Vendre des billets de banque neufs et pouvoir ainsi gagner sa vie fait plutôt sourire. Pourtant, depuis quelques années, c’est devenu une activité à part entière dans la capitale. La débrouillardise se porte bien.
Pour les voir, il suffit de s’arrêter à un arrêt de bus. C’est leur terrain de chasse. Ils sont reconnaissables par une sorte de porte-monnaie qu’ils portent autour des hanches. Dedans, il y a ce qu’ils vendent : des billets de banque neufs, spécialement en petites coupures. Pour attirer l’attention de la clientèle, ils n’hésitent pas à en exhiber quelques-uns. Leur spécialité : les francs congolais. Faut-ils les considérer comme des cambistes ? Pas tout à fait. « Après la hausse des prix du transport en commun au cours des dernières années, surtout quand le coût du trajet est passé de 400 francs à 450, il s’est posé aux chauffeurs un problème de différence à rendre aux passagers. Comme ils n’avaient pas toujours de petites coupures, il y a eu souvent des disputes plus ou moins véhémentes entre les passagers, les chauffeurs et les receveurs », explique un chauffeur. La question a été soumise à l’Hôtel de ville par l’Association des chauffeurs du Congo (ACCO), ainsi qu’au ministère des Transports et à la Banque centrale du Congo. À l’époque, cette dernière envisageait déjà de retirer de la circulation tous les billets de banque en très mauvais état que les Kinois, jamais en panne de trouvaille, avaient surnommés « blessés de guerre ». Depuis, pour avoir de petites coupures, il faut s’adresser à ces vendeurs d’un nouveau genre.
Assurer la survie à tout prix
Lorsqu’ils vendent une liasse de 800 francs en coupures de 100 francs, elle coûte 1000 francs, soit un bénéfice de 200 francs par liasse. Il en va de même pour les liasses des coupures de 50 francs. Les bons jours, le vendeur peut écouler entre 20 et 30 liasses, pour un gain de 4000 à 6000 francs. Contrairement à ce que l’on peut penser, ces vendeurs ne sont pas nécessairement des ratés. C’est le cas de Junior, étudiant à l’université de Kinshasa. « Cette occupation me permet de gagner mon pain quotidien, mais aussi d’épargner de quoi payer mon transport », explique-t-il. Tout comme cet autre vendeur, féru de football : « Je suis joueur de football dans un club amateur. Vu le contexte économique de mon équipe et mon âge qui avance, je préfère me débrouiller de cette façon, plutôt que de mendier ou de me transformer en délinquant. »
Entre légalité et illégalité
Mais cette activité est-elle légale ou illégale, d’autant plus qu’elle se passe au nez et à la barbe de la police ? Un officier de police judiciaire tranche : « Il ne s’agit pas de contrefaçon, encore moins de blanchiment d’argent. Je ne vois donc pas pourquoi on devrait arrêter ces paisibles citoyens qui se débrouillent au rythme du pays. Ils n’ont commis aucun crime. Ils ne cherchent qu’une chose : s’en sortir.»
Astuces diverses
Ce commerce ingénieux ne favorise pas uniquement ceux qui prennent les transports en commun. Il résout un certain nombre de problèmes dont le plus inattendu est la visite d’un ami ou un parent incarcéré à la prison de Makala, à Kinshasa. Un habitué témoigne : « J’achète souvent ces billets lorsque je vais voir un parent à Makala. Comme il ya plusieurs barrières à franchir, nous sommes obligés de graisser la patte à presque tout le monde. Si je sors un billet de 500 francs là où je dois payer 100 francs, il est pratiquement impossible que la différence me soit rendue. Avec les petites coupures, je paie juste ce qu’il faut. » Même dans certaines familles, les petites coupures sont les bienvenues. Une mère « joue ainsi avec la psychologie » de ses enfants en leur donnant cinq billets de 100 francs plutôt qu’un seul. Quand ils arrivent à l’école, face à leurs camarades, ils seront persuadés d’avoir plus d’argent qu’eux.