Business & Finances : À vous entendre parler, la vraie problématique des transports, ce sont bien les pouvoirs publics congolais en raison de leur mauvaise gouvernance de ce secteur…
Massonsa-wa-Massonsa : Absolument ! En Afrique subsaharienne, par exemple, le transport est devenu un élément prioritaire pour les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds internationaux. La politique des transports urbains est une réponse institutionnelle adéquate à l’ensemble des questions et des problèmes que recouvrent les déplacements dans la ville, pour améliorer la mobilité, en offrant des services et des moyens de transport de qualité, sécurisants et abordables. La finalité des politiques des transports urbains est donc d’offrir une mobilité durable, équitable et solidaire à l’espace urbain.
BEF : À votre avis, comment les pouvoirs publics doivent-ils se prendre pour améliorer la mobilité en ville ?
M-w-M : Pour être efficaces, les solutions de mobilité urbaine doivent être multidimensionnelles. Par exemple, la demande de transport s’est beaucoup complexifiée à Kinshasa. La démographie urbaine connaît un taux de croissance de 5 % avec une population estimée à 12 577 000 habitants en 2017. Dans le même temps, le transport urbain est devenu une question éminemment politique et stratégique.
Et les pouvoirs publics congolais se découvrent enfin comme étant un enjeu majeur. Ce sont eux qui sont véritablement la vraie problématique des transports, en raison de leur mauvaise gouvernance de ce secteur. Alors que dans le monde, les modes de déplacements urbains connaissent des changements de fond notables pour fluidifier la circulation et satisfaire les besoins de mobilité. Cela est perceptible aussi et notamment dans certains États africains : dotation en nombre important des bus, modernisation des chemins de fer urbains, acquisition des tramways, amélioration de la desserte en transport par la voie d’eau-fleuve, etc.
BEF : Pourquoi accorder une grande attention au service de transport, à sa qualité, mais aussi à la configuration des infrastructures ?
M-w-M : Les transports conditionnent les déplacements des personnes, tout comme les échanges de marchandises. Ils sont un élément essentiel d’intégration spatiale. Dans cette configuration, la politique des transports est donc au cœur de la construction de la ville de Kinshasa, et constitue, de ce fait, un grand chantier et une grande ambition collective. Les transports urbains y jouent un rôle essentiel dans la structuration de la ville. Ils orientent la localisation et le développement des activités ainsi que l’habitat.
BEF : Lorsqu’on observe le débat sur les transports urbains, à Kinshasa particulièrement, on a l’impression que les vrais enjeux n’y sont pas abordés…
M-w-M : Le débat sur les transports urbains ne doit pas seulement se poser en termes de politiques d’objectifs et de moyens. Il convient d’abord et surtout d’en mesurer les enjeux. Car les transports occupent une place importante à la fois dans l’espace urbain et dans le temps urbain. En effet, les enjeux des grands travaux des infrastructures routières et les services, c’est-à-dire les moyens de transport se situent au centre des dynamiques économiques et sociales multiples de la ville, souvent complémentaires, mais parfois contradictoires.
BEF : Quels sont en fait les enjeux de la mobilité de transports urbains ?
M-w-M : Le caractère ubiquitaire des transports urbains et de la mobilité est de plus en plus marqué. D’un côté, l’offre et la demande de transports s’influencent mutuellement, de l’autre, les activités économiques et les modes de vie. Ainsi, la mobilité interagit avec l’aménagement du territoire et l’occupation des sols. C’est dans ce contexte que se pose la problématique de l’organisation des transports et de la mobilité.
BEF : Que faire alors face à une urbanisation non maîtrisée voire spontanée à la périphérie de Kinshasa ?
M-w-M : D’abord, cette urbanisation est caractérisée par le phénomène de l’étalement, la précarité de l’habitat et l’allongement des distances par rapport au centre-ville et qui se traduit par des besoins multiples et importants de mobilité. Étant bien entendu que les choix en matière de transports urbains et de mobilité sont indissociables. L’action des pouvoirs publics devrait donc veiller à l’efficacité des offres de transports, services et véhicules mais aussi aux infrastructures, une des composantes essentielle de l’offre, à la sécurité routière et à la réglementation, axe structurant de l’action publique.
L’enjeu le plus immédiat est, naturellement, celui de répondre à la demande de transports, c’est-à-dire aux besoins de déplacements des personnes. Il importe d’avoir présent à l’esprit que la demande de transports dans une conjoncture socio-économique de précarité ne cesse de croître à un rythme supérieur à celui de la croissance de la population et de la richesse nationale. Cette tendance s’observe partout et particulièrement dans la ville de Kinshasa. Le système productif de l’économie et la localisation des industries et d’autres activités impactent également la demande de transports urbains.
BEF : Peut-on dire que la question de politique des transports urbains à Kinshasa est un enjeu en soi de la société ?
M-w-M : Tout à fait ! Elle doit faire l’objet d’un débat législatif afin de mieux répondre aux besoins de mobilité et aux aspirations d’efficacité, de cohésion sociale et de bien-être auquel aspire la population congolaise. Les enjeux de la politique des transports sont à la fois économiques, sociaux, technologiques et environnementaux. Ils nécessitent donc une approche transversale afin d’assurer une mobilité optimale des citoyens. La mobilité est un enjeu capital, un pilier historique de la construction d’une ville. Elle est à la fois un défi et une condition nécessaire à l’exercice de tous les droits fondamentaux : droits au travail, à l’éducation, à la santé, au logement…
BEF : Mais les enjeux de la politique des transports urbains ne sont pas que sociaux…
M-w-M : Certes oui, mais l’aspect social de la mobilité est le plus important des enjeux. Il fait appel à l’équité sociale, à l’inclusion et à la santé publique. Car il existe des populations qui sont aptes à se déplacer, et on ne leur offre pas nécessairement les services pour qu’ils puissent se déplacer. Par ailleurs, il y a les enjeux économiques. En effet, les transports urbains participent à la création de valeur, d’emplois et à la compétitivité des entreprises.
Tenez : les Kinois, captifs de transport en commun, dépensent plus de 20 % par mois de leur revenu pour le transport, dans l’hypothèse où ils utiliseraient les bus Transco seulement. Autrement, avec les taxis-bus de l’informel, ils consacreraient la moitié, au moins, de leur salaire. On peut s’interroger sur leur productivité au travail.
BEF : Voulez-vous dire que la mobilité par les transports en commun place les Kinois dans une situation de précarité durable ?
M-w-M : Certaines catégories sociales vulnérables sont fragilisées par toute hausse des coûts de la mobilité, notamment les jeunes et les personnes à mobilité réduite.
Le coût de la mobilité quotidienne dans le budget des ménages pauvres, amène certains captifs des transports en commun à se reporter sur la marche à pied qui parfois s’étale sur près de 5 à 10 km. D’une manière générale, selon nos observations et l’analyse faite de la problématique de la mobilité en 2002, nous sommes parvenus à la conclusion selon laquelle la mobilité à Kinshasa participe quotidiennement à la réduction de la pauvreté dans les familles précarisées par manque d’emploi et de revenu. Ne pas se déplacer un jour, c’est priver la famille d’une ration alimentaire. Le marché du travail est l’un des enjeux les plus favorisés par la mobilité. Il exige l’accessibilité au territoire. Les pouvoirs publics ont la mission de garantir aux populations les plus précaires, les plus isolées, les non motorisées, l’accessibilité et la mobilité aux transports en commun.
BEF : Pour cela, ne faut-il pas de bonnes infrastructures ?
M-w-M : Les infrastructures qui sont les socles de l’accessibilité et la mobilité aux transports en commun, sont également un enjeu principal. La qualité des infrastructures représente un atout majeur, compétitif et capital dans toutes les dimensions : technologiques, sociales, environnementales, énergétiques et sécuritaires. Elles mobilisent un investissement lourd comme c’est le cas de sauts de mouton destinés à réduire les goulots d’étranglement de la circulation sur la route.
BEF : D’après vous, les pouvoirs publics doivent bien appréhender les enjeux avant d’entreprendre des actions…
M-w-M : Il faut les connaître, les analyser et les traiter pour décider de la meilleure façon de satisfaire les besoins de mobilité des citoyens. Étant donné la diversité des problèmes à prendre en compte, et la nécessité de faire prévaloir des objectifs d’intérêt général, il serait inconséquent de s’en remettre aux seuls mécanismes de marché en matière de transport. Une intervention des pouvoirs publics est donc nécessaire. C’est un enjeu sociopolitique de premier ordre. L’État est le garant du service public de transport, de la satisfaction des besoins de mobilité des usagers, dans les conditions économiques et sociales les plus avantageuses pour la collectivité, c’est-à-dire garantir le « Droit au Transport ». Le principe du droit au transport exige de satisfaire les besoins des usagers et rendre effectif le droit qu’a toute personne, y compris celle dont la mobilité est réduite ou souffrant d’un handicap, de se déplacer, et la liberté d’en choisir les moyens…
BEF : S’il faut résumer le rôle de l’État, que peut-on en retenir ?
M-w-M : L’intervention des pouvoirs publics est également requise au titre de la régulation du marché de transport, afin de veiller à une concurrence loyale, édicter et faire appliquer la réglementation (fiscalité et tarification). Les pouvoirs publics interviennent également pour financer des services de transport collectif qui ne peuvent s’équilibrer par les seules ressources tarifaires.
En matière d’infrastructures, la puissance publique alloue des ressources et édicte le code de la route et des règles d’utilisation pour garantir la sécurité routière. Son intervention est justifiée aussi par l’intérêt économique, social et stratégique que représentent les infrastructures routières. Dans ce domaine, les investissements sont difficiles à rentabiliser dans une seule logique de financement privé.
BEF : Quel service public de transports urbains à Kinshasa ?
M-w-M : Le service public de transports urbains à Kinshasa ne peut donc se concevoir indépendamment de la demande de transports, mais surtout cela n’est possible que dans la stricte logique de l’offre de transports. De ce fait, les missions de service public qui sont aussi un enjeu administratif, doivent être clairement identifiées et définies, de même que les responsabilités de chacun des acteurs dans leur mise en service. Toutefois, il conviendrait d’organiser les services publics de transport dans le cadre de la recherche de meilleur rapport qualité de service/coût (QS/C), mais dans le respect également des principes fondateurs du service public : égalité d’accès et de traitement des usagers, continuité et adaptabilité.
BEF : La problématique des transports urbains requiert donc un vrai projet ?
M-w-M : En tout cas, elle illustre la nécessité d’un projet axé sur une volonté politique opiniâtre devant émerger d’une vision endogène clairement affirmée pour faire face aux besoins de mobilité, aux aspirations d’efficacité, de cohésion sociale et de soutenabilité, caractéristique d’une société solidaire et juste. Cette problématique questionne aussi l’amélioration de la mobilité, de l’accessibilité et la nécessité d’identifier les mesures susceptibles d’agir sur cette mobilité et de développer des orientations réalistes, assurant les déplacements, la sécurité des personnes et de leurs biens dans un environnement maîtrisé. Elle contribue dès lors à établir des liens qui se tissent entre le secteur de transport, l’aménagement urbain et l’activité socio-économique.
BEF : C’est donc un enjeu politique de taille !
M-w-M : En RDC, l’économie est extravertie, tout comme le système des transports. Ils n’apparaissent donc que comme l’appendice de l’économie coloniale, transformée aujourd’hui en économie sous perfusion de la communauté internationale, et ancrée dans la mondialisation sous le label de PPTE (Pays Pauvre Très Endetté), en tant que réservoir des matières premières et non comme partenaire émergeant du développement durable et de la croissance économique, plaçant la problématique de la solidarité, donc du social, au centre de l’équation économique. Cette mondialisation brouille et anéantit les repères économiques ancrés dans le pilier culturel, catalyseur d’une dynamique endocentrique.
BEF : Que reprochez-vous à la mondialisation ?
M-w-M : L’aspiration du peuple « africain- congolais » à la liberté, à l’unité, à l’auto-prise en charge, à la dignité, à la justice, à la solidarité et à la paix, pour développer son économie et redorer ses valeurs culturelles longtemps occultées, est en contradiction dialectique des exigences de la mondialisation. Lesquelles sont fondées sur la domination, l’exploitation des faibles et l’absorption brutale des économies moins industrialisées comme celles des États africains. Les dirigeants de ces États qui n’ont ni connaissance des enjeux, ni un savoir-faire quelconque des mécanismes, acceptent, en raison des pesanteurs dictées par leurs intérêts personnels, de s’offrir en pâture pour être formatés en vue de servir de marchepied aux pilleurs et usurpateurs de tout calibre.
BEF : C’est comme si vous dénonciez une certaine naïveté et un certain laxisme dans le chef des dirigeants africains ?
M-w-M : L’action politique dans le domaine de transport n’est pas conduite avec rigueur, détermination et désintéressement total, pour créer un climat de confiance dans la population, ressort essentiel de la solidarité afin qu’émerge « la personnalité africaine », maître de son destin et d’une réelle appropriation de l’environnement et du développement durable axé sur la trilogie prônée par Mfumu (Simon) Kimbangu : « Bolingo, Mibeko, Misala [amour, lois, œuvres] ». Que Mzee Laurent Désiré Kabila a traduite par « Ne jamais trahir le Congo, Organisez-vous et Prenez-vous en charge ». C’est donc une expression de la volonté du peuple et de la mobilisation de la société autour d’un idéal qui appelle une rigoureuse prise de conscience des enjeux politiques pour une transmutation, voire une transfiguration de chacun, et en définitive de la société « africaine-congolaise ». En effet, pour s’organiser, il faut des lois, mais aussi le respect et l’application de ces lois qu’il ne faut pas transgresser ou trahir, afin d’assurer la création d’emplois durables, le travail pour tous, ce qui en dernier ressort impulse l’émergence du pays.
*En raison de la pertinence de cette réflexion, la suite dans notre prochaine édition. Dans cette partie, l’expert présente ses perspectives en termes de leviers d’action.