L’annonce a été faite le 28 mars dernier, l’agence de régulation (ARCA) a agréé six opérateurs privés dans le secteur des assurances à savoir : quatre sociétés d’assurances (Activa Assurance en RDC, Société Financière d’Assurance Congo, Rawsur SA, Rawsur Life SA) et deux sociétés de courtage (Allied Insurance Brokers SARL, Gras Savoye RDC).
Il convient de noter que ces agréments constituent une avancée significative dans la réforme du secteur des assurances et des entreprises publiques en RDC. En effet, les agréments viennent mettre fin à près de 50 ans de monopole étatique exercé par la Société Nationale des Assurances (SONAS). Celle-ci a déjà déposé auprès de l’ARCA, le dossier qui l’engage à ne plus agir en monopole, conformément aux prescrits de la loi n°16/001 du 26 janvier 2016.
Ces agréments marquent par ailleurs un progrès remarquable du processus de réformes des entreprises publiques en RDC. Amorcé depuis le début des années 2000 par le Comité de Pilotage des réformes des Entreprises publiques, ce processus a donné jusque-là des résultats mitigés voire décevants. C’est ainsi que les réformes ont été relancées par le même comité au cours d’un séminaire-atelier tenu les 2 et 3 juin 2016. Parmi les recommandations de l’atelier, figurait la proposition d’accélérer la transformation des sociétés d’État en entreprises commerciales, ainsi que celle de mettre en place des agences de régulation dans les différents secteurs : énergie, assurances…
Il est un fait que la création de telles agences dans d’autres secteurs aurait pu, comme dans les assurances, mettre fin aux monopoles étatiques. Ceci aurait pu créer les conditions d’une compétitivité saine, comme facteur d’attractivité des opérateurs privés dans ces secteurs. Car, il est important de briser le monopole de l’État dans des secteurs tels que l’eau et l’électricité, afin de garantir à la population congolaise un accès aux services sociaux de base dans des meilleurs rapports qualité-prix.
Cependant, malgré l’avancée que constituent ces agréments, force est de constater que beaucoup reste à faire pour parachever la libéralisation du secteur des assurances dans le contexte de la RDC. En effet, ce contexte regorge de nombreux obstacles potentiels qui peuvent empêcher le marché des assurances de fonctionner à la satisfaction des souscripteurs et des assureurs. Les principaux obstacles prennent la forme des potentielles défaillances du marché et sont essentiellement de deux ordres, à savoir : le risque de constitution d’un pouvoir de marché oligopolistique dans les assurances, ainsi que celui d’une forte asymétrie de l’information entre souscripteurs et assureurs. L’Agence de régulation, l’ARCA, devra donc s’atteler à contrer la cartellisation du secteur et à développer l’interopérabilité des informations collectées par les assureurs et autres acteurs impliqués.
Éviter la cartellisation…
En RDC, plusieurs secteurs économiques sont fortement concentrés. Les pouvoirs de marché monopolistiques ou oligopolistiques, s’exercent ainsi dans pratiquement tous les principales sphères d’activité : eau, électricité, banques, construction, distribution, transport aérien, télécommunications. Il est dès lors fondé de craindre que le secteur des assurances ne se mue en un oligopole voire en un cartel légal.
Deux raisons peuvent justifier cette crainte. Primo, il y a la présence dans le secteur d’un opérateur public, la SONAS. Pour assurer la rentabilité de cette entreprise publique, l’État pourrait être tenté d’imposer des niveaux minima de primes plus élevés que ceux de l’équilibre concurrentiel. Ce qui rendra l’assurance très chère pour beaucoup de congolais. La seconde raison tient justement au fait que le cartel légal et les prix planchers sont déjà pratiqués en RDC dans les télécoms, avec cinq opérateurs privés ; ceci malgré la présence de l’Agence de Régulation des Postes et Télécommunications au Congo (ARCPT). L’éventualité d’instaurer ces pratiques dans les assurances ne constitue donc pas un cas d’école en RDC.
Pour éviter la cartellisation du secteur des assurances, l’ARCA devra, à la différence de l’ARCPT, agir en véritable agence de régulation pour promouvoir une saine concurrence entre tous les opérateurs, le public et les privés. Pas de contrôle de primes ni de barrières à l’entrée du secteur. On évitera ainsi l’imposition de prime-plancher, qui risque de priver de nombreux congolais du service de l’assurance. Pour redresser la SONAS dans le respect de la loi n° 16/001 du 26 janvier 2016, l’État devra actionner des mécanismes qui ne sont pas anti-concurrentiels. Par ailleurs, le seuil de capital minimum des firmes du secteur, devra être fixé à une hauteur qui favorise l’entrée des nouveaux opérateurs, notamment celle des entrepreneurs nationaux.
Développer l’interopérabilité…
En RDC, les assureurs auront du mal à maîtriser l’information sur les souscripteurs. En effet, certains d’entre ceux-ci pourraient aisément cacher leurs véritables états de santé, leurs comportements à risque, voire même leurs adresses et leurs états civils. Ce déséquilibre dans la détention des données, qu’on appelle asymétrie de l’information, pourrait ainsi pousser les assureurs à fixer leurs primes à des niveaux élevés pour pouvoir faire face à des risques de remboursement accrus.
Ces niveaux élevés des primes seront perçus comme excessifs par ceux des assurés qui sont en bonne santé ou qui ne prennent pas de gros risques. C’est la sélection adverse : les assurés précautionneux quitteront le marché pour n’y laisser que des casse-cous. Pour ceux-ci, le montant élevé de la prime sera encore abordable compte tenu de gros risques qu’ils encourent et de plantureux remboursements attendus.
Pour conjurer cette inefficience de marché, il est impératif que l’ARCA impose l’interopérabilité des systèmes d’information des opérateurs d’assurances en RDC. Il s’agit de rendre ces systèmes interopérables à partir d’un registre-maître qui centraliserait toutes les données, leurs mises à jour et les partagerait à tous les opérateurs ; ceci dans le respect bien entendu de la vie privée des souscripteurs. Les sept opérateurs seront ainsi tenus de se transmettre les données, les partager, et les utiliser dans un langage commun.
Il faudra pour cela que le régulateur établisse des standards en la matière pour un partage efficace de données entre systèmes. De même, il faudra s’attaquer à l’opacité qui entoure les pratiques dans le secteur public, notamment celui de l’état civil où les données identitaires divergent d’une commune à une autre, d’une province à une autre, ou d’une administration à une autre. Ce sont là autant d’éléments qui montrent que la libéralisation du secteur des assurances en RDC a encore du chemin à parcourir…