L’État, mauvais actionnaire

Au terme d’un processus de transformation en sociétés commerciales entamé en 2009, les sociétés nationales et quelques établissements publics devraient jouer un rôle important dans l’économie. Le scandale financier révélé à la REGIDESO est un joli pavé dans la mare concernant la gestion des participations ou détentions étatiques au sens large.

 

Sept ans après la mise en route de la réform+e des entreprises de l’État, le bilan est particulièrement sombre. D’abord, parce que le portefeuille d’entreprises à participation publique est « vaste et hétérogène », « sans cohérence globale » et qu’il comprend des entreprises soumises à des défis « majeurs », selon les analystes qui se penchent sur ce dossier. Ensuite, font-ils remarquer, la situation financière est critique dans certaines des sociétés concernées. L’État actionnaire est soumis à « des contradictions intrinsèques, en raison des conflits d’objectifs et d’intérêts permanents résultant de la multiplicité des rôles qu’il exerce ». Enfin, expliquent-ils, la gouvernance (gestion) laisse à désirer, même si de « notables progrès » ont été réalisés ici et là.

Selon l’expression (ironique) d’un analyste, « après la transformation égale avant la transformation ». Avant la réforme de 2009, les entreprises et les établissements publics étaient un fardeau pour les finances publiques et un obstacle au développement économique. Et, malgré la réforme, ces entreprises et ces établissements continuent à souffrir de défaillances considérables qui le rendent source de déficit et de fragilité pour le budget de l’État, explique un ancien président du Conseil supérieur du portefeuille (CSP), aujourd’hui à la tête d’un cabinet d’audit. En effet, selon plusieurs études, dont la Revue de la Banque mondiale (septembre 2015), sur la gestion des dépenses publiques, ces entreprises et ces établissements autonomes génèrent des pertes, fragilisent la situation des finances publiques avec des passifs non assurables (15 % du PIB en 2011). Ils délivrent plus les services qu’elles sont censés fournir, génèrent peu ou pas de recettes de participation pour l’État et souffrent de graves problèmes de gouvernance ou de gestion et croulent sous le poids des effectifs pléthoriques et inefficaces. D’après les mêmes études, les défaillances des entreprises et établissements publics constituent un risque de chocs imprévus sur l’ensemble des comptes (budget) de l’État.

Constat d’échec

Face à cette situation, le gouvernement a mis en place une stratégie appelée « Matrice de gouvernance économique ». L’effet recherché : l’amélioration de la « redevabilité » (contrat de performance) des mandataires dans ces entreprises et établissements publics, ainsi que la réduction du risque de dettes éventuelles. Malgré cela, l’État lui-même contribue, dans certains cas, aux problèmes de performance des entreprises et établissements publics. Il s’agit notamment du non paiement de ses factures de consommation d’électricité à la Société nationale d’électricité (SNEL) et d’eau à la REGIDESO, qui s’élèvent à des centaines de millions de dollars.  Comme on peut le constater, l’État peine à être un bon actionnaire et l’actionnariat public est « rarement » le moyen le plus adapté pour contrer la perte de compétitivité et la désindustrialisation de l’économie congolaise.

Pour couronner le tout, les besoins croissants en financement des entreprises publiques vont à l’encontre de la tendance d’assainissement des finances publiques. Explication : avant la réforme de 2009, l’État détenait des participations publiques dans 51 entreprises (ce total ne prend pas en compte les participations indirectes), via le CSP (remplacé par le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques). Ces entreprises publiques représentaient 80 % du tissu économique du pays. Après la réforme, le portefeuille de l’État n’est constitué que de 20 sociétés commerciales, dont l’État est l’unique actionnaire, ainsi que des participations dans les sociétés d’économie mixte.

Ces entreprises ont pour objectif la création de richesses et d’emplois, l’offre de services sociaux de meilleure qualité et l’apport au budget de l’État. La valeur nette comptable de ces entreprises est difficile à évaluer, parce qu’elle n’est ni une valeur de marché ni une valeur économique. Par ailleurs, ces participations ne sont pas cotées en bourse. Et donc leur poids véritable est difficile à déterminer pour plusieurs raisons. Les secteurs les plus représentés sont le secteur des réseaux (électricité, eau, transports…).  Les performances des entreprises publiques sont jugées « inégales » mais souffrent plutôt de la comparaison avec des investisseurs privés. C’est ainsi que le gouvernement, avec l’appui des partenaires du développement, a entrepris un programme de stabilisation des entreprises publiques clés devenues commerciales. Dans cette perspective, la plupart d’entre elles (REGIDESO, SNEL, SNCC, SCPT…) sont sous assistance technique des firmes étrangères, ayant une expérience avérée à travers des contrats de gestion.

Par ailleurs, la transformation d’établissements publics en sociétés de droit privé pose le problème de gouvernance et de redevabilité. Pour tout dire, la situation est pour le moment « anormale » à certains égards, quand l’État actionnaire ou les dirigeants qu’il a mis en place ont leur part de responsabilité dans les difficultés des entreprises publiques, estiment ces analystes… qui critiquent aussi les interférences que l’État impose à la gestion de ses entreprises sans leur donner en parallèle les moyens de faire face à la concurrence.

Dettes et chiffre d’affaires

Enfin, le bilan est négatif pour les finances publiques, selon la Cour des comptes. Les recettes sur participations correspondent plus à une ponction sur la trésorerie des entreprises publiques qu’à la perception de dividendes, et ne dépassent pas 2,1 % des recettes nationales, GECAMINES incluse. La part des salaires et autres charges sociales dans les dépenses totales aussi bien des entreprises publiques que des établissements publics est très élevée. Ces sociétés ont accumulé une dette sociale trop importante au fil des années estimée à plus de 1,5 milliard de dollars, soit 2 à 4 fois leur chiffre d’affaires. La contreperformance des sociétés d’État et des établissements publics reflète leur inefficacité devenue endémique. Certains bénéficient de subventions indirectes, sous forme de fixation de tarifs et prix avantageux (par exemple, tarifs de fret ferroviaire à 0,15 dollar par tonne/km, soit presque 3 fois plus que les tarifs appliqués en Afrique australe…) ou sont contraints d’appliquer des prix administrés (par exemple, la consommation d’eau et d’électricité). Ce qui réduit leur compétitivité.

En tout état de cause, les apports ne sont pas suffisants pour assurer, par exemple, à court terme la recapitalisation. Maintes fois, dans le fonctionnement des entreprises publiques, l’intérêt public ne transparaît pas et le risque d’expropriation de facto des actifs de l’État est grand. En effet, des sociétés et des établissements publics ont vendu leurs actifs à des privés sans respect des règles de transparence et de bonne gouvernance. Or, la Matrice de gouvernance économique vise justement à imposer des procédures transparentes dans la cession d’actifs publics. Pour y faire face, l’État va devoir amplifier son programme de cession ou ponctionner le budget général, ce qui alourdira les finances publiques, estiment les analystes.

Définir des nouveaux rôles

Des auditeurs interrogés recommandent de « mieux définir les rôles des entités détentrices des participations publiques… qui doivent être créées ». Selon eux, il faut mettre en place une entité qui devrait s’occuper des participations industrielles. Une autre entité, quant à elle, devrait se concentrer sur les domaines les plus régaliens (services publics, défense, énergie, sécurité…) et le sauvetage des entreprises en difficulté. Tandis qu’une autre entité encore aurait vocation à s’occuper des participations à parité ou à concurrence avec d’autres actionnaires (partenariat public-privé). Plus globalement, ils conseillent plusieurs options d’évolution pour le portefeuille de l’État. La première consiste plus en « un toilettage qu’en une révolution ».

Par exemple, ils évoquent le cas d’aéroports, dont la gestion ne nécessite pas le maintien d’une participation majoritaire, mais pourrait « se limiter à une minorité de blocage assortie d’une réglementation adéquate ». Et si les situations des entreprises sont encore suspendues à leur recapitalisation, ces experts estiment qu’il n’est pas justifié d’en conserver plus du tiers, cette part de l’État pouvant se rapprocher, sans perte d’influence notable, de 20 %.

Par ailleurs, l’application effective des mesures de libéralisation des secteurs comme les assurances et l’électricité pourrait réduire la part de l’État à la minorité de blocage, ajoutent ces auditeurs, qui jugent que cette opération devrait rapporter des centaines de millions de dollars à l’État. Dans le scénario de libéralisation, l’État réduirait nettement ses positions en compensant parfois avec des mesures de régulation destinées à préserver ses intérêts. L’opération rapporterait davantage de fonds.