctionnaires et agents de l’Etat verront sur leur fiche de paie d’octobre. Tout en louant ce geste du gouvernement, ils parlent d’une augmentation factice. Selon un chef de service à la Fonction publique, « contrairement aux apparences, les salaires du personnel de la Fonction publique ne changeront pas du tout. Ce sera la même chose. Un huissier touche 72 000 francs, dont 20 000 de prime mensuelle. Quant au secrétaire général, il perçoit un peu plus de un million de francs prime comprise. »
A l’en croire, les 17 000 francs d’augmentation ne seraient qu’une façon de déshabiller Saint Pierre pour habiller Saint Paul dès lors que cette somme sera retranchée de la prime que touche chaque agent pour l’affecter au salaire de base. Dans ce cas, le net à payer restera le même, le salaire de base augmentera, tandis que la prime connaîtra une « cure d’amaigrissement ». La grille barémique des fonctionnaires et agents de l’Etat applicable en octobre 2014 telle que décidée et signée par le vice-Premier ministre et ministre du Budget, Daniel Mukoko Samba, vient confirmer cette interprétation. Ce document précise que « l’augmentation salariale concerne les services des ministères alignés au barème de la Fonction publique non bénéficiaires de prime ou à prime inférieure à 20 000 francs pour l’huissier. Les secteurs pour lesquels la prime de l’huissier est supérieure ou égale à 20 000 francs ne connaîtront pas d’augmentation du net à payer, mais un simple transfert de la prime vers le salaire de base sera effectué au prorata du montant de l’augmentation de la base. A chaque fois que la grille de traitement de base sera revue à la hausse, automatiquement les grilles des primes sectorielles seront revues à la baisse à concurrence due par grade. La seule innovation relevée dans la grille est l’insertion de la rubrique transport qui n’existait pas. Pour Kinshasa, 15 000 francs seront désormais payés en guise de transport, de l’huissier au secrétaire général. Comme pour dire tacitement que ces agents travaillent 15 jours par mois. Car, tout calcul fait, deux courses, en raison de 500 francs chacune dans un bus Transco pendant 15 jours, coûtent exactement 15 000 francs.
Salaire ou montant brut?
Certains se demandent s’il s’agit d’un salaire ou d’un montant brut. A cette interrogation, le secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Congo (UNTC) chargé de la presse, Jean-François Kogbalanga, estime que ce que l’Etat donne à ses agents ne représente ni un salaire, ni une rémunération. Il parle d’un amalgame dans l’utilisation du concept « salaire » appliqué au traitement accordé aux agents de l’Etat. En réalité, souligne-t-il, l’article 7 du code de travail congolais qui se conforme aussi aux recommandations de l’Organisation international du travail (OIT), l’on ne devrait pas parler de salaire pour désigner le montant mensuel versé par l’Etat à ses employés, mais plutôt de rémunération. Celle-ci étant considérée comme « la somme représentative de l’ensemble des gains susceptibles d’être évalués en espèces et fixés par accord ou par les dispositions légales et réglementaires qui sont dus en vertu d’un contrat de travail, par un employeur à un travailleur. » Pour Jean-François Kogbalanga, le salaire ou traitement n’est que l’une des composantes de la rémunération au même titre que l’indemnité de vie chère, les primes, les sommes payées à titre de gratification ou de mois complémentaires, les sommes versées pour des prestations supplémentaires, l’allocation de congé ou l’indemnité compensatoire de congé, les commissions, etc.
A contrario, les soins de santé, l’indemnité de transport, les allocations familiales légales, l’indemnité de logement ou le logement en nature, ne sont pas des éléments de la rémunération. Tous ces éléments, note le syndicaliste, n’apparaissent nullement dans les différents montants bruts payés aux fonctionnaires. Et d’ajouter que l’augmentation salariale ne se fait pas en termes de chiffre comme le font toujours tous les gouvernements qui se succèdent, mais de préférence en pourcentage. « Le gouvernement congolais ne dispose pas d’une politique salariale bien définie et cohérente. Dans les pays à haute culture de politique salariale, les gouvernements tiennent compte du pouvoir d’achat des populations pour déterminer le salaire. C’est pourquoi, lorsque le prix du litre augmente à la pompe, les travailleurs réclament aussi la révision de leur rémunération, car cette augmentation entraîne ipso facto la majoration des prix des biens de consommation. Conséquence logique : le pouvoir d’achat ne reste pas le même. Lorsqu’il y a une augmentation des prix et que le salaire n’est plus suffisant, comme c’est le cas pour les fonctionnaires congolais, le niveau de vie se dégrade. »
Comment joindre les deux bouts
Malgré l’assainissement du cadre macroéconomique en République démocratique du Congo, les fonctionnaires et agents de l’Etat sou
tiennent que leurs conditions de vie ne s’améliorent pas. Les salaires demeurent toujours modestes. Un huissier, par exemple, ne peut même pas s’acheter, avec son salaire, un sac de maïs, l’un des aliments de base à Kinshasa, qui coûte environ 65 000 francs. La location d’un deux-pièces, quelle que soit la commune, est en moyenne de 75 000 francs. A ces dépenses viennent s’ajouter le transport, l’alimentation, l’habillement, la scolarisation des enfants, les factures d’eau et d’électricité… « Quand je touche mon salaire, je renforce les activités commerciales exercées par mon épouse qui vend du poisson fumé que j’achète souvent au port. En plus, nous avons une petite boutique devant la parcelle où nous vendons un peu de tout », explique un fonctionnaire. Ce qui confirme les résultats d’une enquête réalisée en 2009 par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur le petit commerce à Kinshasa. D’après l’enquête, « suite à la crise multiforme qui frappe les familles kinoises, elles s’adonnent au petit commerce afin de subvenir à certains besoins. Car les parents sont littéralement paupérisés parce que sous-payés et disposant de revenus faibles. » L’enquête démontre que « la part des travailleurs du secteur formel qui ont aussi des activités économiques de survie dans l’informel afin de joindre les deux bouts sans trop de peine est estimée à 30 %. »