UN PREMIER bilan rendu public le vendredi 7 juin montre que les pays participants ont déjà procédé à des échanges de renseignements sur 47 millions de comptes établis à l’étranger, pour une valeur totale de 4 900 milliards de dollars. « La communauté internationale a atteint un niveau de transparence fiscale sans précédent, qui aura des retombées concrètes sur les recettes publiques et sur les services qu’elles financent dans les années à venir », se félicite Angel Gurria, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies pour la coopération et le développement économiques (OCDE).
Plus de 90 pays participent à cette initiative d’échange automatique de renseignements lancée en septembre dernier, couronnant plus de deux décennies d’efforts internationaux de lutte contre la fraude fiscale. Selon Angel Gurria, qui présentait ces chiffres à l’occasion de la réunion des ministres des Finances du G20 à Fukuoka (Japon), « les initiatives en faveur de la transparence (…) ont levé le voile sur l’existence de fonds extraterritoriaux très abondants qui peut désormais être dûment imposé par les autorités fiscales du monde entier. »
« L’analyse continue des activités financières transfrontières montre d’ores et déjà combien les normes internationales d’échange automatique de renseignements renforcent la discipline fiscale, et les résultats futurs devraient confirmer cette tendance », a ajouté le secrétaire général de l’OCDE.
La divulgation volontaire de comptes, d’actifs financiers et de revenus à l’étranger intervenue en amont du déploiement de l’initiative d’échange automatique de renseignements a permis de mobiliser plus de 95 milliards d’euros de recettes supplémentaires (impôts, intérêts et pénalités) pour les pays de l’OCDE et du G20 sur la période 2009-2019. « Ce montant cumulé a augmenté de deux milliards depuis les derniers chiffres communiqués par l’OCDE en novembre 2018 », souligne-t-il. La France représente environ 10 % de ce montant, soit un peu moins de dix milliards d’euros.
Secret bancaire en recul
Les montants déposés sur des comptes offshore dans le monde sont en forte baisse depuis dix ans. L’échange automatique d’informations entre fiscs de 90 pays a accéléré le mouvement, se félicite l’OCDE, à la pointe de la lutte contre l’évasion fiscale. C’est il y a dix ans, en avril 2009, en pleine crise économique et financière, lors du sommet des pays du G20 à Londres, que la guerre contre les paradis fiscaux a été officiellement déclarée. Les ministres des Finances du G20 ont pu mesurer à Fukuoka au Japon une partie des progrès réalisés.
Le secrétaire général de l’OCDE, organisation internationale devenue le bras armé du G20 pour les questions fiscales, leur a présenté un rapport. Dans l’arsenal que les États déploient progressivement depuis dix ans pour réduire les montants échappant à leurs caisses, l’arme jugée la plus efficace est l’échange automatique d’informations bancaires. Lorsque Pascal Saint-Amans, le directeur des affaires fiscales de l’OCDE, a commencé à travailler sur le sujet, il y avait 40 conventions d’échanges de renseignements. Il y en a plus de 5 000 aujourd’hui.
Depuis l’entrée en vigueur de l’échange automatique d’informations à partir de 2017, l’OCDE a recensé qu’entre septembre et décembre 2018, 90 pays ont échangé des informations (identité du bénéficiaire, solde) sur les comptes bancaires détenus sur leur territoire par des titulaires étrangers. Ces données portent sur 47 millions de comptes et sur un montant total d’avoirs de 4 900 milliards de dollars. Attention, prévient Pascal Saint-Amans, cette somme colossale ne correspond pas à de la fraude fiscale. L’essentiel de ces comptes offshore est déclaré. Mais en récupérant l’intégralité de ces données, le fisc d’un pays peut ensuite recouper les informations afin de traquer les fraudeurs.
Dix pays ne jouent pas le jeu
Cette enveloppe de près de 5 000 milliards de dollars n’est pas complète, note l’OCDE. Deux grands pays, le Brésil et l’Indonésie n’ont pas encore communiqué les montants des avoirs bancaires détenus à l’étranger par leurs ressortissants. Autre trou dans la raquette: l’Inde n’a pas reçu d’informations en provenance de Suisse où ses riches citoyens mettent certainement d’importantes sommes en sécurité, pense-t-on à l’OCDE.
Le secrétaire général de l’OCDE va pointer dix pays (on parle de «juridictions» en langage administratif) qui ne jouent pas encore le jeu des échanges automatiques d’informations. La Turquie est sortie de cette liste sur laquelle figurent le sultanat de Brunei ou Saint-Vincent, dans les Antilles. Plus surprenant, Israël compte parmi les États «en retard». Explication de l’OCDE: un groupe ultraorthodoxe au Parlement s’est opposé à la loi permettant l’échange automatique de données bancaires en fin d’année dernière. Depuis, la législation a été adoptée, et Israël rejoindra les pays coopératifs.
L’OCDE a mesuré que le montant des dépôts offshore a baissé de 551 milliards de dollars, soit un recul de 34 % depuis 2008 alors qu’entre 2000 et 2008, il avait gonflé de 1 600 milliards de dollars. La crise financière est certes passée par là mais Pascal Saint-Amans assure qu’il y a un lien entre mise en place d’échanges d’information et recul des avoirs étrangers. La corrélation est nette, précise-t-il, aux Bahamas ou à Singapour. Détenir un compte dans ces juridictions n’est en soi pas illégal si les avoirs sont déclarés au fisc du pays du bénéficiaire du compte. Mais l’expérience et les scandales comme les Panama Papers ont montré que c’est bien souvent pour échapper au fisc que certaines personnes ont ouvert des comptes dans ces juridictions accueillantes.