Le gouvernement a décidé de récupérer ses biens immeubles spoliés depuis de longues années. Une campagne vient d’être lancée dans ce sens à Kinshasa, avec le concours de la police judiciaire.
La campagne de recouvrement se déroule sans tambour ni trompette. Au ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, on indique que l’État dispose de plus de 8 000 titres immobiliers à travers le pays. Mais ce chiffre a sensiblement baissé, à cause notamment des problèmes de tenue d’archives, des pillages et de la spoliation. Une « spoliation à grande échelle », souligne un rapport du même ministère.
L’appropriation illégale est l’œuvre non seulement d’agents de l’administration publique, mais aussi de cadres de l’armée et de la police. Le rapport met en exergue le cas de la capitale où, à l’issue d’une opération technique en 2014, le patrimoine immobilier de l’État comprend 971 villas, 21 immeubles totalisant 337 appartements et 8 locaux de service, 4 hangars et 1 immeuble hôtelier dénommé Hôtel Palace. À cela s’ajoutent de nouvelles acquisitions obtenues par achat, construction ou après le contentieux belgo-congolais. Il s’agit notamment de 10 immeubles résidentiels, la Cité Mimosas avec ses 60 villas, la Cité de l’Union africaine avec 41 villas et 25 autres villas disséminées dans les communes de Ngaliema, Gombe et Limete.
Nouvelle moisson
Récemment, le groupe de travail constitué d’experts des ministères de la Justice, de l’Urbanisme et de l’Habitat, des Affaires foncières, a encore identifié 151 cas de spoliation dans la capitale. Ce sont des immeubles situés dans les communes de la Gombe (135 unités), de Ngaliema (10 unités), de Barumbu (1 unité) et de Kitambo (1 unité). C’est depuis dix ans que l’État tente de récupérer tous ses biens immobiliers. Une Commission de récupération des immeubles et terrains de l’État (CRITE) avait été mise en place à cette fin par le gouvernement en 2007, alors qu’Antoine Gizenga était Premier ministre. Mais la CRITE n’a récupéré aucun immeuble, selon Fridolin Kasweshi, alors ministre en charge de l’Urbanisme et de l’Habitat, invité à l’Assemblée nationale pour répondre à une question d’actualité. La CRITE s’est retrouvée en face d’un vaste réseau de complicités entre différentes administrations. Mais le gouvernement n’a pas lâché prise assurait Kasweshi, en annonçant l’identification du patrimoine immobilier public. Déjà, en 2013, il avait publié un arrêté pour identifier les biens immeubles du domaine de l’État à Kinshasa. Un autre arrêté a été pris en janvier 2014. Seulement 30 villas et 3 immeubles ont été récupérés.
Résistance aux pouvoirs publics
Mais le gouvernement peine à récupérer les immeubles situés dans la commune de la Gombe. Des observateurs soupçonnent les services publics de passivité sinon de complicité au sujet de la propriété de beaucoup d’immeubles et de maisons censés appartenir à l’État, quelle que soit la commune. Des particuliers utilisent les moyens publics pour combattre l’État, a fustigé le député Baudouin Mayo, à la suite d’une affaire de spoliation d’une pépinière, bien public, à Kingabwa, dans la commune de Limete. Selon un expert, le pire est à venir avec l’adhésion du Congo à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Au regard de la situation financière difficile que connaissent les entreprises transformées en sociétés anonymes, des saisies de leurs immeubles sont à craindre.
Une longue histoire
L’État avait, le 30 juin 1960, hérité de la colonisation d’au moins 1 332 immeubles et villas, dont 363 à Léopoldville (Kinshasa), particulièrement à la Gombe. Chaque régime politique s’est servi dans le domaine de l’État, rapporte un haut fonctionnaire du ministère des Affaires foncières sous couvert de l’anonymat. Ce ne sont pas seulement des nationaux, mais également des expatrié, à la faveur du boom immobilier. Villas et immeubles s’achètent, se vendent et se revendent confusément, bien souvent en marge des normes officielles. Il semble, à en croire cet expert, que même des ambassades n’ont aucun document attestant que les immeubles qu’elles occupent leur reviennent de droit. « L’État doit mener des enquêtes approfondies pour rentrer dans ses droits », poursuit-il. S’il s’avère que ces ambassades n’ont pas, par exemple, de certificat d’enregistrement, elles doivent alors signer un contrat de bail avec l’État et payer le loyer. À défaut, elles devraient sinon, quitter les immeubles qu’elles occupent.
Qu’est devenue la Commission de récupération des immeubles et terrains de l’État ? Le gouvernement avait affirmé, en 2008 de disposer de quelque 1 042 dossiers en examen et que la CRITE avait pu vérifier la régularité des acquisitions par des particuliers de tous les immeubles et terrains de l’État. Depuis, la structure s’est désintégrée… avec la disparition des ministères d’État près le président de la République et près le Premier ministre. Godefroid Mayobo, en l’occurrence, était le secrétaire rapporteur de la CRITE. Et le Premier ministre, son président. Il était secondé par les ministres des Affaires foncières, de l’Urbanisme et de l’Habitat, de la Justice, des Travaux publics et de la Reconstruction, ainsi que par un délégué du cabinet du chef de l’État. La CRITE avait deux principales missions : s’assurer de la régularité, conformément aux lois et règlements en vigueur, de l’acquisition des immeubles et terrains et contrôler la régularité des décisions de restitution prises à ce sujet par l’Office des biens mal acquis (OBMA) ou par le ministère de la Justice. En août 2007, la CRITE avait même bénéficié de l’assistance de plusieurs experts venus de différents ministères concernés par la gestion du patrimoine immobilier de l’État.
Pourtant, des immeubles continuaient à être occupés par des tiers sans aucun titre. Environ 80% des immeubles érigés à la Gombe, appelée naguère Kalina, étaient du domaine de l’État. Mais, bien avant même la zaïrianisation, une machine de récupération des biens immeubles laissés par les colonisateurs s’était mise en branle, relève Mabika Kalanda, dans son livre « La remise en question » paru en 1969. La désinvolture dans la gestion du patrimoine immobilier du domaine de l’État atteignit ensuite son paroxysme quand beaucoup d’immeubles furent déclarés « biens sans maître ».
La CRITE aurait dû également recenser tous les cas des immeubles dits abandonnés ou rétrocédés depuis le 30 juin 1960, et faire l’inventaire des immeubles cédés à titre onéreux et ou gracieux. « Les spoliateurs font savamment usage de la prescription et jouent avec le temps. Ils attendent l’écoulement du délai de deux ans à partir de l’obtention du certificat d’enregistrement pour agir ou encore trois ans après l’écoulement du délai de prescription du faux. Ils montent un chapelet d’acquéreurs et d’intermédiaires pour éviter de passer pour le premier acquéreur, annoncent la disparition des archives dont des documents essentiels tels que le certificat d’enregistrement à travers la presse », explique le haut fonctionnaire du ministère des Affaires foncières.