Minerais AB préfère installer son usine de coltan au Rwanda qu’en RDC

Plus de 2 414 tonnes ont été produites en 2016, selon les statistiques de la Banque centrale. C’est un record depuis que le colombo-tantalite est repris dans la chaîne de la production minière nationale en 2005. Mais pour quelles recettes?

La République démocratique du Congo paierait cash le prix de son incurie. La Banque centrale du Congo (BCC) n’avance aucun chiffre. Le ministère des Finances qui est dans l’obligation de publier trimestriellement le volume de production ainsi que les recettes des industries extractives est en retard de publication depuis 2014 sur les statistiques minières. Force est de constater qu’aucune recette se rapportant au coltan n’a été officiellement rendue publique depuis 2005 par le ministère des Finances. Par ailleurs, la Banque centrale qui tient pour source le ministère des Mines et le Centre d’expertise et d’évaluation des matières précieuses (CEEC), avance les chiffres de la production annuelle de dix prochaines années. Ceux-ci ne correspondent pas toujours avec ceux du ministère des Finances.

Il y a, par exemple, un écart de près de 200 tonnes sur la production de 2013 entre les deux sources. Au cours de la même année, le Rwanda voisin déclare avoir exporté 28 % de la production mondiale du coltan avec des chiffres bien détaillés. La Banque nationale du Rwanda (BNR) avance, en effet, des recettes de l’ordre de 134,5 milliards de dollars pour une exportation de 2 466,025 Kg.

Flou artistique

L’on se souviendra à la suite d’une question orale avec débat sur les recettes minières au Sénat en 2015, le ministre des Mines, Martin Kabwelulu, et son collègue des Finances, Henri Yav Mulang, se sont contredits au point que les « sages » de la Chambre haute ont dû douter de la cohésion au sein du gouvernement. Ce n’est une révélation pour personne que le coltan, input nec plus ultra dans la fabrication des smartphones, des micro-ondes, dans les industries spatiales, des nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que de l’armée.

Ce minerai a longtemps assuré les finances des groupes armés dans l’Est de la RDC. Hélas, les insuffisances de l’État dans le contrôle de la production et de l’exportation ont davantage rajouté à la confusion. Autant que le café, le cacao, les bananes et les papayes produits dans l’Est, le coltan est aussi répertorié comme une production nationale dans les États voisins qui s’emploient à mettre de l’ordre dans la gestion de la chose publique. L’ONG PAC (Partenariat  Afrique-Canada) a accusé l’Ouganda et surtout le Rwanda d’entretenir des filières clandestines d’exportations minières dans l’Est de la RDC. Mais le Rwanda a su se forger et soigner son image d’élève modèle sur le continent.

Ce pays est devenu premier exportateur mondial de coltan grâce à l’incurie et à la prévarication de l’administration minière congolaise. Faut-il vraiment s’étonner que la compagnie américaine AB Minerals préfère le Rwanda par rapport à la RDC pour implanter la première usine de traitement de coltan en Afrique? Pour des experts, rien d’étonnant car l’économie est fille d’ordre. Le Rwanda est à ce jour le premier exportateur mondial de coltan, alors qu’il n’en produit qu’en quantité artisanale. Franck Balestra, PDG d’AB Minerals, a déclaré à l’Agence Ecofin que la construction de cette usine au Rwanda répond à « un besoin urgent d’accroître l’industrialisation du secteur minier en Afrique. » Une initiative visant donc à corriger l’absence d’autonomie industrielle de l’Afrique, quant à ses matières première, et qui permettra de générer de l’emploi.

Aucune réaction officielle

Tout cela grâce à l’exploitation lucrative d’un tiers américain, commente l’Agence ECOFIN. Les accords liant AB Minerals au gouvernement rwandais dans cette aventure n’ont évidemment pas été révélés. Toutefois, il n’est question nulle part de bénéfice direct pour la RDC et son économie. Kinshasa n’a d’ailleurs fait aucune déclaration suite à cette annonce. Ainsi, les commissions financières et politiques internationales cautionnent ce projet, sous couvert d’une éthique non-encadrée juridiquement. Le colombo-tantalite compte pourtant parmi les principaux enjeux du conflit le plus meurtrier du XXème siècle, ayant occasionné des millions de morts dans la région du Kivu.

La RDC a, dans le cadre de la Conférence internationale sur la région de Grands lacs (CIRGL), instauré un certificat retraçant notamment le site où le minerai a été extrait afin de lutter contre les minerais de sang. Le Rwanda, pour sa part,  affirme aussi avoir mis en place un programme n’autorisant à la vente que les minerais exempts de conflit. L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) devait fournir une réglementation dite sur « les minerais de sang » avant la fin de l’année 2013. Pourtant, aucun rapport n’a emporté l’adhésion des membres à l’unanimité, renforçant ainsi le vide juridique. Cette lacune a permis aux chefs de guerre de s’enrichir dans une impunité quasi-totale.  L’Américain AB s’installe au Rwanda quand la communauté internationale s’interroge sur le bien-fondé de l’amendement en profondeur de la loi Frank-Dodds que Donald Trump veut opérer. Ce n’est un secret pour personne, les États-Unis, singulièrement leur armée, ont largement bénéficié du trafic du coltan dans l’Est de la RDC. La question de la complicité des puissances mondiales dans l’achat de minerais ensanglantés est dorénavant remise sur table.