A l’heure où vous vous rassemblez pour la 26e réunion annuelle de l’Union africaine, deux pays de notre continent se trouvent dans une situation critique. Au Burundi, les violences et les troubles causés par la décision controversée du président de briguer un troisième mandat ont déjà coûté la vie à 400 civils et ont forcé 230 000 personnes à fuir le pays. La forte augmentation des exécutions extrajudiciaires depuis décembre, les allégations de viols collectifs et d’actes de torture commis par les forces de sécurité, et la découverte de fosses communes ce mois-ci, sont autant d’indications d’une détérioration rapide de la situation. Les Nations unies ont mis en garde face à la dimension ethnique croissante du conflit. Nous nous devons tous de tirer enseignement de notre passé et de prendre ces avertissements avec le plus grand sérieux.
Entre-temps, au Soudan du Sud, pays qui devrait aujourd’hui récolter les fruits de l’accord de paix d’août 2015 et rechercher les responsabilités des crimes passés, la méfiance et l’animosité règnent entre les anciens adversaires, et le risque d’un retour à la guerre plane. La violence s’étend en effet à des zones du pays qui en étaient précédemment préservées, tandis que près de 200 000 civils restent sous protection de l’ONU dans des camps surpeuplés. La menace de famine est réelle.
Empêcher une nouvelle escalade de la violence
L’Union africaine, et vous, qui en êtes les éminents dirigeants, avez l’opportunité et la responsabilité d’agir face à ces crises avant qu’elles ne s’enveniment. En décembre 2015, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA s’est résolu à envoyer des forces de maintien de la paix de l’UA au Burundi pour empêcher une nouvelle escalade potentiellement désastreuse de la violence. De même, en réponse à l’accord de paix conclu au Soudan du Sud, la Commission de l’UA s’est engagée à mettre en place un tribunal hybride afin de traduire les hauts responsables de la guerre civile en justice. Malheureusement, aucune de ces décisions n’a encore été mise en œuvre et les situations des deux pays se sont dégradées.
La crédibilité de l’UA se voit gravement mise à l’épreuve, de même que la capacité du continent à résoudre lui-même ses problèmes. L’inaction écornerait la réputation de l’institution et de ceux qui la dirigent, et constituerait une trahison pour les citoyens ordinaires des deux pays dont les vies sont gravement affectées par la violence persistante et l’impunité. Il est essentiel que les décisions de l’UA concernant le Burundi et le Soudan du Sud soient mises en œuvre immédiatement, afin de tenir notre engagement collectif à prévenir les crimes contre l’humanité et assister les personnes en grave danger. Nous ne pouvons pas laisser les intérêts particuliers et les allégeances politiques prévaloir.
Déploiement d’une force de protection africaine
Pour le Burundi, nous appelons tous les membres du Conseil de paix et de sécurité à user de tous les moyens diplomatiques et leviers politiques afin d’obtenir le consentement du gouvernement burundais pour le déploiement d’une force de protection africaine ; à donner suite aux craintes du Burundi que des pays voisins aident et soutiennent la violence en armant des groupes d’opposition ; et à investir dans la restauration immédiate d’un processus de médiation solide et proactif. Pour le Soudan du Sud, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA doit entamer des discussions formelles sur la structure et le mandat d’un tribunal hybride, nommer un président du tribunal, et lancer des enquêtes immédiates sur le terrain afin de préserver les preuves importantes avant qu’elles ne disparaissent. Les peuples d’Afrique et du monde observent attentivement. Nous vous demandons de faire honneur à leur confiance et d’agir dans l’intérêt du continent, de l’institution que vous servez et de vos concitoyens africains.
Mohamed (Mo) Ibrahim, fondateur et président de la Fondation Mo Ibrahim.
Jay Naidoo, président du Conseil de partenariat de l’Alliance mondiale pour l’amélioration de la nutrition.
Victor Ochen, directeur du Réseau d’initiative pour la jeunesse africaine (AYINET).
Chidi Odinkalu, président du conseil des gouverneurs de la Commission nigérienne des droits de l’homme.
Navi Pillay, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (2008-2014), juge et présidente du TPIR (1996-2003).
Ashish J. Thakkar, fondateur du groupe Mara et de la Fondation Mara.