Des sociétés minières industrielles ont symboliquement fait l’objet d’un jugement dans le cadre d’un film documentaire tourné dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Pendant deux journées d’audience, un faux tribunal mis sur pied dans la ville de Bukavu par le réalisateur suisse Milo Rau a entendu des témoignages concernant ces compagnies, il s’agissait principalement de témoignages à charge. Milo Rau est un réalisateur de 38 ans qui possède sa propre société de production appelée International Institute of Political Murder (Institut international du crime politique). Un journal allemand l’a dépeint comme le réalisateur le plus controversé de sa génération.
Son film sur le Congo portera essentiellement sur deux jours d’audience d’un “tribunal des citoyens” qu’il a installé dans la ville de Bukavu, dans l’est de la RDC. Bien que l’événement ne soit assorti d’aucun pouvoir juridique, il a persuadé de véritables avocats d’y participer, parmi lesquels certains avaient travaillé au sein de la Cour pénale internationale. Ils ont dirigé la procédure avec un jury de politiciens congolais et d’experts en exploitation minière, en présence d’un public local important parmi lequel se trouvait le gouverneur de la province du Sud-Kivu.
La première journée d’audience a traité en particulier des litiges portant sur deux concessions minières détenues par les sociétés multinationales Alphamin Resources et Banro. Alphamin n’a débuté ses activités minières industrielles au Congo qu’au cours de l’année passée alors que Banro exploite industriellement des mines dans le Sud Kivu depuis 2011. Trois témoins se sont plaints du fait que Banro ne les avait pas suffisamment indemnisés pour les avoir expulsés des terrains attribués à la société.
Un témoin révèle au Tribunal qu’elle et sa famille possédaient trois maisons sur la concession de Banro à Luwhindja avant leur expulsion. Elle a déclaré que la société avait construit deux demeures sur un nouveau site, pour elle et pour un de ses enfants mais que l’autre de ses enfants n’avait pas obtenu de maison. L’autre plainte majeure qui l’opposait à Banro portait sur le fait que cette dernière l’avait réinstallée à un endroit où elle ne pouvait pas élever son bétail. L’enquêteur principal du tribunal était Sylvestre Bisimwa qui travaille régulièrement pour la Cour pénale internationale (CPI).
M. Bisimwa appela un autre témoin à la barre, Peter Mugisho, un activiste de Luwhindja, et lui demanda pourquoi Banro avait choisi de réinstaller les familles expulsées sur un site non approprié. « Je ne crois pas que Banro ait choisi le site”, répondit-il. “On avait mis en place un processus de consultation grâce auquel certains membres de la communauté ont été approchés mais ils n’ont pas consulté les gens directement concernés. » Plusieurs témoins portaient des masques et parlaient en se servant de dispositifs de distorsion vocale afin de cacher leur identité. Un de ces témoins anonymes déclara être un ancien membre d’un groupe rebelle et dit que son groupe avait été créé pour défendre les intérêts des petits exploitants miniers sur le site minier de Bisie.
D’autres témoins et des membres du public ont parlé en faveur des nombreux mineurs qui avaient déjà été expulsés par ces deux firmes et en faveur des petits exploitants miniers au nombre de quelque deux millions ou plus, qui travaillent encore dans le pays, et ont déclaré que l’exploitation minière industrielle ne constitue pas pour eux une bonne nouvelle car il est probable qu’ils devront se battre pour gagner leur vie aussi bien par le biais d’autres activités. Le jury expert est parvenu à la même conclusion. Le membre du jury Venantie Bisimwa Nabintu a résumé leurs opinions. « À ce stade », dit-elle, « nous estimons que les activités minières industrielles n’ont aucunement été accompagnées de mesures appropriées en termes d’investissement en infrastructure, de création d’emplois ou de soutien aux communautés locales. » Elle ajoute : « Si elles avaient consenti ces investissements « les sociétés d’exploitation minière auraient pu contribuer à instaurer la paix et la démocratie dans la région ».
Elle ajouta encore que les sociétés minières ont profité de l’instabilité de la RDC pour acquérir des concessions dans des conditions qui s’avéraient défavorables pour les communautés locales ce qui, selon l’opinion des jurés, s’apparentait à des actes de sabotage. Banro refusa de se faire représenter au tribunal. En 2014, la société avait déclaré que, depuis le début de ses activités, quelque dix années auparavant, elle avait investi pour un montant de 766 millions de dollars sur ses deux sites en RDC, notamment 40 millions affectés à des routes et bâtiments locaux et environ 4,5 millions de dollars à des projets sociaux. La sortie du film de monsieur Rau sur la problématique minière et sur le tribunal est prévue à la fin de 2016.