Le constat est édifiant. Effrayant, même, tant il illustre la dégradation de la confiance des Français dans les institutions et alimente la montée des populismes. Dix-huit mois après le début de leur mandat, tous les présidents en sont réduits à subir le même sort : un très fort décrochage dans l’opinion. La cote d’Emmanuel Macron, qui enchaîne les difficultés et peine à se dépêtrer des « gilets jaunes » , est à 26 % dans le baromètre Kantar TNS (qui remonte à 1978). Soit une chute de 31 points depuis 2017.
Ses partisans veulent y voir le fait que « lui réforme ». Mais ce n’est pas si simple. Au même moment de son quinquennat, François Hollande avait perdu 34 points, se retrouvant déjà, à 21 %, sous son socle du premier tour de la présidentielle. Nicolas Sarkozy avait reculé de 24 points, à 39 %. Au début de son premier mandat, Jacques Chirac avait vu son capital fondre de moitié, de 32 points, à 32 %. François Mitterrand n’y avait pas non plus échappé, avec un recul de 21 points, même s’il restait au-dessus des 50 % (à 53 %). Avec, « à chaque fois, une rupture rapide avec les classes moyennes et populaires , qui ont le sentiment que le pouvoir n’est pas comme eux et n’agit pas pour eux », souligne Gilles Finchelstein, le directeur général de la Fondation Jean-Jaurès.
L’homme providentiel
Une malédiction politique ? Ce serait les exonérer de leurs responsabilités. Or, elles sont de deux ordres. Les premières ont peut-être permis aux candidats de gagner, mais elles sont vite revenues en boomerang une fois ceux-ci devenus présidents : des promesses excessives, dans un contexte de mythe de l’homme providentiel (inhérent à la Ve République et renforcé par l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct), de crise de l’Etat providence (à partir des années 1970), de perte de leviers nationaux (avec la construction européenne et la mondialisation) et d’accélération du temps médiatique (avec Internet et l’information continue). Sans oublier que le quinquennat a encore renforcé la présidentialisation du régime…
A chaque élection, les mots claquent fort. Mais la barre est trop haute et la « déception inéluctable », selon le politologue Pascal Perrineau. Ce danger avait été pointé du doigt par François Fillon, qui jugeait, avant de voler en éclats sous le poids des affaires, que « faire rêver » est « une idée folle ».
Perpétuelle « rupture »
Candidat de « l’espérance », Emmanuel Macron promettait une « politique d’émancipation », de « libérer » et, « en même temps », « protéger ». Il annonçait une nouvelle manière de faire de la politique. Le macronisme devait être une « révolution démocratique », dépasser les clivages et faire remonter les idées du bas en haut. Rien de moins qu’un « nouveau monde ». Pas en reste, François Hollande proclamait « le changement […] maintenant », assurait que « [lui] président », tout serait différent, s’engageait à mettre au pas la finance, son « véritable adversaire », à « réenchanter le rêve français » et à inverser la courbe du chômage en un an.
Proclamant que « tout devient possible », Nicolas Sarkozy promettait, lui, la « rupture », « le changement dans un esprit d’union et de fraternité », une « nouvelle page, grande et belle, de notre histoire » et même zéro SDF en deux ans. Lui qui se voulait « le président du pouvoir d’achat » a vite fait aveu d’impuissance, demandant ce que l’on attendait de lui puisque les « caisses sont déjà vides ».
« Déraisonnable »
« Dans les Trente Glorieuses, période sans déficits sociaux, sans chômage, avec des surplus que l’on pouvait distribuer, on pouvait promettre de ‘changer la vie’ [comme le proclamait le programme du PS en 1972, NDLR], relève Dominique Reynié, le directeur de la Fondation pour l’innovation politique. « Depuis, ces surpromesses sont déraisonnables », explique-t-il, se disant « frappé que la société n’apprenne pas de ses propres déceptions et ne révise pas davantage ses attentes à la baisse ».
Le second péché originel, c’est l’obsession suicidaire des présidents à se choisir « une boussole qui indique le sud : leur prédécesseur », selon la formule de Gilles Finchelstein. Chaque nouvel arrivant ne se contente pas de prendre ses distances avec le précédent ; il s’applique à faire le contraire. Jusqu’à l’excès, alors que, dans le même temps, les résultats se font attendre.
C’est pour rompre avec Jacques Chirac, qu’il avait décrit en « roi fainéant », que Nicolas Sarkozy s’était peint en président « omniprésent ». Il a fini par apparaître vibrionnant, outrancier, irritant. C’est pour rompre avec Nicolas Sarkozy que François Hollande a défendu une « présidence normale ». Il a fini par apparaître comme un dirigeant pas à la hauteur de la fonction. C’est pour rompre avec François Hollande qu’Emmanuel Macron à surjoué un profil « jupitérien », dans la verticalité du pouvoir et dans la solennité de l’Ancien Régime. Il a fini par apparaître hautain et méprisant dans les sondages d’opinion.
Une faiblesse pour force
Dans ces circonstances, son sort est-il scellé ? Vu son impopularité, le rebond s’annonce difficile. Mais il peut espérer que les résultats arrivent. Et il cherche à corriger le tir plus tôt que ses prédécesseurs. Avec son « itinérance » dans le nord et l’est du pays, il a mis « Jupiter » aux oubliettes. Et face aux « protestations d’alarme sociale », il a changé de ton, réintégré les corps intermédiaires et fait quelques gestes, même s’ils sont jugés très insuffisants par les « gilets jaunes » et les Français.
Par rapport à Nicolas Sarkozy et à François Hollande, Emmanuel Macron a, surtout, un atout inédit : dans l’esprit des Français, il n’y a, pour l’heure, aucune alternative . Ni en interne ni dans l’opposition. « Il déplaît fortement, mais les autres encore plus », résume Pascal Perrineau.
Lequel met néanmoins en garde contre « cette force qui n’est que la faiblesse des autres ». Là encore, le constat n’est pas des plus rassurants.