Que feriez-vous, vous, si vous appreniez que votre chien, un bâtard malinois, disparu deux mois plus tôt ainsi que votre matou angora, porté disparu il y a juste une semaine, avaient été, en réalité, capturés et mangés par de voisins indélicats ? Je voudrais préciser que nous sommes à Kinshasa, en l’an de grâce 2015, et que les faits ici rapportés ne relèvent pas d’une fiction ; que les malheureuses bêtes dont il est question ici étaient jusqu’alors répertoriées dans la catégorie « animaux domestiques de compagnie ».
On pourrait être tenté, d’entrée de jeu, de se livrer à des réflexions et considérations d’ordre économique, sociologique voire éthique, si l’on admet que consommer du chien (quoique !) et du chat, viande par ailleurs obtenue par vol qualifié, constitue un scandale en ce sens que pareils mets ne relèvent aucunement de nos habitudes alimentaires ordinaires. Ils s’apparenteraient plutôt à d’expédients culinaires en temps de crise ou à de viatiques sacrificiels.
Mais, ce faisant, à quoi de telles réflexions et considérations nous avanceraient-elles vraiment ? Un chien et un chat, animaux domestiques de compagnie appartenant à Monsieur Egide K., ont été capturés et dévorés, au mépris des règles élémentaires de propriété, par une bande de gus incapables de se nourrir autrement dans le contexte économique actuel. That is the question !
Tout comme une dizaine de ses collègues, tous hauts cadres dans une institution bancaire privée de la place, Egide K. s’est fait construire une belle demeure sur un lotissement en périphérie de Kinshasa, non loin du lieu-dit Matadi-Mayo. En somme, un pâté de villas au milieu d’une forêt de constructions pour la plupart effectuées de façon rudimentaire et souvent anarchique.
Jouons à présent à imaginer par quels cheminements est passé l’esprit troublé de notre ami Egide K., avant de découvrir et d’apprécier la décision qu’il a finalement prise ! N’oubliez surtout pas de vous poser chaque fois la question : qu’auriez-vous fait à sa place ?
Premier cas de figure. Vous fulminez de colère et vouez aux gémonies tous les voleurs du ciel et de la terre. L’exercice pourrait évidemment terroriser le personnel de votre maison mais a toutes les chances de laisser de marbre les mangeurs de chats et de chiens. Et, s’il perdure, vous gratifier d’un accident vasculaire cérébral…
Deuxième cas de figure. Vous décidez de vous rendre au poste de police le plus proche de votre quartier et d’y déposer une plainte contre X. Vous vous dites : puisqu’il y a eu dénonciation, de fins limiers pourraient remonter jusqu’aux auteurs des forfaits et les alpaguer. Des jours passent et, malgré la motivation que vous avez consentie aux policiers, l’enquête n’avance guère ! Entre-temps, l’on fait état d’autres disparitions mystérieuses d’animaux de compagnie dans le quartier…
Troisième cas de figure. Loin de vous décourager, vous vous procurez un autre chien de garde. Pour le chat, vous attendez, pour vous en procurer un nouveau, la prochaine portée de la femelle angora du voisin de l’ami qui vous l’avez vendu. Et pour vous soustraire définitivement à la gloutonnerie de vandales, vous escomptez de renforcer le service de garde devant et autour de votre villa, avec interdiction formelle aux gardiens de laisser sortir dorénavant le chien de la concession. Mais que feriez-vous du matou ? Allez-vous lui placer une chaîne autour du cou ?
C’est cette dernière option qu’Egide K. prit. Effectivement, quelque deux mois après les incidents ci-haut relatés, de jeunes désœuvrés lui cédèrent, pour une poignée de dollars, un mastiff ou un chien-loup qu’ils traînaient avec eux partout dans la ville, et qu’ils ne parvenaient manifestement pas à nourrir correctement. L’animal, bien que malingre, n’avait cependant pas perdu sa mine de molosse. Il avait appartenu, semble-t-il, à un ancien officier de la Monuc rentré chez lui en Afrique du Sud, son mandat en République démocratique du Congo étant arrivé à terme.
Il ne s’était pas passé une semaine depuis qu’Egide K. s’était procuré son nouveau chien de garde que des malfrats vinrent le visiter de nuit. Alors que deux comparses distrayaient les gardiens du côté de l’entrée principale, les criminels, armes de guerre au poing, enjambaient la clôture par derrière. S’étant servi de crottes de léopard pour terroriser le chien, ils prirent possession de la villa qu’ils pillèrent sans merci. C’est par le portail d’entrée de la villa qu’ils sortirent, leur butin à bord de la camionnette d’Egide K., après avoir enfermé dans une pièce le maître des lieux , tous les membres de sa famille ainsi que tous les gardiens. L’attaque, sans coup férir, n’avait pas duré plus de vingt minutes.
Pour Egide K. il n’y avait pas à tergiverser : il fallait absolument déguerpir de ce lieu maudit ! C’est ce qu’il fit dès qu’il trouva une modeste habitation à louer dans la commune populaire de Ngiri-Ngiri, loin de voisins sans foi ni loi, mangeurs de viande de chat et de chien. Pour sa sérénité et la sécurité de sa famille, il préférait redevenir locataire plutôt que de se murer dans un bunker perdu dans un lotissement sauvage.