Faut-il vraiment attendre quelque chose du prochain conseil national du travail (CNT) ? Cette fois-ci, les travailleurs espèrent que le gouvernement, les employeurs et les syndicats vont parvenir à un accord sur le Smig. C’est à la demande du président de l’intersyndicale du Congo, Guy Kolela, que la question du Smig est à nouveau proposée à l’ordre du jour du CNT. Ce n’est pas nouveau que la Fédération des entreprises du Congo (FEC), l’Association nationale des entreprises publiques (ANEP), la Fédération nationale des petites entreprises du Congo (FENAPEC), les syndicats et le ministère de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale ne parviennent pas à accorder leurs violons sur le taux référentiel du Smig à appliquer. En 2008, la FEC, particulièrement, jugeait « trop élevé » le Smig en vigueur fixé à 3 dollars par jour, soit le prix de deux bouteilles de bière locale, à l’époque.
Pour les syndicalistes le salaire a un caractère alimentaire. Par conséquent, il doit être digne. Ils ne comprennent pas pourquoi les négociations sur le Smig achoppent depuis une dizaine d’années. Le gouvernement souhaiterait un Smig à 5 dollars par jour. Les employeurs s’y opposeraient. Tout comme d’ailleurs, ils avaient contesté le compromis trouvé en 2008, soit 3 dollars par jour. À considérer les conditions de vie actuelles, caractérisées par la vie chère, d’aucuns se demandent si le Smig à 3 dollars par jour peut permettre au Congolais lambda de vivre décemment. En 2008, le Smig promulgué par le chef de l’État devait être appliqué en deux temps : 1,8 dollar en 2008 et le reste, soit 1,2 dollar, en 2009. Cinq ans auparavant, le gouvernement avait obtenu à l’arraché un Smig à 1 dollar, soit 350 francs de l’époque.
Tenir compte du panier de la ménagère
Depuis, chaque session du CNT suscite des tensions, chaque partenaire cherchant à tirer la couverture de son côté. « Sur cet autel, ce sont les intérêts des travailleurs qui sont le plus souvent sacrifiés », martèle Guy Kolela. Combien faut-il donner, aujourd’hui, comme Smig en RDC ? Les syndicats réclamaient au moins 19 dollars par jour, soit 494 dollars par mois. « Le salaire doit être l’aboutissement des concessions entre les employeurs et les travailleurs représentés par les syndicats, l’État jouant le rôle d’arbitre ou de médiateur dans la fixation des taux minima de rémunération et dans la résolution des conflits salariaux », déclare un syndicaliste. La convention n°98 de 1949 de l’Organisation internationale du travail (BIT), dont la République démocratique du Congo est membre, précise que le salaire est le résultat d’une négociation collective entre les travailleurs et leur employeur. L’État a, quant à lui, le devoir de veiller à ce que le Smig tienne compte du panier de la ménagère, car il est un salaire en deçà duquel aucun travailleur ne peut être rémunéré.
Un expert du travail fait remarquer que le Smig est soumis à une limite inférieure fixée par les conditions de dignité et de décence de la vie pour le travailleur ainsi qu’à une limite supérieure fixée par la productivité du travail. Autrement dit, l’employeur ne peut octroyer une rémunération supérieure à ce que lui apporte le travail. Par ailleurs, le Smig est imposable seulement aux entreprises privées et paraétatiques, la Fonction publique, la police et l’armée n’étant pas régies par le code du travail.
Décentraliser le Smig
L’application du SMIG pose encore problème. On se demande s’il s’applique aussi aux hommes de métier comme les artisans, les hommes et femmes de ménage, etc. La loi fixe le Smig sans compter les avantages sociaux et autres. « Les gens sont pauvres parce qu’ils sont peu qualifiés et ils n’accèdent pas à des emplois mieux rémunérés », explique l’économiste Dominique Esambo. Selon lui, les indicateurs du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale qualifient de « pauvre » tout travailleur qui gagne moins de 370 dollars par mois. « L’amélioration du niveau de vie passe par une réforme du marché du travail au Congo », préconise-t-il.
L’emprise de l’informel
Selon ce chercheur qui mène une étude à travers le pays, le marché du travail congolais est dominé par le secteur privé informel. « Les diplômés universitaires préfèrent obtenir un poste de cadre garantissant un emploi et des avantages sociaux non négligeables dans le secteur privé. En effet, un travailleur du secteur privé obtiendra un salaire de cinq à dix fois supérieur à celui qu’obtiendrait un fonctionnaire », explique-t-il. Dominique Esambo estime que la réforme du système d’enseignement est liée à celle du marché du travail. « Elle devrait réduire, sinon supprimer les privilèges des employés du secteur privé par rapport au secteur public pour les mêmes activités, de manière à annuler les distorsions. Un marché du travail fonctionnant de façon concurrentielle permettra d’allouer le capital humain aux activités les plus propices à la croissance ainsi que de réaliser des gains de productivité de chaque travailleur », souligne-t-il. Il pense que ce surplus de richesse permettra aux employeurs d’investir davantage et aux travailleurs d’avoir plus de pouvoir d’achat, améliorant ainsi leur niveau de vie.
Recours aux travailleurs temporaires
Par ailleurs, fait-il observer, la réglementation du marché du travail est plutôt restrictive en RDC. La rigidité de la réglementation décourage les employeurs d’embaucher de nouveaux travailleurs. Les employeurs recourent de plus en plus aux « travailleurs temporaires », une pratique qui ne fait que consolider les inégalités et les exclusions dans l’accès à l’emploi. Dominique Esambo plaide pour « la décentralisation du Smig ».
C’est le chef de l’État qui, après avis consultatif du CNT, en fixe le niveau par voie réglementaire (ordonnance). « Ce mode centralisé pose problème car les augmentations du salaire minimum se répercutent sur les prix à la consommation et, par conséquent, donnent lieu aux revendications pour de nouvelles revalorisations salariales. La spirale inflationniste va à l’encontre de la sauvegarde du pouvoir d’achat des travailleurs », argumente-t-il. Et de conclure : « Le niveau de vie n’étant pas le même partout dans le pays, les provinces ne peuvent donc pas avoir le même niveau de salaire minimum.
Imposer aux entrepreneurs des zones les plus pauvres le même salaire minimum que les zones les plus riches les empêchera d’embaucher, de faire croître leurs entreprises et de contribuer au développement local. La loi peut toujours obliger un employeur à verser un salaire plus généreux ou à ne pas licencier, mais elle ne peut pas l’obliger à embaucher ».