Entre la 12ème et la 13ème Rues, le long de la principale artère de Kinshasa qui mène à l’aéroport de N’djili, le boulevard Lumumba, est implanté un poste électrique haute tension de 30 000 KVA tirés directement du centre de dispersion de la centrale d’Inga pour approvisionner les unités manufacturières de cette commune. Or l’industrie a cédé la place à la friperie.
Mardi 25 août 2015, 8 heures du matin. Comme tous les jours, il y a du monde, surtout des femmes, sur ces venelles qui portent toutes un nom plutôt numéral, ordinal, entre la 5ème et la 15ème Rues. Limete en compte 16. Le service d’urbanisme, en toute désinvolture, en a ajouté deux autres. Naguère, il y a à peine quinze ans, une sirène retentissait sur tout le périmètre de Limete Industriel pour annoncer aux ouvriers la reprise du travail.
De la savonnerie à la vente de vêtements usagés
Aujourd’hui, ce ne sont plus les machines qui ronronnent, mais des jeunes gens appelés, ici, « Courageux », qui rivalisent de porter plus haut la voix afin d’attirer la clientèle, non pas dans les savonneries ou des laiteries, mais dans des dépôts de friperies. «Nouvel arrivage! Qualité supérieure… », «Chez nous, c’est Paris. Là- bas, c’est du chinois», crient à longueur de journées ces «courageux ». Ils ne sont guère à court de mots pour appâter qui n’ont rien à envier aux slogans publicitaires. Sur la 8ème Rue, par exemple, une vingtaine d’unités manufacturières était opérationnelle jusque dans les années 1990, confie Dico, un ancien négociant dans la tôlerie reconverti dans le commerce de la fripe. Elles ont presque toutes été remplacées par des dépôts de friperie.
A Limete Industriel, il y a encore, certes, des scieries, des usines cosmétiques, des boulangeries, des fabriques d’allumettes… Mais elles sont plutôt isolées les unes des autres. Alors qu’il y a encore quelques années, elles s’alignaient en chapelet, selon un fonctionnaire de la division des PMI et PMEA interrogé à la maison communale de Limete. Des usines qui résistent encore à l’essaim des friperies, c’est juste des vestiges d’un certain essor industriel de Limeté », poursuit-il. Les usines s’enchevêtraient jusque dans le quartier populaire de Kingabwa. Elles ont cédé la place aux hôtels, aux flats, aux acheteurs de mitrailles, à des garages de fortune».
Selon le ministre de l’Industrie, Germain Kambinga, en trente ans, la RDC a perdu 80% de ses unités industrielles. Les pillages de 1991 et 1993 sont passés par là, tandis que l’instabilité politique n’a pas, non plus, été sans impact sur les industries de Limete, d’après un expert du ministère de l’Industrie. « Quand l’UDPS, dont le siège ainsi que la résidence de son président sont à Limete, lançait un appel pour une journée ville morte, aucune entreprise n’osait ouvrir ses portes de ce côté-là. Quand des villes mortes se succèdent, le manque à gagner enfonce l’entreprise dont le promoteur préfère fermer et aller voir ailleurs », souligne-t-il.
Le ministre de l’Industrie a remis en service, en 2014, la Cellule d’études et de planification industrielle (CEPI), laissée en veilleuse depuis des lustres.
Comme pour manifester son intérêt à la relance du centre industriel de Limete, Germain Kambinga a justement installé la CEPI dans cette commune, sur la 10ème Rue, mais du côté résidentiel… à deux minutes de la résidence d’Etienne Tshisekedi. D’ailleurs, les jeunes de ce quartier, s’amusent volontiers à ajouter un «p» à résidentiel pour faire Limete présidentiel. De ce côté également, des petits commerces – des décrochez-moi ça – prolifèrent durant les grandes vacances. Tout Kinshasa est envahi par ces commerces. Le phénomène se propage également dans les grandes agglomérations de l’arrière-pays.
Et si la RDC avait été tout simplement rattrapée par son passé colonial ? Dans son ouvrage, « Vers la deuxième indépendance du Congo », la journaliste belge Colette Braeckman atteste que la première activité mercantile que les colonisateurs belges ont apprise aux Congolais, c’est la friperie, bien avant le commerce de l’hévéa et du caoutchouc. La vente des fripes remonterait à la période entre 1899 et 1906. Un commerce marqué à ses débuts par des anecdotes aussi saugrenues que croustillantes. Comme en témoigne cette fresque datée de 1906 retrouvée chez un antiquaire de Kinshasa. L’on y voit un homme noir, robuste, déployant tous ses biceps avec opiniâtreté afin d’enfiler sa tête dans le pied d’un pantalon, pendant qu’un autre, tout jovial, se collait un soutien-gorge sur les yeux… qu’il avait pris pour une paire de lunettes.
Mais le commerce vestimentaire, même la lingerie de seconde main, a été repris par des Asiatiques, Libanais, Indopakistanais en tête, suivis de près par des Chinois, toujours opportunistes et prêts à tout, même à abandonner leurs produits, des made in China, pourtant neufs, pour de la camelote venue d’ailleurs… au nom du gain facile. Plus de 150 dépôts de fripes sont disséminés à travers Limete… Industriel. Sur le petit boulevard, à la 9ème Rue, un sujet pakistanais, naturalisé Congolais, dit-on, a déboursé quelque 600 000 dollars pour l’achat d’une grande concession. Il y a construit deux grands dépôts de friperie. «C’est un commerce qui rapporte gros et qui a encore de longs et bons jours devant lui », confie une revendeuse de fripes depuis sept ans.
Et de renchérir : «Les Chinois nous ont déçus avec leurs prêt-à-porter de piètre qualité. Même des grandes dames, des messieurs, dans cette ville, portent des friperies. On m’envoie des commandes même d’Inongo, de Mbuji-Mayi, de Mbandaka». Le prix d’un ballot de vêtements, de chaussures, de ceintures, de sacs et même de jouets varie essentiellement selon son volume et la tranche d’âges à laquelle conviennent les articles. Plus le ballot est gros, plus les articles sont de bonne qualité.
Naturellement les articles destinés aux grandes personnes sont plus coûteux que ceux des enfants. Toutefois, tout se négocie à partir de 50 dollars jusqu’à plus de 250 dollars, le ballot. Ici, on dit plutôt ballon. Alors, ce commerce qui monte tant rapporte quoi au Trésor public? Secret d’État. Pour un fonctionnaire des PMI et PMEA à la maison communale de Limete, les dépôts de fripes ne relèvent pas de la compétence de la commune. « Ici, nous percevons presque rien. Ce sont des agents des affaires économiques, de la DGI et la DGRAD qui s’y retrouvent », avoue-t-il.
Il n’est pas facile de trouver le chemin que prennent les recettes provenant de la friperie dans les antennes des régies financières. Sinon que les dépôts des friperies sont soumis au régime fiscal et douanier de droit commun. Iles commerçants sont également tenus de payer une redevance au ministère de la Santé publique. La Société nationale d’électricité (SNEL), elle, ne trouve pas son compte dans les friperies. Faute de délocaliser son poste de Liminga, comme c’était prévu, il y a encore quelques années, pour un gros transformateur destiné à soutenir l’approvisionnement en électricité de la défunte Société sidérurgique de Maluku (SOSIDER), la SNEL a plutôt construit une ligne électrique pour emmener l’électricité de Liminga vers d’autres cieux.