L’État perd quasiment l’équivalent de son budget annuel sous le couvert des exonérations

Les politiques économiques et sociales demandent beaucoup d’argent pour leur exécution. Bizarrement, la corruption et la fraude coûtent au pays jusqu’à 15 milliards de dollars chaque année, selon le conseiller de l’ancien chef de l’État chargé de la lutte contre la corruption. Comme si cela ne suffisait pas, voilà que l’ODEP jette un pavé dans la mare : avec le régime de faveurs fiscales et douanières, plus de 4 milliards partent en fumée.

L’OBSERVATOIRE de la dépense publique (ODEP), a rendu son rapport sur l’exécution du budget 2018. Le monitoring de l’ODEP réalisé auprès des régies financières, à savoir la Direction générale des impôts (DGI), la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations (DGRAD) et la Direction générale des douanes et accises (DGDA) révèle, hormis les avantages réglementaires, l’existence des exonérations illégales, évaluées à environ 4 milliards de dollars par an.

Selon l’ODEP, les exonérations accordées dans le cadre du partenariat stratégique sur les chaînes de valeur représentent 77,38 %. Tandis que les exonérations en faveur des ONG internationales et des missions diplomatiques représentent 65 %. Il existe une panoplie de textes de loi et réglementaires sur les faveurs fiscales et douanières. C’est notamment la loi de 2001 sur les associations sans but lucratif (ASBL) et les établissements d’utilité publique, les lois relatives à l’agriculture, au code des investissements et au code minier accordent aussi des facilités à l’importation d’intrants, de matériels et autres engins. 

Par ailleurs, il y a le décret n°13/049 du 6 octobre 2013 sur le partenariat stratégique sur les chaînes de valeur, la loi n°14/005 du 11 février 2014 portant régime fiscal, douanier, parafiscal, de recettes non fiscales et de change applicables aux conventions de collaboration et aux projets de coopération, la loi n°14/022 du 7 juillet 2014 sur le régime de zones économiques spéciales (ZES), la loi n°15/012 du 1er août 2015 sur le régime général des hydrocarbures et la loi n°15/005 du 17 mars 2015 sur les assurances.

Malgré cet arsenal juridique, il y a une vraie anarchie entretenue dans l’octroi d’exonérations. À la DGDA, on déplore l’absence d’étude préalable et de plan de suivi. En 2018, par exemple, la DGDA n’a pu atteindre ses assignations parce que les exonérations « illégales » représentent 40 % des recettes. Au premier trimestre, quelque 180 millions de dollars sont partis en fumée. La mesure de fiscalisation des employés locaux des missions diplomatiques et des organismes internationaux n’est encore d’application.

Optimisation fiscale 

Le gouvernement a mis en place ce dispositif d’incitations fiscales afin d’attirer les investissements directs étrangers (IDE) pour soutenir l’industrialisation du pays. Cependant, la pléthore de ces mesures favorise la corruption et la fraude. L’optimisation des recettes fiscales est un enjeu majeur qui nécessite une réponse urgente et coordonnée. La récente charge de Deogracias Mutombo Mwana Nyembo, le Gouv’ de la Banque centrale du Congo (BCC), contre le gouvernement résonne encore dans les esprits comme un coup de marteau à la tête. On connaît le potentiel fiscal et on connaît les faiblesses des structures de mobilisation. Les exonérations privent l’État de substantiels revenus. En 2015, les pertes indues ont été évaluées à plus de 200 millions de dollars, contre quelque 350 millions en 2013. En 2014, Patrice Kitebi, alors ministre délégué aux Finances, annonçait un audit sur toutes les exonérations fiscales accordées aux entreprises, car elles constituent une « hémorragie importante » des recettes de l’État et une source de « fuite des recettes ». 

Dans le concret, un contrôle et un suivi devraient être faits de toutes les exonérations et que toutes les demandes d’exonération devraient être passées au crible. L’objectif était de mobiliser au maximum les recettes pour financer le développement et faire face aux impératifs de sécurité. Effet d’annonce car l’on se rend compte que non seulement l’audit sur les exonérations n’a jamais eu lieu et le gouvernement continue d’en accorder à la pelle. 

Supprimer les faveurs d’exception

Très souvent, les procédures sont contournées avec la complicité des agents de l’État, surtout par les politiques au pouvoir. La multiplication des régimes d’exonération, la réduction du champ d’application du régime de droit commun, les effets pervers (concurrence déloyale, fraude) sont à la base de cette situation. La solution ? Rendre le régime de droit commun attractif et supprimer certaines exonérations, notamment dans le cadre des investissements, recommandent des experts. 

Emmanuel Luzolo Bambi, le conseiller de l’ancien chef de l’État chargé de la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, sorte de procureur spécial, avait surpris tout le monde en faisant une déclaration fracassante selon laquelle la fraude coûte chaque année jusqu’à 15 milliards de dollars à la République démocratique du Congo. C’est environ le triple du budget 2019 du pays. 

« Lorsque la fraude atteint ces proportions, c’est au sommet de l’État qu’il faut sévir », avait laissé entendre Luzolo Bambi. Le pays qui regorge d’abondantes réserves de cuivre, d’or, de diamant et de cobalt, reste mal classé sur la liste de Transparency International qui le place à la 156è position dans son classement sur 175 États évalués. La lutte contre la fraude et la corruption a été également réaffirmée à travers les 28 mesures urgentes adoptées par le gouvernement en 2016. 

En 2012, devant l’Assemblée nationale, Augustin Matata Ponyo, alors 1ER Ministrece, avait annoncé la mise en place d’un tribunal fiscal, en soutenant que les quelque 3 à 5 milliards de nos francs ne reflétaient pas le potentiel fiscal de la RDC évalué à 20 milliards de dollars l’an. En 2013, devant le Congrès, le chef de l’État prenait l’engagement solennel d’endiguer la corruption. D’où la nomination d’un conseiller spécial dont la mission principale est d’assurer un monitoring permanent de l’évolution des patrimoines, ainsi que des cas de malversation, de corruption et d’enrichissement illicite dans le chef des responsables politiques nationaux et provinciaux, des hauts fonctionnaires et cadres de l’administration publique, des mandataires et autres agents publics. 

Ancien ministre de la Justice et des Droits humains, Luzolo Bambi est, depuis, à la manœuvre, sans que l’on ne sente vraiment son action. En marge des états généraux de la justice, en juin 2015, il avait déploré l’absence de sanctions contre la corruption alors que celle-ci se manifeste dans la vie de tous les jours. Il avait, par conséquent, menacé de poursuivre toutes les hautes autorités du pays impliquées dans la corruption. Ce ne fut pas suffisant pour décourager les malversations dans les services publics.