DANS CE nouveau rapport publié le 8 août à Genève, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) relève que la gestion des terres, la production agricole et l’alimentation doivent changer en profondeur pour réduire le réchauffement climatique. À défaut, la sécurité alimentaire, la santé et la biodiversité seront menacées. Ce rapport spécial porte sur les liens entre les dérèglements climatiques, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres et la sécurité alimentaire.
Le document d’une soixantaine de pages observe que la croissance démographique mondiale couplée à des mutations des habitudes alimentaires font peser une pression inédite sur les terres arables et les réserves d’eau. Le rapport note aussi qu’un quart des terres émergées, libres de glace, sont dégradées du fait de l’activité humaine. « Le changement climatique exacerbe la dégradation des terres, notamment dans les zones côtières de faible altitude, les deltas fluviaux, les zones désertiques et les zones de permafrost », peut-on lire.
Les experts du GIEC ne préconisent pas l’arrêt, mais une réduction de la consommation de viande et une modification des régimes alimentaires. « Retarder le passage à l’action pourrait avoir pour conséquence des effets irréversibles sur certains écosystèmes, avec à long terme le risque de conduire à une augmentation considérable des émissions (de gaz à effet de serre) qui accélérerait le réchauffement climatique », écrivent-ils. L’agriculture, l’exploitation forestière et d’autres activités liées à l’utilisation de la terre représentent, sur la période 2007-2016, quelque 23 % des émissions nets de gaz à effet de serre liées à l’activité humaine.
En y ajoutant les industries de transformation des aliments, cette part monte à 37 %. « C’est un enchaînement désastreux: des terres limitées, une population humaine en expansion, le tout enveloppé dans la couverture suffocante de l’urgence climatique », commente Dave Reay, professeur spécialisé dans les techniques de gestion du carbone à l’université d’Edimbourg. Le rapport du GIEC s’inscrit dans la préparation de la prochaine conférence sur le changement climatique qui se tiendra en décembre au Chili. La COP-25 est censée aboutir sur des moyens d’appliquer l’accord de Paris sur le climat de décembre 2015.
Il souligne que le réchauffement de la température de surface est deux fois plus rapide au-dessus des terres émergées que pour le globe dans sa totalité (+1,53°C par rapport à la période préindustrielle contre +0,87°C pour la température moyenne de la planète). Canicules, sécheresses ou précipitations intenses, dégradation et désertification: ce réchauffement risque de perturber la production agricole, de réduire les rendements et d’augmenter les cours. D’ici 2050, le prix des céréales devrait connaître une augmentation médiane de 7,6 %, avec des conséquences immédiates sur la sécurité alimentaire des populations les plus pauvres.
Agir maintenant
À l’échelle de la planète, la production d’huiles végétales et de viande per capita a plus que doublé depuis 1961. Avec des écarts d’alimentation considérables selon les pays et des effets variables sur les populations: la planète compte 2 milliards de personnes en surpoids ou obèses mais aussi 821 millions de personnes victimes de sous-nutrition. Par ailleurs, 25 à 30 % de la production agricole est perdue ou gâchée. « C’est une crise dont nous sommes responsables mais c’est aussi une crise que nous pouvons résoudre si nous agissons maintenant », a déclaré Reyes Tirado, scientifique rattaché au laboratoire de recherche de l’ONG Greenpeace à l’université d’Exeter.
« Notre impact sans précédent sur les terres agricoles est dû en grande partie à l’expansion de l’agriculture industrielle et de la production de viande », poursuit-il. Pour sortir de cette « surconsommation », il appelle à réduire de 50 % la consommation de viande dans nos alimentations « avec des baisses encore plus drastiques de l’ordre de 70 à 90 % dans certains pays d’Europe de l’Ouest ou d’Amérique du Nord ». Cette transformation des productions agricoles permettrait également d’accroître la superficie des forêts, qui sont autant de « pièges » à carbone.