Comment, dans le cadre des entités décentralisées et de l’amélioration de la gouvernance, associer la population à l’élaboration des budgets et à la hiérarchisation de ses besoins pour plus de transparence, de « redevabilité » et d’efficacité ? Un forum
Responsables politiques ou d’entités décentralisées, acteurs de la société civile, membres d’organisations non-gouvernementales, experts en questions financières se sont retrouvés dans la capitale, les 18 et 19 novembre. Au menu : les mécanismes de participation citoyenne aux finances publiques locales en République démocratique du Congo. Selon Godefroid Misenga Milabyo, coordonnateur du Comité d’orientation de la réforme des finances publiques (COREF) et du Projet finances transparentes au Congo (Profit Congo), « de nombreuses initiatives ont été prises ces dernières années pour améliorer la transparence et la participation citoyenne, au niveau national, provincial et local. Ces expériences ambitionnent toutes d’améliorer les processus et d’accroître en qualité et en quantité les services rendus par les pouvoirs publics aux contribuables et aux citoyens. Mais les effets et impacts en termes de responsabilisation sociale, de quantité et de qualité de services rendus ne sont pas toujours systématiquement évalués, mesurés et débattus. » Voilà le hic.
Le forum a soulevé plusieurs questions fondamentales qui se posent et empêchent une réelle participation des citoyens à la prise des décisions au niveau des dirigeants politiques alors qu’elles concernent leur propre avenir. La principale cause de cette situation est le retard pris par le processus de décentralisation consacré par la Constitution de 2006. Cela se fait sentir particulièrement au niveau des entités décentralisées où aucune élection locale n’a jamais été organisée depuis neuf ans. Les responsables actuels, qui sont nommés mais pas élus, ne se sentent pas redevables, en quoi que ce soit, envers la population. D’où la difficulté à concrétiser l’aspiration des citoyens à une transparence totale dans le chef de ceux qui gèrent les finances publiques et à être associés à toutes les décisions ayant un impact sur leur vie dans tous les domaines. L’élément le plus important qui puisse instaurer un climat de confiance entre gouvernants et gouvernés reste la nécessité pour ceux-ci d’être fortement impliqués dans l’élaboration du budget participatif et sur le choix des priorités dans l’action des pouvoirs publics. Le professeur Florimond Muteba Tshitenge, président de l’Observatoire de la dépense publique, définit ainsi le budget participatif : « C’est l’exigence que les gouvernants doivent avoir d’impliquer la population dans tout ce qui se décide à propos de leur avenir. C’est un mécanisme qui permet d’améliorer la gouvernance globale, les rapports de confiance entre gouvernants et gouvernés, y compris la mobilisation des recettes pour avoir plus de moyens destinés au développement. Avec son côté transparence et expression citoyenne, ce mécanisme peut faire beaucoup de bien à notre pays. C’est pourquoi je soutiens sa mise en place un peu partout.»
Le concept de budget participatif est né à Porto Alegre, au Brésil, en 1989. Dans cette ville, les citoyens et les membres de la société civile participent de manière active, toute l’année, aux décisions prises sur le budget. Ils s’expriment par le biais de tribunes de participation publique. L’expérience brésilienne de participation citoyenne aux finances publiques locales, lancée par un parti ouvrier, a fait des émules à travers le monde. Si bien que, en 1996, lors du Sommet mondial sur les établissements humains, l’Organisation des Nations unies a considéré la budgétisation participative comme une des meilleures pratiques de gestion urbaine au monde. L’Union africaine (UA) l’a choisie comme mode de gestion des entités décentralisées sur le continent.
En République démocratique du Congo, selon une étude menée par Profit Congo dans dix des anciennes provinces et intitulée La participation citoyenne aux finances publiques locales en RDC, qui a été présentée lors du forum, des expériences de budget participatif sont menées « dans toutes ces provinces et dans un total de 69 entités décentralisées, dont 49 en milieu urbain et 20 en milieu rural. (…) Il est important de noter que, tandis que l’expérience de la participation citoyenne aux finances publiques locales est déjà opérationnelle dans un certain nombre d’entités décentralisées, elle demeure néanmoins quasi inexistante et ignorée dans d’autres. » Florimond Muteba Tshitenge explique ce constat mitigé par le fait qu’ « il y a ici des lenteurs dues à la faiblesse de la culture démocratique. Mais, avec le temps, avec la participation de la société civile, les choses pourront changer. Dans le Sud-Kivu, la budgétisation participative avance réellement. Je demande toujours au gouverneur de cette province de ̋ « contaminer » ses collègues afin que les choses aillent plus vite. » À ce jour, le Sud-Kivu est la seule province du pays dont le gouverneur a pris un arrêté institutionnalisant le budget participatif.
À travers le pays, des expériences de participation citoyenne inclusive aux finances publiques locales ont démontré l’utilité de ce mode de fonctionnement. Les bonnes pratiques instaurées dans certaines localités se caractérisent, comme l’indique Profit Congo, par la publication des informations budgétaires dans un format simplifié ; l’affichage sur la place publique du budget et de la nomenclature des taxes ; l’organisation de séances publiques au cours desquelles l’information budgétaire est partagée ; la mise en ligne des informations budgétaires, leur diffusion par le biais des médias ou, encore, leur inscription sur les murs de la maison communale. Mais, en dépit de toutes ces initiatives, les participants au forum ont constaté que, globalement, « la transparence budgétaire peine à être au rendez-vous dans les initiatives de participation citoyenne aux finances publiques locales ». Pourtant, la participation citoyenne est un outil indispensable pour l’émergence d’une confiance mutuelle entre les autorités et les administrés dans les entités décentralisées.
«La participation citoyenne corrige la vision qui veut que les décisions doivent partir du haut vers le bas. Quand ce que les citoyens doivent faire pour eux-mêmes est décidé d’en haut, ils ne l’exécutent pas parce qu’ils ne se sentent pas concernés. C’est pourquoi nous avons perdu plus d’un demi-siècle. Le développement par le haut, qui est appliqué depuis 1960, n’a rien donné. Il faut que nous comprenions que notre population est notre plus grande force. Si elle n’est pas impliquée, si elle ne devient pas le moteur du développement, il ne se passera rien et nous perdrons encore un siècle ! » Mais comment y arriver dans un pays où payer les impôts n’est pas l’exercice favori des citoyens ? Cette question n’a pas échappé aux différents experts. Muteba Tshitenge estime pour sa part que c’est un faux problème. D’après lui, les Congolais ont la culture fiscale, mais ils refusent de la mettre au service de l’État « parce qu’ils ne voient pas clair et se demandent pourquoi ils doivent payer alors qu’il n’y a aucune réalisation. Il se pose un problème de confiance entre la population et les autorités, qui ne sont pas transparentes. Lorsqu’elles le deviendront, les citoyens paieront les impôts pour la construction d’infrastructures dont tout le monde pourra profiter ». Le forum de Kinshasa a permis de faire un état des lieux de la budgétisation participative et l’inventaire des obstacles à surmonter. Le premier obstacle reste la trop lente maturation de la décentralisation considérée par certains comme un déficit. Autres obstacles, le manque d’intérêt de la population pour la chose publique, la pauvreté générale, le manque d’intérêt des autorités politiques, le manque de légitimité de la société civile, le manque d’un cadre juridique pour la participation citoyenne. À quoi s’ajoutent l’attente sans fin de la caisse de péréquation, l’insuffisance des moyens dont souffrent les entités décentralisées et la corruption. En fin de compte, le chemin est encore long pour une réelle participation citoyenne à la gestion des finances publiques. Il est encore très long pour les dirigeants se sentent redevables aux citoyens et pour que la transparence devienne une réalité. Et puis, pour y arriver, l’apport des partenaires extérieurs reste incontournable.