Mines et énergie : Le Grand Inga risque d’arriver quand les mines ne seront peut-être plus là 

L’électricité s’invite dans les débats des miniers à Lubumbashi. Pour les organisateurs de DRC Mining Week, malgré les efforts qui sont louables pour combler le déficit énergétique, le développement demeure lent. Une mise à jour des projets énergétiques en cours est nécessaire. En attendant qu’un jour, Inga ne vienne à la recherche des solutions intérimaires. État des lieux.

Le déficit énergétique est un frein à l’industrialisation et au développement du pays doté d’immenses ressources.

À NOUVEAU, on va débattre du déficit énergétique et du développement industriel en République démocratique du Congo. Les fournisseurs de solutions énergétiques efficaces, flexibles et durables sont très attendus à la DRC Mining Week qui se tient à Lubumbashi du 1er au 3 juin 2022. Le débat se corsait déjà avant même les assises de DRC Mining Week. Pour les uns, le Grand Inga (barrages III à VIII) n’est pas la priorité première. Ils soutiennent qu’il existe plus de 700 sites sur lesquels le pays peut développer rapidement des micros-centrales et augmenter ainsi le taux de desserte en électricité. Pour les autres, il faut avoir une vision stratégique de moyen et long termes pour satisfaire la demande factuelle et potentielle. 

Réhabiliter et/ou construire les muni-centrales pour répondre à la demande de proximité de plus en plus croissante, c’est très bien, mais ne pas méconnaître l’enjeu économique de l’offre énergétique de la RDC pour l’industrialisation tout court dans le monde, c’est encore bien mieux. Qu’est-ce que la RDC gagne en développant le Grand Inga par les étrangers et pour les étrangers ? Pourquoi les Occidentaux sont-ils si intéressés par le Grand Inga ? 

La réflexion n’est pas nouvelle mais elle est toujours d’actualité. À ce propos, il est intéressant de relire Cheik Anta Diop qui parlait déjà de Grand Inga dans son livre « Fondement économique de l’offre énergétique pour l’Afrique et son industrialisation ». Pour qui connaisse la pertinence scientifique de ce grand érudit africain, une erreur de stratégie est impardonnable. L’État doit être en mesure de bien gérer les trois termes.

État de la situation

À ce jour, seulement moins de 10 % de la population en RDC ont accès à l’électricité, contre une moyenne africaine de 42 %. Seulement 35 % dans les zones urbaines (50 % à Kinshasa) et moins de 1 % dans les zones rurales y ont accès. Vingt-quatre ans après la mise en service de la centrale hydroélectrique de Mobayi (Équateur) en 1982, il n’y a pas eu de nouvelles infrastructures dans le secteur.

Des projets comme Katende, Kakobola, Zongo II et Manono/Ankoro pour l’État sont en veilleuse.  Mateba, Ivugha et Kananga pour les privés et environ 4 lignes électriques à haute tension (LHT) pour le renforcement du réseau existant étaient en cours d’aménagement. 

Autres problèmes : le manque d’études bancables et la faible capacité du pays à mobiliser des fonds importants dont a besoin ce secteur si stratégique pour le progrès du pays. Le retard dans l’application effective de la loi 14/011 du 17 juin 2014 libéralisant le secteur, faute de mesures et de textes d’application pourtant déjà élaborés. Ce retard ne facilite pas la venue des privés dans le secteur. La faiblesse des investissements et le retard dans la planification. 

Les barrages hydroélectriques Inga I (360 MW) et II (1 400 MW) fournissent l’électricité dans la partie ouest du pays et aux mines dans le Grand Katanga. Par manque d’entretien, les deux barrages ne tournent plus à plein régime : la production ne dépasse pas 20 %, ce qui ne permet plus une fourniture fiable, rien qu’à Kinshasa. Et pourtant, dans le cadre de ces deux projets, l’objectif était de fournir l’électricité à toute l’Afrique australe, en plus de la ligne Inga-Shaba.

Le déficit énergétique est apparu donc comme un frein à l’industrialisation et au développement du pays doté d’immenses ressources minières, agricoles et énergétiques. Le développement du projet Inga III était perçu alors comme la planche de salut. D’abord, avec le soutien de la Banque mondiale, la RDC se proposait de construire une centrale hydroélectrique de 4 800 MW. Inga III (deux phases), c’est en fait la première étape du projet Grand Inga (40 000 MW) conçu en sept étapes. Des développeurs de différents pays ont exprimé leur intérêt pour la mise en œuvre du grand projet, notamment des investisseurs français, belges, chinois, brésiliens, voire africains. 

« La construction d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs, étatiques et privés, est une étape essentielle pour accélérer l’électrification du pays. La SNEL se trouve plombée par la réforme structurelle et d’énormes problèmes de gestion qui l’empêchent de jouer effectivement et pleinement son rôle de « bras armé » du gouvernement. »

Inga III, tout comme les deux premiers barrages, s’inscrit dans le cadre du projet pharaonique Grand Inga afin de fournir près du quart de la capacité au Sud du Sahara. Depuis 2020, le gouvernement épluche les différentes offres de financement qui sont sur la table. Des grands groupes internationaux se bousculent au portillon, conscients que Grand Inga est un pari de long terme aux enjeux économique et géostratégique évidents. Les Occidentaux (Français, Allemands, Australiens et Américains) et les Chinois rivalisent à coup de milliards de dollars pour développer Inga III. 

Secteur au tournant

Afin de dynamiser le développement du secteur, le gouvernement a encouragé, d’une part, sa libéralisation, et, d’autre part, la revitalisation de l’opérateur public, la Société nationale d’électricité (SNEL). Vu sous cet angle, la construction d’une « vision partagée » par l’ensemble des acteurs, étatiques et privés, est une étape essentielle pour accélérer l’électrification du pays. 

La SNEL, opérateur majeur, se trouve plombée par la réforme structurelle et d’énormes problèmes de gestion qui l’empêchent de jouer effectivement et pleinement son rôle de « bras armé » du gouvernement. La décentralisation, la croissance démographique et l’augmentation de la demande des miniers ont accentué le déficit, obligeant le gouvernement à importer de l’électricité de la Zambie et de la République du Congo voisines. Lesquelles furent pendant de nombreuses années importatrices de l’électricité de la RDC.

La capacité énergétique installée de la RDC est d’environ 2 500 MW, dont 2 463 MW en hydroélectricité : 1 751 MW à Inga I et II et 75 MW à Zongo I ; 460 MW des centrales hydroélectriques publiques du Katanga. Le taux de disponibilité de la puissance installée est de 56 %.L’offre à l’horizon 2020 était projetée à 2 600 MW (après réhabilitation des centrales publiques d’Inga, de Zongo et du Katanga, en plus de la construction des centrales hydroélectriques de Kakobola, Grand Katende et de Zongo II, ainsi que de la centrale à gaz de Muanda et à charbon de Luena). Par contre, la demande globale à l’horizon 2030 est évaluée 6 000 MW à l’horizon 2030.

L’alimentation en énergie à l’échelle du pays ne répond pas aux besoins des entreprises du secteur minier, ni ne permet la diversification de son économie. Le projet de construction du barrage Inga III a été conçu comme une partie de la solution pour combler le déficit énergétique. Tous les espoirs ou presque sont fondés sur le méga-barrage Inga III en projet depuis des années. L’Agence pour le développement et la promotion d’Inga III (ADPI) censée piloter l’ambitieux projet et directement rattachée à la présidence de la République ne fait pas l’unanimité. 

« Sans Inga, toutes les solutions intermédiaires ne résoudront pas le problème », soutient Bruno Kapandji Kalala, le chargé de mission à l’ADPI. Un représentant du géant minier Tenke Fungurume Mining (TFM) ironisait même : « Le Grand Inga risque d’arriver au moment où les mines (qui ne sont pas inépuisables) ne seront plus là. » Pour rappel, TFM a été racheté en 2016 pour 2,6 Mds de dollars par le groupe chinois China Molybdenum à l’Américain Freport.