Les chargeurs africains se sont réunis dans la capitale ghanéenne pour célébrer les 8è Journées du chargeur africain. Ils sont venus des quatre horizons de l’Afrique, avec des fortunes diverses, car le continent est encore mal desservi par les moyens de transports. Les assises d’Accra (22-25 novembre) dont le thème principal était « Facilitation des échanges et son impact sur l’industrialisation de l’Afrique » ont donné l’opportunité à tous les acteurs de la chaîne de discuter et d’identifier les problèmes et d’apporter des solutions. Dans ce cadre, elles s’inscrivent dans la perspective d’une refondation du rôle et de la mission des Conseils de chargeurs africains et de la crise financière mondiale encore récente, qui réhabilite par la force des choses le rôle de l’État comme régulateur face aux distorsions inhérentes à l’imperfection des forces du marché. Le thème de ces 8è Journées met sur la table la nécessité de lever les entraves aux échanges et d’orienter les réflexions pour l’industrialisation de l’Afrique.
C’est un appel lancé aux États membres afin d’offrir un environnement propice aux opérateurs économiques à travers la fluidité des échanges, la disponibilité de la logistique appropriée et une législation adéquate.
Pour la directrice du conseil des chargeurs du Gabon, Liliane Nadège Ngari, élue pour un mandat de deux ans à la tête de l’Union des conseils de chargeurs africains (UCCA), la priorité pour l’essor du transport est de saisir les belles opportunités qu’offre l’Afrique. C’est notamment l’implantation des usines délocalisées assortie de conventions de transfert de technologies.
D’autres approches et d’autres nouvelles stratégies s’imposent donc face aux enjeux de la mondialisation. Il s’agit notamment de la nécessité de promouvoir les échanges commerciaux avec l’extérieur, entre-Africains d’abord, comme gage de réussite d’intégration économique africaine. Parce qu’elle est encore insuffisamment industrialisée et faiblement développée, l’Afrique demeure encore largement tributaire de ses échanges avec l’extérieur, pour sa croissance et son développement. Or, ces échanges souffrent de maux multiples, injustes et graves. Prenons par exemple le cas du coton africain : malgré sa qualité et sa compétitivité réelle, il n’arrive pas à percer pleinement sur le marché international, à cause de la concurrence déloyale des pays développés. Au mépris des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ces pays, pourtant membres de l’OMC, continuent d’accorder de grosses subventions à leurs producteurs de coton. À cela s’ajoute, la détérioration des termes des échanges internationaux au détriment des pays africains depuis des décennies.
Par ailleurs, il y a la situation dramatique des pays africains dans les divers domaines de l’acheminement international de leurs produits et marchandises. Ils sont écrasés par la puissance des services de transports étrangers, qui appliquent à leurs échanges des conditions défavorables et des tarifs exorbitants fixés sans eux, donc contre eux, réduisant quasiment à néant le fruit du dur labeur des paysans et travailleurs africains.
En cette période de globalisation des échanges et de mondialisation des économies, le pot de terre produit en Afrique se voit ainsi contraint d’affronter le pot de fer du Nord dans une soi-disant libre concurrence, rendue encore plus pénalisante pour les Africains, en raison de la crise économique et financière mondiale actuelle. C’est pourquoi les élites africaines doivent approfondir toutes ces questions complexes relatives aux échanges et à leurs acheminements.
Le contre-amiral Lamine Fadika, ancien ministre de la Marine en Côte d’Ivoire, conseille de jeter un regard rétrospectif sur le contexte sous-régional et international du début des années 1970. Cette période est, en tous points de vue, comparable à l’environnement sous-régional et international actuel, relativement aux échanges et à leur acheminement international. La majorité des pays de la sous-région ont certes, à cette époque, accédé à l’indépendance au début des années 1960, mais une décennie plus tard ils portent encore largement les stigmates de l’ère coloniale. Une économie extravertie, dépendant des échanges extérieurs pour le financement de la croissance et du développement. Plus de 90 % de ces échanges s’effectuent par mer, avec une absence quasi-totale des pavillons nationaux. En conséquence, la desserte maritime est dominée par les armateurs du Nord, puissamment regroupés en conférences maritimes, imposant unilatéralement aux fragiles économies africaines leurs conditions de transport et leur taux de fret en constante augmentation.
L’apologie d’Houphouët Boigny
En mai 1975, le président ivoirien, Houphouët Boigny, invita ses pairs de la sous-région à Abidjan. Et il eut ce message : « La mer est le passage obligé de notre libération économique. Il n’est plus question de nous laisser submerger par la marée montante des coûts des frets maritimes. Il nous faut parler d’une seule et même voix pour mettre fin au diktat des conférences maritimes et négocier des taux de fret supportables pour nos économies. Mais notre action ne sera pleinement et durablement efficace que si nous assurons par nos propres navires une part significative du trafic généré par nos échanges extérieurs et mettons en place des organisations des chargeurs efficaces, interfaces indispensables entre nos chargeurs et les armateurs ». Ce fut la première conférence ministérielle sur les transports maritimes en Afrique de l’Ouest et du Centre eut lieu.
Cette conférence consacra la création d’un comité régional de négociation des frets maritimes chargé de négocier au nom de tous les États membres avec les conférences maritimes. Elle adopta aussi la Charte maritime d’Abidjan, qui jette les bases d’une politique régionale « globale et cohérente », embrassant tous les compartiments de la chaîne logistique du transport international et impliquant la création par tous les États membres de conseils nationaux de chargeurs et d’armements nationaux à regrouper au sein d’une association des armements de la sous-région.
Les recommandations d’Accra
Comment refonder un nouvel essor de l’économie maritime et des économies africaines en général, qui soit source de prospérité nouvelle, abondante et partagée, au regard de lourdes contraintes que fait peser la mondialisation, aggravées par la récente crise financière mondiale ? Quel rôle doivent désormais jouer les conseils de chargeurs et quel rôle l’État doit jouer dans le redéploiement des échanges et des conseils de chargeurs : réguler ou continuer de rester passif, au nom d’un ultra libéralisme dépassé, face aux graves menaces que la crise financière et la mondialisation font peser sur le devenir du continent ?
À Accra, les chargeurs africains ont décidé de prendre un nouveau départ. Les 8è Journées du chargeur africain ont été voulues comme le témoignage de l’éveil de conscience africaine. À ce titre, l’Union des conseils de chargeurs africains (UCCA) est un vecteur de la mise en pratique de la volonté politique des dirigeants africains pour le développement du continent. Les chargeurs africains sont conscients que le développement ne viendra pas de l’Occident. Au contraire, il faut passer par des actions concrètes par les Africains eux-mêmes pour les Africains.
Voilà pourquoi les conseils de chargeurs africains veulent s’approprier les actions de développement de leur continent, ce qui justifie la présence de plusieurs opérateurs économiques aux assises d’Accra. Ils sont venus exposer les produits africains. C’est dire que l’UCCA est vraiment en pleine promotion du made in Africa. Elle a exprimé une volonté commune, celle de faire le lien entre les conseils de chargeurs de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ainsi qu’avec ceux de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe. En effet, en Afrique de l’Est, les conseils de chargeurs sont des institutions véritablement privées tandis qu’en Afrique centrale et de l’Ouest (sans compter l’Angola qui est en fait un pays de l’Afrique australe), ce sont des organismes de régulation. L’UCCA a décidé d’assumer pleinement leurs responsabilités.