COMME le dragon qui gonfle ses poumons avant de cracher le feu, la polémique enfle. Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le chef de l’État, a demandé au gouvernement de « faire toute la lumière » autour des « dénonciations, parfois documentées », qui lui parviennent, sans dire de qui elles émanent. Convaincu que le mémo que lui a transmis le management actuel de l’entreprise publique minière, Gécamines, sur la vente de ses actifs (éléments du patrimoine d’une entreprise), ne « dissipe » pas « toutes les zones d’ombre sur cette affaire ». Le président de la République a donné cette instruction au cours de la 32è réunion (vendredi 22 mai) du Conseil des ministres de l’ère Tshisekedi. Selon le compte-rendu qui en a été fait, « les montants de manque à gagner sont énormes selon les dénonciations ». Le Conseil des ministres devra déterminer les orientations à donner à ce dossier.
Sitôt que cela a été dit, la Coalition pour la gouvernance des entreprises publiques du secteur extractif (COGEP) qui est regroupe 8 experts et 32 associations de la société civile, engagés pour la bonne gouvernance et la redevabilité des entreprises publiques dans ce secteur, a publié un communiqué daté du 27 mai, dans lequel elle salue la décision de faire la lumière sur le cas de la Gécamines. Mais elle va plus loin en exigeant aussi l’annulation de l’accord de cession des actifs de la SOKIMO. « La COGEP rappelle sa note sur la gouvernance de la Gécamines de novembre 2018 et sa lettre ouverte du 10 janvier 2020 adressée au chef de l’État par lesquelles elle avait épinglé ces mêmes problèmes et recommandé qu’il soit diligenté un audit complet de la gestion de la Gécamines, en particulier sur la négociation par cette dernière des opérations de vente ou cession de ses actifs ainsi que sur la gestion et la destination des produits de ces cessions », peut-on lire dans ce communiqué.
Par ailleurs, la COGEP considère que « la résolution du Conseil des ministres est une opportunité pour tous les citoyens congolais d’avoir plus de lumière sur lesdites ventes ». Et la COGEP tire la sonnette d’alarme : « L’entreprise publique SOKIMO est dans le processus de céder ses actifs à AJN Resources Inc, dans les mêmes conditions d’opacité que la Gécamines. Ceci intervient pendant que SOKIMO avait déjà cédé certains de ses permis d’exploitation à Kodo Resources, toujours dans les conditions et buts qui, au lieu de contribuer à son relèvement, mais l’enfonce davantage. » En dépit des dénonciations et irrégularités soulevées par les organisations de la société civile et le caucus des parlementaires de l’Ituri, souligne le même communiqué, « ces transactions poursuivent leur cours normal alors que cette cession viole, non seulement les dispositions du code minier mais constitue un véritable bradage des actifs miniers et un manque à gagner tant pour l’entreprise que pour les citoyens congolais ».
Faire tabula rasa
Pour la COGEP, « il s’avère indispensable pour le gouvernement de faire annuler la cession et de prendre publiquement position afin de rassurer les citoyens congolais ». Enfin, la COGEP « encourage le gouvernement à impliquer le public à cet exercice d’intérêt général, en publiant le mémo explicatif de la Gécamines et en acceptant de recevoir le point de vue des syndicats, des organisations de la société civile travaillant sur la gouvernance des ressources naturelles et des organisations de lutte contre la corruption » ; lui recommande de « faire annuler l’accord de cession des actifs de la SOKIMO à AJN Resources Inc et d’étendre l’audit aux autres entreprises du Portefeuille, en particulier à la SOKIMO » ; et lui demande de « rendre public les conclusions de l’évaluation qui sera faite sur la vente des actifs de la Gécamines et la cession des actifs de la SOKIMO ».
Le débat sur la gestion des entreprises publiques, particulièrement dans le secteur des mines, et aussi sur l’exploitation minière n’est pas nouveau. La société civile, particulièrement celle du Katanga, s’est pleinement investie pour exiger la transparence dans les opérations minières, mais, apparemment, en vain. Beaucoup sont sceptiques, même à l’annonce de cette décision de dépoussiérer le dossier de la vente des actifs de la Générale des carrières et des mines. Ils demandent à voir.
D’autres, allant au fait, se demandent ce qui pourrait bien être derrière cette idée : est-ce la volonté politique du président de la République de changer de paradigme ? Ou s’agit-il tout simplement d’une manœuvre visant à déshabiller Saint-Pierre pour habiller Saint-Paul, c’est-à-dire celui qui veut noyer son chien l’accuse de rage ? Toutes ces interrogations et bien d’autres apportent le blé au moulin de la polémique, et se résument à peu près à ceci : que font les Congolais de leurs immenses ressources naturelles ? Vu du dehors, on est presque convaincu que « les Congolais ne savent pas ce qu’ils doivent faire de leurs ressources naturelles, sinon la République démocratique du Congo serait déjà un pays émergent ». Et, par conséquent, « les autres sont en droit de les exploiter et les mettre en valeur ». Malheureusement, ceux qui viennent ne sont pas tous des enfants de chœur ou l’Armée du salut. Ils y arrivent en capitalistes, et la plupart en prédateurs.
La lame de fond
La lame de fond de la problématique de l’exploitation des ressources minières de la RDC, c’est la nature des contrats miniers qui sont « léonins ». En cette matière, la boutade ci-après illustre bien la situation : « En RDC, on écrit ce que l’on ne respecte pas, et on dit ce qui n’est pas dans le contrat ». Les potentiels sont là, mais tous les contrats signés par le passé l’ont été de manière à les brader à vil prix. Aujourd’hui, explique un expert minier, le débat devra évoluer. D’après lui, il s’agit pour la RDC de mener « une vraie réflexion » (étude) comparative des « best practices » en matière de négociations des termes des contrats par les pays nantis de minerais et autres ressources naturelles. Il s’agit de voir lesquels de ces pays producteurs ont le mieux négocié leurs réserves avec les majors. Par exemple, le modèle norvégien peut inspirer la RDC pour son pétrole et le modèle botswanais pour le diamant…
La RDC peut et doit attirer les majors pour l’exploitation de ses réserves minérales et autres, mais tout est dans la manière. « Il faut que les termes des contrats futurs soient les plus favorables possibles au développement à long terme de ces réserves à durée déterminée », souligne cet expert. Le code minier amendé a provoqué la colère des miniers au Katanga qui ont promis des bosses et des plaies à la RDC. Pourtant, une étude comparative a montré que la RDC est nettement moins exigeante que les autres pays africains de la région vis-à-vis des miniers. Les montages des entreprises minières échappent le plus souvent au paiement des taxes en déclarant les filières en RDC déficitaires. « La RDC est trop généreuse envers les miniers, flouée par ces multinationales qui mettent en avant le risque élevé dans un environnement des affaires incertain ».