Depuis le mois de mars 2015, la ville de Kinshasa a fait l’objet d’une campagne de sensibilisation fortement médiatisée visant à dénoncer la dépigmentation artificielle de la peau.
Selon la fondation International Working Lady, tout est parti d’un constat fait sur l’usage de l’hydroquinone pour dépigmenter artificiellement la peau. « Un tour dans la ville suffit pour voir combien cette pratique a pris de l’ampleur », confie Rigaud Gomba, chargé de communication de la campagne.
Face à cette gangrène qui s’ancre de plus en plus dans la société, International Working Lady ne se limite pas à la dénonciation. Il tient surtout à informer la population sur les dangers que comporte l’utilisation continue de ce médicament. C’est dans ce contexte qu’il convient de situer sa campagne de sensibilisation dénommée « Africain et fier » axée sur le thème « Dites non à l’hydroquinone », sous-tendu par un slogan évocateur « Zala yo » (« Sois toi »).
Ne pouvant s’attaquer aux industries qui fabriquent des cosmétiques à base de l’hydroquinone, les promoteurs de la campagne « Dites non à l’hydroquinone » ont opté pour la stratégie de contournement comme politique de communication. Pour Rigaud Gomba, « ce ne sont pas ceux qui vendent des lotions à base de l’hydroquinone qui sont les principales victimes des problèmes causés par le produit mais c’est plutôt la population. Si l’on éveille la conscience de la population sur la menace, elle n’achètera plus ces produits et les fabricants n’en produiront plus.
Une guerre de longue haleine
« Ainsi, au lieu de déconseiller le vendeur de proposer le produit sur le marché, qu’on peut contrôler, dissuadez plutôt le client d’acheter parce que le produit est dangereux. L’essentiel, pour nous, c’est d’éveiller la conscience de la population afin qu’elle puisse prendre une décision ferme face à l’utilisation de l’hydroquinone ».
La question de changement de mentalité est une guerre de longue haleine. Les organisateurs de la campagne le savent. Le fait de mettre sur la place publique la problématique de l’hydroquinone est une grande victoire.
Alors que la campagne tend à sa fin, après trois mois de sensibilisation, les promoteurs disent n’être pas encore satisfaits par rapport au résultat recherché. La raison ? Le chargé de communication explique : « Le pays est vaste. Nous n’avons pu toucher que la ville de Kinshasa. Nous aurions souhaité aller sortir de la capitale et pourquoi pas rester un peu plus longtemps à Kinshasa au lieu de faire l’affichage sur une courte période ».
Pour ce qui concerne les statistiques des personnes atteintes par le cancer de peau lié à l’utilisation de l’hydroquinone, Rigaud Gomba confie : « Nous collaborons avec le comité scientifique de la faculté de dermatologie de l’Université de Kinshasa afin de statuer exactement sur le nombre de personnes ayant consulté un médecin et qui souffrent de l’une ou l’autre maladie de la peau liée à l’usage de l’hydroquinone ».
Même si les données scientifiques attendues ne sont pas encore livrées, Rigaud Gomba reste optimiste en ce qui concerne le combat que mène la fondation International Working Lady. Il préconise de poursuivre la sensibilisation au-delà de la campagne.
Des recettes miracles
Pour éclaircir la peau à tout prix et entrer dans l’idéal de beauté imposé par la société et les médias, certaines femmes n’hésitent pas à se concocter un mélange dangereux : des « recettes miracles », appelées « potion » ou « solution. » Anitha, jeune fille de 20 ans, explique : « c’est l’eau de Javel qui est soit mélangée à des laits de beauté, soit à du savon antiseptique rappé pour accélérer le processus. Le résultat se voit au bout de trois voire cinq jours. Tout dépend de la dose. »
Passy, mère au foyer, raconte : « les femmes font de la pâte avec du ciment et s’enduisent sur toutes les parties du corps qu’elles veulent éclaircir ; puis elles enveloppent ces parties avec des sachets. Le résultat est visible dans les 24 heures qui suivent. Ce procédé est très irritant. Les personnes qui recourent à cette méthode s’appliquent de l’huile de palme pour atténuer la douleur causée par l’irritation. »
Julie, infirmière, intervient : « à ces mélanges faits maison, on propose des produits plus agressifs comme l’eau oxygénée ou l’alcool dénaturé pour éclaircir les zones les plus résistantes. Ces produits servent, en médecine, à traiter des cas graves d’allergies ou des chocs hémorragiques ». D’autres personnes, poursuit-elle, « se font injecter du ‘quinacore’, un traitement destiné à soigner les rhumatismes. La particularité de ce produit est son effet secondaire qui se traduit par le blanchiment de la peau ».
Un produit très dangereux
L’hydroquinone est un produit très dangereux non seulement pour la peau mais aussi la santé. Les effets secondaires qu’il provoque sont essentiellement cutanés. Certains sujets présentent une pigmentation non homogène sur le dos des mains et sur les plantes des pieds avec une zone très foncée aux articulations. Leurs coudes et genoux le sont également. Cette apparence est appelée « makoso » (peau de porc).
Chez d’autres, apparaît une teinte très irrégulière du visage avec une hyperpigmentation autour des yeux provoquant l’ochronose (les plaques vert-noir qui apparaissent sur la peau lorsque la victime est exposée au soleil sans protection) appelée couramment « tampon. » On observe également une pilosité autour des lèvres et sur le corps (il y a des sujets qui se voient pousser la barbe).
Comparés aux cancers de la peau les acnés, les brûlures, les mycoses, les vergetures, l’amincissement de la peau à l’origine de problèmes de cicatrisation et les eczémas ne sont que de simples problèmes.
Les conséquences de la dépigmentation sur la santé sont telles que cette drogue peut causer l’hypertension artérielle, le diabète, les problèmes rénaux et même les troubles de vision. Chez la femme enceinte ou allaitante, ces produits présentent des risques toxiques pour l’enfant.
Attention à l’hydroquinone et à ses dérivés qui sont proposés sous forme de lait, crème, savon, huile, glycérine ! Ces produits peuvent contenir jusqu’à 22% d’hydroquinone, alors que la dose pour un usage cosmétique ne doit pas dépasser 2%, si l’on croit la dermatologue Liliane Lubaki. « À partir de 3%, l’hydroquinone doit faire l’objet d’une prescription médicale et d’un suivi par un médecin ». Le problème est que le marché illicite des produits à base de l’hydroquinone n’est pas prêt à disparaître au vu de l’enjeu financier qu’il représente.