Air du temps ou effet de la crise ? Cette pratique prend des proportions inquiétantes en Afrique, et particulièrement en RDC, sans que cela n’interpelle les autorités. Pire, ceux qui s’y livrent tentent désormais de s’infiltrer dans les circuits bancaires et dans les méandres du pouvoir pour mieux agir.
La situation est tellement préoccupante que l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) multiplie des ateliers sous-régionaux sur les enquêtes financières, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en vue d’offrir de nouveaux outils dans la lutte contre la criminalité financière en Afrique. L’objectif est de «permettre aux enquêteurs et analystes de se familiariser et de s’approprier les outils modernes d’investigation en matière de criminalité financière, à l’effet d’augmenter leur efficacité dans le traitement des dossiers». Dans ce domaine, la grande expérience et l’expertise de l’ONUDC sont nécessaires aux enquêteurs africains pour le relèvement du niveau de conformité avec les normes et les standards internationaux requis.
Renforcer les échanges et synergies
«Ceux qui blanchissent l’argent, cherchent l’enrichissement personnel, ce qui fragilise le tissu social et conduit à une baisse de la croissance économique», explique Ludovic D’hoore, l’expert à l’ONUDC. La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme est un défi majeur que les pays africains doivent relever pour assurer le bien-être de leurs peuples. C’est pourquoi ils doivent se mobiliser afin d’asseoir un outil moderne de lutte contre ces maux qui gangrènent leurs économies, souligne D’hoore. Dans cette perspective, l’ONUDC aide à renforcer les échanges et synergies entre les différents acteurs impliqués dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Dans sa démarche de renforcement des capacités, l’agence onusienne met l’accent sur les techniques et les méthodes de blanchiment, les indicateurs de soupçons et la détection, les enquêtes financières…
Cette démarche est partagée par le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent (GIABA) en Afrique de l’Ouest. Il s’appuie sur la société civile pour atteindre un large public et accélérer la prise de décision. Car «la société civile peut beaucoup apporter notamment au processus décisionnel public». En effet, on pointe du doigt le manque de volonté politique des États dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Et sans cette volonté politique, il sera difficile d’éradiquer ce fléau « Les États doivent avoir plus de volonté politique afin de mettre en œuvre des stratégies pour lutter contre ce fléau qui est un cancer pour nos pays », estime-t-on au GIABA. Cette initiative s’inscrit dans le plan stratégique de cette organisation, dont l’axe majeur est centré sur les partenariats stratégiques avec le secteur privé et la société civile.
Les pertes sèches sont énormes
Parmi les maux qui freinent les États africains dans leur combat contre les transferts illicites d’argent, le GIABA épingle la vulnérabilité des juridictions, notamment l’absence de mesures de contrôle et de surveillance permettant de réprimer ces flux. Selon cette organisation, les transferts illicites d’argent effectués de 1970 à 2008 ont fait perdre à l’Afrique 854 milliards de dollars. Et quelque 650 milliards de dollars disparaissent annuellement dans le monde par cette même voie. «Il y a des flux financiers illicites pour corrompre les gens et les institutions. Leur principal canal d’utilisation demeure le vol d’actifs. Ces flux entraînent l’exploitation de l’homme, la culture de l’impunité, les faux investissements et la détérioration de l’image économique d’un pays», fait savoir un dirigeant du GIABA. Pour l’altermondialiste congolais Lucien Mateso, le blanchiment d’argent devrait interpeller les autorités de la RDC parce que ceux qui blanchissent l’argent sale tentent désormais de s’infiltrer dans les circuits bancaires et dans les méandres du pouvoir pour mieux agir.
Les banques commerciales (privées) à capitaux étrangers qui essaiment dans le pays sont de plus en plus pointées du doigt. Elles sont accusées d’aider au blanchissement de l’argent sale, de financer le terrorisme et de favoriser la fuite de capitaux frais. Le GIABA appelle à une synergie des efforts des États pour juguler ces fléaux. «Le blanchiment d’argent constitue un risque réel pour la stabilité du système financier et annihile tout effort entrepris pour développer l’économie d’un pays», souligne Diaw Ndèye, experte du GIABA. Et de préciser que «ce fléau sape les fondements des orientations étatiques en matière de développement des secteurs ou domaines prioritaires». Selon elle, les commerces locaux et les entreprises locales risquent de ne pas tenir la concurrence face aux sociétés écran ou de façade créées pour blanchir des fonds et qui pratiquent des prix en deçà de ceux du marché.
Contrôler le pouvoir par le règne de l’argent sale
En outre, poursuit l’experte, les blanchisseurs risquent de contrôler le pouvoir dans un pays en faussant le jeu démocratique par le règne de l’argent sale. Diaw Ndèye insiste sur la conjugaison des efforts, la coopération inter-États à l’effet de juguler ces deux fléaux. «Le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ayant un caractère transfrontalier, toute lutte menée au niveau local est vouée à l’échec. Aussi, cette lutte doit-elle être engagée à l’échelle mondiale, globale et le GIABA en est un organe important à ce niveau», précise-t-elle encore, en appelant les pays africains à former un «front de refus» face à ces deux fléaux.
En RDC, pour mener cette lutte, il y a la circulaire numéro 282 du 5 mars 1999 relative au mouvement des billets de banque en monnaies étrangères et au transport de fonds sur le territoire congolais, ainsi que la Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF). Les services publics commis aux frontières ont le pouvoir de saisir des sommes importantes d’argent conformément à l’article 48 de la loi du 19 juillet 2011 sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Cette loi modifie et complète l’ordonnance-loi relative aux pouvoirs réglementaires de la Banque centrale du Congo (BCC), en ce qu’elle permet à la CENAREF d’infliger aux contrevenants des peines d’amende dont le maximum est égal à trois fois le montant de la somme blanchie.
Cependant, ces dispositions légales ne sont pas parfois bien comprises par les agents de l’État commis à la frontière. C’est ainsi qu’en collaboration avec l’Association congolaise des banques (ACB), la CENAREF organise des campagnes de vulgarisation de la circulaire n°282 sur l’exportation et l’importation physiques de billets de banque libellés en monnaies étrangères et au transport de fonds sur le territoire congolais. En effet, l’ACB se plaint souvent du fait que ses membres se voient saisir l’argent aux frontières malgré les autorisations et les agréments de la BCC. D’où l’importance d’expliquer le vrai sens de cette circulaire, qui dispose que le transport des monnaies étrangères et nationale à l’intérieur du pays est libre. Il s’agit surtout des fonds dont «la détention est justifiée».
Infraction en cas de recel présumé
Par détention justifiée, il faut entendre les fonds détenus par les banques et les institutions financières agréées par la BCC comme les messageries financières, les bureaux de change, les caisses d’épargne et les sociétés de microfinance. Il faut aussi entendre par fonds dont la détention est justifiée, non seulement toute somme que l’on peut acquérir par le biais d’une transaction licite, mais également toute somme que l’on détient en vertu ou en raison de sa charge. À la CENAREF on fait remarquer que la détention et la garde par devers soi de fonds honnêtement gagnés ne sont pas infractionnelles car le législateur congolais n’incrimine pas la thésaurisation : «Cette détention devient infractionnelle en cas de recel présumé ou établi de cet argent, en cas de fraude ou de tentative de fraude fiscale ou douanière établie ou présumée, en cas d’un transport d’argent issu du trafic de drogue, en cas de découverte d’importantes sommes d’argent dans le véhicule du prévenu sans attestation de convoyage».
Ou encore en cas de découverte d’argent dissimulé dans une cache aménagée, en cas d’omission de déclaration des ressources, en cas de perception des recettes occultes, en cas de la présence de doses élevées de cocaïne sur tous les billets d’argent, en cas de relations régulières signalées entre le détenteur, les terroristes et les trafiquants de drogue, en cas de l’incapacité pour le détenteur à justifier l’origine d’importantes sommes d’argent trouvées sur lui.
Mais dans quels cas les services de l’État peuvent-ils procéder aux saisies ? C’est notamment dans le cas où les personnes approcheraient les zones frontalières en possession de sommes d’argent de plus de 10 000 dollars. Ce sont ces personnes qui peuvent être interpellées et qui doivent, elles-mêmes, justifier de la bonne origine licite de leurs fonds, souligne-t-on à la CENAREF. Et la saisie ne doit pas se faire tout simplement parce qu’il y a un volume important d’argent. « Cette saisie doit se faire plutôt si la personne n’arrive pas à justifier l’origine de cet argent et qu’aux frontières elle n’est pas en possession d’une attestation de convoyage », insiste-t-on.