Ce mardi 20 octobre marque le troisième mois depuis l’ouverture du procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré. Il est jugé à Dakar, la capitale sénégalaise, par les Chambres africaines extraordinaires pour crimes contre l’humanité, actes de torture et crimes de guerre commis alors qu’il était au pouvoir entre 1982 et 1990.
Les jours du procès passent, l’espoir des nombreuses victimes prend de l’ampleur dans une Afrique où l’impunité des crimes commis par les dirigeants a toujours été la règle.
Les images de la foule nombreuse ayant envahi, tôt la matinée du 20 juillet, la salle d’audience du palais de justice de Dakar, ont fini de faire le tour du monde, d’autres ont révélé l’acte de « rébellion » d’un Hissène Habré, drapé de son boubou blanc, chapelet à la main, foulard devant la bouche, entouré d’agents de police, et criant contre… l’impérialisme. Il est bien loin le temps où les pays aujourd’hui taxés d’impérialistes étaient ceux qui, en toute vraisemblance, avaient participé à l’assistance militaire et à la fourniture d’équipements de sécurité sous son règne.
Deux angles importants ressortent de l’analyse du premier trimestre de ce procès : l’espoir de justice chez les victimes et leurs familles qui ont attendu vingt-cinq ans, et l’optimisme de voir l’impunité, y compris celle des dirigeants ayant commis des crimes graves et des violations des droits humains, défaite par une société civile fortement mobilisée.
Tournant majeur dans la prise en charge des crimes internationaux sur le continent, ce procès Hissène Habré ne manque pas d’images et de couleurs fortes. On s’en rend compte quand on revoit le défilé des témoins auditionnés par les Chambres africaines extraordinaires.. De la première victime, Ahmat Maki Otman au Dr Héléne Jaffé qui a soigné les détenus à leur sortie de prison, les témoins passent, leurs mots résonnent et nous interpellent.
Quant aux victimes ou les membres de leurs familles, ils ont allié mots et maux, certains dans une gestuelle qui fait ressortir les souffrances du passé. D’autres, même gagnés par l’émotion, ont réussi à démontrer que chaque mot sorti et adressé aux Chambres africaines extraordinaires exprime des maux subis, comme en témoigne l’audition du professeur Zakaria Fadoul Khittir dont de nombreux membres de la famille sont morts, victimes de répression, ou celle de Mme Fatimé Toumlé qui a appris l’exécution de son mari par un communiqué officiel à la radio nationale du Tchad. Ou même celle de Mahamat Nour Dadji, que des agents de la DDS forçaient à regarder des tortures infligées à d’autres détenus, ou encore de Mme Zénaba Bassou N’golo qui n’a pas pu faire le deuil de son époux, Saleh Gaba, journaliste à l’agence Associated Press toujours porté disparu.
Ce procès fait ressortir à la face du monde le regrettable vocabulaire de la torture. Témoins et victimes y font référence à la piscine, au « supplice des baguettes », qui fait saigner du nez, et à la méthode de torture qu’est l’« arbatachar ». Dans ce dernier cas, les bras de la victime sont liés dans son dos au niveau des coudes et son torse est poussé en avant pour attacher ensemble ses pieds avec ses bras.
Ce procès est aussi celui de quelques dérapages notés chez les partisans d’Habré. La semaine dernière, son épouse avait menacé des avocats de la partie civile, alors qu’un mois auparavant, un de ses partisans avait perturbé la séance. Passé le temps des dérapages, il est heureux de constater que ce procès montre, depuis le matin du 20 juillet dernier, que les responsables présumés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ne trouveront refuge nulle part.
La lutte pour le respect des droits humains est un très long processus. Dans ce cas-ci, des organisations comme Amnesty International dont les rapports publiés sont mentionnés à maintes reprises dans l’acte d’accusation d’Hissène Habré ont, depuis le début des années 1970, demandé justice pour les victimes de violations des droits fondamentaux. Elles voient en ce procès une première étape vers la garantie que des dizaines de milliers de victimes de ces crimes obtiennent justice, vérité et réparations.
Allant vers son quatrième mois, et faisant toujours face au refus d’Habré de coopérer, le procès révèle aussi le défi des Chambres africaines extraordinaires de continuer à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’Habré reçoive un procès équitable.
*Alioune Tine, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique occidentale et centrale
(Source : Le Monde Afrique)