Dominique Libault, pilote de la concertation «Grand âge et autonomie», vient de remettre son rapport à Agnès Buzyn. Et notre sentiment est partagé entre une véritable satisfaction de voir émerger des mesures fortes en direction des personnes avançant en âge, et une petite musique qui nous dit que nous nous risquons de nous arrêter au milieu du chemin. Il faut saluer la volonté de la ministre d’avancer sur le dossier de la prise en compte dans notre société de l’avancée en âge, tant de fois repoussé par le passé. Le rapport Libault fait des propositions intéressantes, parfois novatrices, dans de nombreux domaines : prévention, soutien aux aidants, reconnaissance et valorisation des métiers… Mais une fois de plus, il manque le souffle qui ferait de ce rapport «le» rapport qui porterait enfin le souhait massif des personnes de pouvoir rester à leur domicile.
Certes, cette ambition est affichée dans les grands principes, mais la déclinaison des propositions nous fait craindre que les mesures mises en œuvre ne soient pas à la hauteur de l’enjeu. On pourra nous dire que ce n’est pas l’objet d’un rapport que de donner du «souffle», qu’il n’est que le début du travail autour de cette future loi qui va débuter. A la ministre de donner enfin les orientations pour permettre à chacun de vieillir à son domicile s’il le souhaite.
De quoi s’agit-il ? 85% des personnes souhaitent vieillir chez elles. C’est le premier point qui a émergé de la consultation en ligne lancée par la ministre. Nous le savons bien, une majorité des personnes qui se retrouvent en Ehpad n’y vont pas par choix, mais sous des pressions diverses, sociétales, médicales ou familiales. Le recueil du consentement, pourtant introduit par la loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015, n’est pas la règle. Pour nous c’est clair, le vrai choix politique consiste à affirmer que nous faisons du respect du choix des personnes de vieillir à leur domicile une grande ambition nationale. Nous assumons le fait qu’il faut aller vers la désinstitutionnalisation, «faire sortir» les personnes des structures – aussi bienveillantes soient-elles – et il faut s’en donner les moyens.
Certains nous disent que ce n’est pas réaliste, que tout le monde ne peut pas rester à son domicile. C’est vrai, il est des cas où ce n’est pas souhaitable, voire dangereux. Il arrive aussi que des personnes ne souhaitent pas rester chez elles. Et il faut leur permettre de rejoindre des Ehpad rénovés, avec du personnel renforcé et formé. Tout ceci est vrai, mais ce n’est pas la majorité, loin s’en faut : si l’on s’en donne les moyens, beaucoup de personnes peuvent être accompagnées à domicile dans des conditions satisfaisantes. Nous savons le faire si nous y mettons collectivement l’ambition et des moyens : il faut réformer l’allocation personnalisée d’autonomie, l’évaluation de la perte d’autonomie (APA), revaloriser les métiers et les salaires, revoir les modes de financement archaïques et maltraitants des services d’aide à domicile, soutenir les aidants et les bénévoles, développer des formes d’habitats alternatifs à l’Ehpad, permettre une adaptation préventive des logements à la perte d’autonomie… et surtout flécher les financements disponibles vers le secteur du domicile.
Les sceptiques nous disent aussi que le coût de ces mesures est colossal et que personne n’acceptera d’impôt supplémentaire. Mais préférons-nous laisser chaque famille faire face, y compris financièrement, aux coûts parfois importants qu’entraîne la perte d’autonomie, ou préférons-nous financer solidairement un risque de sécurité sociale? Et puis, des financements vont bientôt être disponibles: nous soutenons la proposition de réorientation des fonds de la Cades (1) qui deviendront disponibles à l’horizon 2024 et qui représentent 20 milliards d’euros (2). De quoi mener une politique ambitieuse sur l’avancée en âge !
Nous sommes au seuil d’une grande avancée pour notre société si nous en avons l’ambition. Il s’agit de faire un choix de société pour demain. Soyons audacieux et sachons entendre ce que nous disent les personnes concernées. Ce choix, en raison des évolutions démographiques, ne se représentera pas. Soyons ambitieux pour toutes les personnes qui un jour approcheront le grand Âge, pour nous toutes et tous.
La Fédération nationale des associations de l’aide familiale populaire (FNAAFP) est l’une des fédérations de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile. Elle a publié dès mars 2018 un plaidoyer «Pour une réponse adaptée aux besoins des personnes vieillissantes au domicile».
(1) Caisse d’amortissement de la dette sociale.
(2) Voir la proposition formulée par Jérôme Guedj dans l’article paru dans le Point du 12 mars 2019 «Comment la France doit gérer la révolution de la longévité».